A la base, c’est l’histoire d’un automobiliste flashé en juin 2013 dans la région genevoise à 110 km/h sur une route limitée à 50. L’homme soutient avoir cru rouler sur une route limitée à 80 km/h, le tronçon étant situé hors localité, et avoir ainsi commis un excès de vitesse ne faisant pas de lui un «chauffard» au sens de la définition de Via sicura, avec à la clé au minimum un an de prison avec sursis et deux de retrait de permis. Ses explications n’ont convaincu ni les juges cantonaux, ni les fédéraux. Sa cause a toutefois fait progresser l’appréciation de la punissabilité du délit de chauffard.
Le Tribunal fédéral s’est livré à une analyse approfondie mettant à mal l’automatisme absolu des sanctions qu’il avait lui-même validé en décembre 2014. En substance, il en ressort que forts de cette jurisprudence nouvelle, les juges doivent désormais tenir compte des circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise, notamment de l’intention du contrevenant. Car, pour la Haute Cour, «si l’on comprend sans ambiguïté du texte légal que l’atteinte de l’un des seuils énumérés à l’al. 4 constitue toujours un cas d’excès de vitesse particulièrement important au sens de l’art. 90 al. 3 LCR, le libellé de l’al. 4 n’est pas absolument clair s’agissant des autres conditions de réalisation de l’infraction.»
«Un doute demeure»
Pour parvenir à ce résultat, le Tribunal fédéral se réfère notamment à ses considérations émises en matière de confiscation du véhicule ou de retrait de permis lors d’un délit de chauffard avéré. Les arrêts rendus à ces occasions n’excluent pas définitivement l’examen, par le juge du fond, de l’aspect subjectif de l’infraction.
Relisant le projet d’initiative populaire à l’origine de ces dispositions draconiennes – initiative rappelons-le finalement retirée –, le message du Conseil fédéral, les débats aux Chambres fédérales puis la législation qui en est sortie, les magistrats observent en effet: «Un doute demeure s’agissant de savoir si ce seul excès fait du conducteur un chauffard passible d’une peine de liberté d’un à quatre ans ou si l’examen de l’aspect subjectif est nécessaire.» Cela leur semble d’autant plus évident que si le législateur a souhaité restreindre fortement le pouvoir d’appréciation de l’instance amenée à statuer, celle-ci en conserve une partie, le Conseil fédéral relevant à l’époque qu’il s’agissait de ne pas laisser ces cas à «la seule appréciation des juges».
De plus, ils soulignent que fondamentalement, puisqu’il s’agit d’une infraction pénale, ce sont les dispositions générales du Code pénal qui doivent être appliquées en matière de détermination de la culpabilité de l’auteur. Il s’agit d’une notion dont dépend notamment la sanction infligée. Or, la culpabilité est déterminée «par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte, par les motivations et les buts de l’auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures».
Pour les juges de Mon-Repos, ne pas s’y référer induirait un «renversement automatique inadmissible du fardeau de la preuve. Dans un tel cas de figure, le justiciable serait alors privé de prouver son absence d’intention». Il en résulterait une violation potentielle de la présomption d’innocence garantie par la Convention européenne des droits de l’homme.
Reste à savoir de quelle type d’intention on parle… La jurisprudence a introduit ici une notion assez souple permettant de considérer que l’intention est présente par «dol éventuel», c’est-à-dire sans pour autant que l’intéressé ait manifesté une volonté claire et forte d’agir. Il suffit que l’auteur soit conscient qu’il enfreint une disposition légale et qu’en se faisant il accepte, même sans le vouloir, de courir «un grand risque d’accident pouvant entraîner des blessures ou la mort».