RA: Nombre de vos concurrents, dont certains de proches cousins dans le groupe VW, ont opté pour des structures composites. Qu’en est-il chez Bentley?
Rolf Frech: Bien entendu, la maîtrise du poids est très importante. C’était d’ailleurs l’un des sujets principaux lors du développement de la future Continental GT. Compte tenu des technologies actuelles et du niveau de connaissance que nous en avons, nous avons opté pour une stratégie «Intelligent Material Mix». C’est-à-dire que nous utilisons autant que possible l’aluminium, mais lorsqu’un maximum de rigidité est requis, par exemple, nous optons pour de l’acier haute résistance. Nous avions comme objectif une réduction de masse de l’ordre de 150 kg par rapport à la génération précédente de Continental. Nous avons également acquis une grande expérience dans les matériaux composites par le biais de nos activités en compétition et nous réfléchissons bien entendu à une application de ces connaissances sur les véhicules routiers. Très probablement sur de futurs dérivés de la Continental.
Dans quelle mesure utilisez-vous les expériences acquises en compétition pour les véhicules de route?
Le partage des connaissances est au cœur de notre stratégie. C’est d’ailleurs pourquoi les ingénieurs du département compétition proviennent de celui dédié aux véhicules routiers et inversement pour certains. Nous travaillons en étroite collaboration avec le Motorsport afin d’échanger et partager nos expériences, ce qui s’avère bénéfique pour les deux parties.
Au fil du temps, le bloc W12 est devenu aussi indissociable de Bentley que le classique V8 de 6,75 l. Ses jours sont-ils comptés dans l’environnement actuel?
Au sein du groupe VW, Bentley est le centre de compétence pour les motorisations W12. Nous nous chargeons du développement et de la fabrication des différentes déclinaisons de ce moteur, qu’elles soient destinées à Bentley ou d’autres marques du groupe. Lorsqu’un client a la liberté de choix lorsqu’il configure sa voiture, il optera toujours pour le W12. Sur les Continental et Flying Spur, avec le V8 nous offrons une alternative, non seulement pour des raisons d’économie de carburant, mais aussi pour répondre aux besoins précis des clients. Prenez l’exemple du Bentayga: nous l’avons lancé avec le W12, puis quelques mois après nous avons proposé le V8 diesel qui convient d’ailleurs parfaitement à un SUV. L’essentiel des ventes est malgré tout réalisé par le W12. Comme vous l’avez dit, le W12 est indissociable de l’image de Bentley, le sommet de l’expérience Bentley. Mais nous devons aussi proposer d’autres alternatives. C’est dans cet esprit que nous développons une solution plug-in hybride qui arrivera plus tard sur le marché. Nous avons pris l’engagement, d’ici la fin de la décennie, de proposer sur chacun de nos modèles une version plug-in hybride. Trois raisons nous y ont conduits: 1. La législation de plus en plus sévère qui encadre la consommation de carburant et les émissions de polluants. 2. De plus en plus de villes interdisent l’accès à leur centre aux véhicules thermiques. 3. Les clients souhaitent une technologie à la pointe du progrès dans leur véhicule. Contrairement à d’autres marques, nous ne considérons pas la propulsion hybride comme une solution transitoire vers le tout électrique. Cette propulsion restera longtemps à notre catalogue.
Mais vous étudiez également la possibilité d’un véhicule 100% électrique.
Oui. C’est d’ailleurs ce que nous avons présenté au dernier Salon de Genève avec le concept EXP12 Speed 6. L’idée était de démontrer qu’une voiture tout électrique pouvait demeurer une pure Bentley, avec des performances de premier plan, le tout habillé de luxe. L’accueil fut très bon. Une seule question demeure: quand? Nous ne l’avons pour l’heure pas encore décidé et cela dépendra avant tout de ce qui se passera dans les mois et années à venir. Mais nous sommes prêts.
Sans moteur thermique, est-ce qu’une Bentley ne perd pas une partie de son âme?
Si nous allons de l’avant avec une Bentley EV (ndlr: électrique), elle devra bien entendu embarquer tous les attributs qui font l’image et la réputation de la marque. C’est un prérequis. Le niveau de performances est aussi important et doit se traduire notamment par cette capacité à accélérer «sans effort» qui caractérise toutes les Bentley.
Quel regard portez-vous sur la conduite autonome?
La conduite autonome? Chez Bentley? Cela fait 50 ans que nous la pratiquons et elle répond même au contrôle vocal. Nous avons le chauffeur… Plus sérieusement, nous sommes bien sûr très intéressés par cette technologie, mais nous devons rester très prudents. Il y a aujourd’hui un effet de mode autour de la conduite autonome. A mon avis, la technologie est aujourd’hui beaucoup trop en avance par rapport à la législation qui l’encadre. Vous rappelez-vous l’affaire autour de l’accident de la Tesla? Malheureusement le monde n’a pas compris ce qu’il s’était passé. Si vous regardez les assistances modernes à la conduite, comme le régulateur adaptatif ou la surveillance de franchissement des lignes, ce sont des prémices à la conduite autonome. La technologie avance très vite, nous nous devons de l’implémenter pas à pas, progressivement. Nous misons pour le moment sur la palette de services que nous pouvons offrir à nos clients depuis leur voiture, par le biais de notre «majordome digital». Des services de luxe, à la carte et personnalisés, qui correspondent à l’image Bentley.
Comment imaginez-vous la Bentley du futur?
Une voiture à la pointe de la modernité mais qui intègre tout l’ADN et l’héritage de la marque en termes de choix des matériaux, présentation et performances. Une GT qui se conduise véritablement et délivre des sensations hors pair.