Il n’y a pas si longtemps de cela, les Bentley vivotaient sur leur réputation de noblesse, tout en étant considérées comme obsolètes et peu sportives. Mais Wolfgang Dürheimer, l’ingénieur diplômé qui a remporté tant de succès chez Porsche, a fait le ménage au cœur de la marque de tradition britannique qui gravite dans l’orbite de Volkswagen. Grâce aux succès remportés en GT, le Bavarois a permis aux voitures de prestige de Crewe d’être à nouveau au sommet de la hiérarchie. Le best-seller de la marque est le récent Bentayga, premier SUV du constructeur britannique. Au Salon de Francfort, Bentley dévoile la nouvelle génération de son icône, la Continental GT, avec l’intention avouée d’ajouter un nouveau chapitre à sa success story.
Revue Automobile: Bentley s’engage en catégorie GT. Tout récemment, la Continental GT3 a célébré sa 500e course à Spa-Francorchamps. Quelle est l’importance des activités sportives pour la marque?
Wolfgang Dürheimer: Très grande. Je peux affirmer aujourd’hui que la Bentley Community est à nouveau culte dans les milieux de la compétition, chose d’autant plus remarquable qu’au regard du passé, l’image de la marque était poussiéreuse. Chez certains clients, nous ne figurions plus sur la liste des emplettes et, dans le paysage automobile, nous n’étions plus aussi présents que je l’aurais souhaité en tant que CEO. Avec un portefeuille de produits modernes et l’engagement en compétition, nous avons fourni la preuve de notre compétitivité et nous avons dépoussiéré l’image de Bentley.
Vous êtes donc à nouveau sur la liste des emplettes?
Absolument. En Europe par exemple, nous avons enregistré une croissance de 55% en 2016. Cette croissance supérieure à la moyenne est due aux excellents débuts du Bentayga, le SUV le plus rapide, le plus puissant et le plus luxueux du monde.
Ce développement par le biais de la course aurait-il été possible si Volkswagen n’avait pas repris les rênes de Bentley en 1998?
Il est très difficile de répondre car cela relève de l’hypothèse. Quant à la course, c’est un fait que le groupe Volkswagen, avec ses investissements en technologies, a donné une perspective d’avenir à Bentley. Une conséquence directe a été, par exemple, la participation aux 24 Heures du Mans de 2001 à 2003, où nous avons pu signer un doublé en 2003 avec la Speed 8. Dans l’histoire récente de notre marque, la course a repris ses droits, ce qui a été possible grâce à l’engagement du groupe Volkswagen.
Vous venez de parler de votre doublé et, depuis, Bentley ne court plus au Mans. Suivant les traces d’Audi, Porsche vient de se retirer du WEC et de la catégorie LMP1. Bentley pourrait-elle s’engouffrer dans la brèche et fêter son come-back sur le circuit de la Sarthe?
Pour le moment, notre engagement en course respecte une planification financière qui ne nous permet pas de courir au Mans dans notre catégorie. En tant que petit et exclusif constructeur automobile, nous ne pouvons pas dépenser de trop grosses sommes. Je pars du principe que l’organisateur du Mans, l’Automobile Club de l’Ouest (ACO) ou la Fédération mondiale de l’automobile (FIA) sauront interpréter ces signaux et réagiront comme il se doit. Le règlement lui-même continue d’être adapté et j’espère que les nouvelles règles en vigueur à partir de 2020 permettront à de petits constructeurs d’envisager de courir à nouveau au Mans. Je n’exclus pas que Bentley, dans ce cas, figurera parmi ces petits constructeurs.
En tant qu’ingénieur, vous avez été, notamment chez Porsche, responsable du développement technique des modèles les plus divers. Je citerai le Cayenne, la Panamera, la 918 Spyder ou la 911 GT3 R Hybrid. De laquelle êtes-vous particulièrement fier?
Par principe, pour tout ingénieur, c’est une rare et heureuse coïncidence que de pouvoir partir d’une feuille blanche pour développer un nouveau modèle. Et quand celui-ci est accepté par le marché où il remporte un grand succès, on ne peut qu’en être fier. Il faut savoir que le Cayenne a été le premier tout terrain de Porsche, ce qui fut une révolution. Et la Panamera aussi, en tant que berline quatre portes, a remporté un succès inattendu. Quand je repense aux véhicules que j’ai eu le plaisir de concevoir, c’est incontestablement la 911 GT3 R Hybrid qui me semble la plus importante. En 2010, avec cette voiture, nous avons montré au monde de la compétition auto que des véhicules à propulsion alternative n’étaient pas aussi lourds qu’on pouvait le craindre et que ce type de technologie avait une incidence positive sur le niveau des performances. Avec la 918 Spyder, nous avons décliné le concept sur une voiture de route.
Vous avez donc, avec le Cayenne et la Panamera, laissé des traces dans l’histoire de l’automobile.
Si vous me demandez maintenant qu’elle a été ma motivation, à mes yeux, ce n’est pas le passé qui est important, mais le futur. C’est sur lui que s’oriente ma vie. Dans mon garage, vous ne trouverez pas de voiture ancienne. Une question qui m’intéresse dans le contexte de la technique d’une époque révolue est celle de savoir pourquoi on a fait telle ou telle chose en particulier. Ce qui m’intéresse à ce propos, c’est la possibilité de transférer des solutions du passé dans des technologies futures.
Vous êtes censé avoir, chez Bugatti et Bentley, carte blanche et pouvoir opérer avec une certaine liberté d’action vis-à-vis de Wolfsburg. Vrai?
Nous sommes certes sous l’aile du groupe VW, mais nous avons la liberté de proposer nos produits spécifiques qui sont, par conséquent, très éloignés du marché des produits de masse.
Quel est le statut de Bentley au sein du groupe Volkswagen?
Au sein du groupe, Bentley est un «centre of excellence» pour le bois et le cuir, ainsi que pour les douze-cylindres.
Quelles proportions de VW trouve-t-on dans une Bentley?
Dans le contexte du lancement de la nouvelle Continental GT, qui fait ses débuts à l’IAA, plus de 85% des pièces sont d’origine Bentley.
Dans quels domaines trouve-t-on les 15% restants?
Il s’agit par exemple des systèmes de gestion électroniques, ce qu’on appelle les «Blackboxes».
Qu’en est-il des systèmes comme la navigation, les interfaces?
Dans ces domaines, toutes les marques coopèrent étroitement au sein du groupe VW. Nos ingénieurs pratiquent des échanges avec d’autres firmes du groupe.
Actuellement, le groupe VW est confronté à la crise du diesel. Le Bentayga étrenne pour la première fois un bloc gazole. Une erreur?
Le Bentayga Diesel a presque toujours reçu les meilleures notes lors de tests impartiaux, ce dont nous nous réjouissons. Et il remporte également un grand succès sur nos marchés traditionnels.
Peut-on imaginer un SUV compact comme petit frère du Bentayga?
Cela est envisageable. Pour l’avenir, je ne peux vous dire qu’une chose, à savoir que – toujours pour être dans l’air du temps et satisfaire aux exigences de notre clientèle internationale – nous allons continuer à proposer des moteurs thermiques, des douze-cylindres, mais que personnellement, je miserai également sur les hybrides rechargeables. Dans les villes avec des interdictions de circulation comme Londres, ceux-ci résolvent des problèmes concrets. Bentley Motors ne travaille pas uniquement sur les hybrides, mais également sur des concepts tout électrique.
Quelle était l’importance de la Continental GT pour Bentley lors de ses débuts en 2003 et quelle est celle de la génération 2017/18?
En son temps, la Continental GT a marqué la renaissance de Bentley. En tant que Grand Tourisme de luxe moderne, la voiture a créé un segment inédit, au point qu’au fil des ans nous en avons vendu plus de 65 000 exemplaires. C’est cette voiture qui a jeté les bases du succès actuel de Bentley. La troisième et toute nouvelle génération de la Continental GT a tout autant d’importance pour le futur et pose de nouveaux jalons pour les Grand Tourisme de luxe des prochaines années.
La nouvelle Continental GT s’est allégée. Comment avez-vous atteint ce résultat et quels en sont les effets?
Avec la nouvelle Continental GT, nous avons gagné environ 150 kg, dont quelque 80 kg pour la seule carrosserie. Nous avons utilisé beaucoup plus d’alu. Nous avons diminué le poids du moteur de trente kilos. Simultanément, nous avons intégré de nouveaux systèmes tels que le Bentley Dynamic Ride, si bien que la différence de poids entre les générations se situe à 76 kg. Avec un train avant retravaillé, une nouvelle suspension pneumatique, un moteur et une boîte de vitesses eux aussi inédits, ainsi que le Dynamic Ride, la nouvelle Continental est maintenant plus légère, plus précise et plus sportive que sa devancière.
On a longtemps reproché à la Continental GT sa technique obsolète et l’on espère maintenant un progrès considérable en la matière. Dans quelle mesure cela s’est-il concrétisé? Quelles sont les innovations?
Le système électrique possède une architecture inédite que nous avons introduite avec le Bentayga. Ultramoderne, cette architecture met à profit la communication FlexRay et de très hauts débits de transmission de données entre les 90 boîtiers électroniques. Les 2300 circuits de commande représentent 8 km de câbles et plus de 100 millions de lignes de codes de logiciel. La voiture peut se prévaloir des systèmes d’aide à la conduite les plus modernes, y compris des fonctions de conduite semi-autonome, ainsi que de l’un des points forts de cette nouvelle voiture, le Bentley Rotating Display. Celui-ci consiste en un grand écran tactile 12,3 pouces qu’un élégant mécanisme fait surgir de la boiserie. Abstraction faite de l’écran tactile, le combiné d’instruments comporte trois cadrans analogiques à l’aspect luxueux.
Que peut-on encore attendre en matière de perfectionnements? Il y a des rumeurs de propulsion hybride et de roues arrière directrices.
Vous comprendrez que je ne peux pas encore parler des produits du futur. Pour l’instant, nous nous concentrons sur la livraison des premières nouvelles Continental GT à nos clients.