La Revue Automobile était réputée pour ses essais objectifs qui évaluaient sans complaisance les voitures qui lui étaient confiées sur leurs points forts et leurs points faibles. Elle dérogera à ce principe avec le numéro du 14 juin 1951. L’essayeur de l’époque Hans-Jörg Bendel, décédé le 4 mai 2017, et le futur rédacteur en chef de la RA Robert Braunschweig (ils ont rédigé l’article sous le pseudonyme «Les essayeurs») ont même dû, après une introduction très élogieuse sur la Ferrari 212, corriger la tonalité de leur compte rendu pour remettre les pendules à l’heure.
Entreprise de 220 collaborateurs à peine
En 1951, Ferrari avait construit trente-trois voitures avec à peine 220 collaborateurs. On ne s’étonnera donc pas que ce Petit Poucet n’ait pu accéder à la requête de la Revue Automobile qui souhaitait une voiture de presse spécialement destinée à l’essai.
Dès l’année de fondation de Ferrari, en 1947, la RA suivait avec des reportages ce qui se passait à Maranello, où Enzo Ferrari avait transféré son entreprise pendant la Seconde Guerre. Les Ferrari étaient fabriqués dans une configuration voiture de course sur ordre de la Scuderia ou à la demande de clients privés.
Ainsi, le numéro de châssis 0090 E était-il destiné au Conte Alberto Marzotto, qui avait commandé une 212 Spider. Avec cette voiture, qui ne possédait aucune protection contre les intempéries et qui offrait peu d’espace pour les bagages, l’aristocrate envisageait de faire d’assez longs voyages, car il exigea une diminution du taux de compression du V12. Avec 7,6 au lieu de 8,4:1, il pouvait rouler avec de l’essence de moins de 80 d’octane, carburant qu’il était plus aisé de se procurer hors des grandes agglomérations. En revanche, le moteur développait une dizaine de chevaux en moins. Cette valeur varie selon les sources. Les chiffres vont de 170 ch avec un taux de compression supérieur, selon les données du constructeur italien, à 140 ch, selon le test effectué par la RA.
S’agissant du processus d’essai que Hans-Jörg Bendel a effectué de concert avec le journaliste britannique Gordon Wilkins d’Autocar en mai 1951, l’essayeur de la RA s’est souvenu, à l’occasion du Concours d’Elégance Villa d’Este en 2005, de quelques détails qui donnent des frissons. La mesure de la vitesse maximale sur une ligne droite entre Modène et Maranello s’est déroulée au cœur même de la circulation. Deux collaborateurs du cheval cabré qui avait eu le courage de s’agripper à la poupe de la voiture pour être du voyage mettaient en garde les automobilistes à un carrefour, pendant que Hans-Jörg Bendel et Gordon Wilkins effectuient les mesures et prenaient le volant à tour de rôle. Ainsi est-on passé tout près d’une collision avec un cycliste. Enthousiasmé par la Ferrari qui déboulait à environ 194 km, l’un des préposés de la marque italienne n’avait pas vu arriver l’usager du deux-roues.
Enzo Ferrari avait un lien particulier avec la RA
Enzo Ferrari entretenait avec la Revue Automobile une relation très particulière, comme nous le raconte, à la page 32 du présent cahier, celui qui fut de longues années notre rédacteur sportif, Adriano Cimarosti.
La Suisse était (et est encore) un marché intéressant pour les voitures d’une certaine classe et Enzo Ferrari en était tout à fait conscient. Il avait déjà pu vendre une première Ferrari dès 1950 au Bâlois Peter Staechelin, en l’occurrence une ancienne voiture d’usine Tipo 166 de 1949, la voiture victorieuse au Mans et aux Mille Miglia de la même année. La marque au cheval cabré était un symbole des temps nouveaux et son essor fut comparable à celui d’une comète.
Maranello était à cette époque le seul constructeur à concevoir des douze-cylindres. Comme les essayeurs de la RA ont pu s’en convaincre, ce moteur sophistiqué faisait preuve d’une douceur de fonctionnement et d’une docilité incomparables. Ainsi ont-ils été étonnés de constater qu’il était possible de rouler à peine au-dessus du régime de ralenti – un peu plus de 750 tr/min – en 5e, sans le moindre à-coup, et d’accélérer jusqu’à 180 km/h.
Le châssis, lui aussi, a reçu de bonnes notes, même si les essayeurs ont manifesté quelques réserves: «Sur route mouillée, on peut parfaitement utiliser toute la puissance du moteur, ce qui démontre la qualité d’étude du châssis. En cas d’accélération brutale dans un virage, en 2e ou 3e, la machine tend à accentuer le mouvement et l’on doit veiller au tête-à-queue car, avec 8 kg/ch, on atteint vite la limite du couple admissible pour un essieu rigide. On sait à ce propos que les voitures de course de Ferrari sont à roues indépendantes à l’arrière, avec essieu De Dion, et le type 340 America a posé maints problèmes délicats à ce sujet.»
Chez Ferrari, on s’est d’emblée consacré à la compétition et on est parti d’une feuille blanche. Comme l’ont écrit les essayeurs de la RA, Ferrari incarnait «un minimum de bagage scientifique, mais un maximum d’expérience pratique et d’enthousiasme», cette philosophie étant à l’origine du succès aussi précoce qu’immense de la marque italienne. C’est pourquoi la Revue Automobile n’a donné que les meilleures notes au nouveau constructeur transalpin.
Des mesures effectuées avec une certaine prudence
La voiture d’essai elle-même, confiée au Conte Umberto Marzotto, devait déjà disputer sa première course au mois de juin 1951. En leur temps, un mois avant, les essayeurs ont donc procédé aux mesures avec une certaine prudence, d’autant plus que la voiture n’était pas encore tout à fait rodée.
Ainsi, pour le 0 à 100 km/h, ils n’ont pas poussé la première jusqu’à la zone rouge. Le temps enregistré, 10,9 s, confirme néanmoins ce qu’avait dans le ventre la Ferrari 212 et ce, à une époque où d’innombrables voitures du segment intermédiaire accomplissaient rarement cet exercice en moins de 20 secondes.
Cette même année 1951, Vittorio Marzotto remportait la course de côte Trieste-Opicina avec la Spider. En 1956, le pilote s’est séparé de cette Ferrari qui, par la suite, a changé maintes fois de propriétaires, avant de se retrouver entre les mains du collectionneur américain Jeff Fisher. Neuve, la 212 Vignale Spider avait coûté environ 43 000 francs, somme qui, à cette époque, aurait suffi pour s’offrir une belle maison. Les Ferrari et une maison patricienne partagent aujourd’hui encore un point commun: elles coûtent sensiblement le même prix.