Passionné d’automobiles depuis ma tendre enfance, les bolides au cheval cabré ont rapidement concentré ma fascination. Les souvenirs des posters sur les murs de ma chambre, les miniatures reçues à Noël et mes anniversaires ainsi que les visites au Salon de Genève avec mon père pour admirer les belles italiennes sont encore très vivaces.
La première fois
Le fait le plus marquant de cette enivrante adulation date de l’été 1988. A cette époque, un de mes proches possédait une Ferrari 512 BBi. Alors que nous nous rendions à une fête familiale, je vois pointer un bolide rouge derrière nous. Immédiatement, je pense qu’il s’agit de la voiture que je connais et j’ordonne à mon père de ralentir pour en avoir le cœur net. La superbe sportive se porte à notre hauteur et confirme ma supposition. On improvise une rencontre sur l’aire de repos suivante et je profite de m’installer sur le siège passager pour terminer le trajet. J’avais tout juste 14 ans et je n’étais bien évidemment pas en mesure de ressentir ce que procurait la conduite d’une telle voiture. Peu importe, je vivais là un moment particulier qui restera gravé à vie. L’ambiance à bord, la mélodie du moteur et surtout l’excitation qui accompagne ce moment ont attisé la flamme de ma passion.
Depuis, les années ont passé. J’ai obtenu mon permis de conduire et mon intérêt pour l’automobile prit une autre dimension à mesure que je découvrais d’autres horizons. Les Ferrari ont bien sûr conservé une place particulière dans mon cœur, mais mes achats automobiles se sont orientés vers les productions d’outre-Manche. Je l’avoue, j’affectionne aussi les Anglaises. Toutefois, à plusieurs reprises, j’ai eu l’opportunité de prendre le volant de bon nombre de Ferrari; ces moments sont toujours exceptionnels et ravivent le souvenir de celle qui m’avait fait vivre mes premières émotions, la belle 512 BBi.
Un rêve se réalise
Il y a un peu plus de deux ans, j’apprends que le propriétaire de l’époque a pu à nouveau acquérir cette même 512 BBi! Quelle chance pour lui d’avoir retrouvé la voiture qu’il a déjà possédé dans les années 80. Je caresse intérieurement le secret espoir de pouvoir passer derrière le volant de celle qui m’a fait vivre ma première expérience à bord d’un bolide de Maranello. Il aura fallu un peu de temps pour que le rêve devienne réalité, mais c’est fait, j’ai pris le volant de la 512 BBi de mon adolescence.
Une lignée innovante
Mais revenons un instant sur l’historique. La Berlinetta Boxer (BB) a débuté sa carrière en 1971 sous le nom 365 GT4 BB, dont l’appellation chiffrée dérive du modèle qu’elle remplace, la mythique Daytona. Cinq ans plus tard, la cylindrée du 12 cylindres à plat passe de 4.4 à 5.0 litres et Ferrari profite de donner une véritable nouvelle identité à la voiture en l’appelant 512 BB. En 1981, les quatre carburateurs Weber triple corps laissent place à un système d’injection Bosch K-Jetronic et l’auto devient la 512 BBi jusqu’en 1984, année où elle sera remplacée par la non moins exceptionnelle Testarossa.
A l’orée des années 70, Enzo Ferrari continuait de produire des voitures de route avec un V12 placé à l’avant. C’est pour rivaliser avec Lamborghini et son exceptionnelle Miura que le Commendatore a décidé de concevoir la BB. Afin de la différencier des productions de Sant’Agata tout en conservant l’architecture du moteur placé en position centrale arrière, il a décidé d’opter pour le douze cylindres à plat, dérivé de la formule 1 où il a excellé. Plus communément appelé «Boxer» ou Flat-12, il s’agit en réalité d’un V12 ouvert à 180°.
Au début de sa carrière, la mécanique développait 380 ch, puis 360 ch sur la 512 BB et finalement 340 ch à 6’000 tr/min sur la 512 BBi qui nous intéresse aujourd’hui. Si le couple demeurait identique, 451 Nm, il déboulait un peu plus tôt sur la BBi, à 4’200 t/min (contre 4600 tr/min). La diminution de puissance résulte des normes anti-pollution qui devenaient de plus en plus strictes, notamment aux Etats-Unis, marché déjà important pour la marque à l’époque. Bien évidemment, mises en perspective avec la débauche de puissance des supercars d’aujourd’hui, voire simplement des sportives, ces valeurs peuvent paraître faibles. Mais avec un poids à vide d’environ 1500 kg et replacée dans le contexte de l’époque, la 512 BBi faisait figure de référence. Preuve en est, la vitesse de pointe s’approche des 300 km/h. Tous modèles confondus, la BB a été produite en 2323 exemplaires, dont 1007 pour l’ultime déclinaison BBi.
Bien que la lignée des BB ne soient pas les modèles qui viennent immédiatement à l’esprit lorsqu’on évoque la marque italienne, elles ont marqué l’histoire en étant les premières Ferrari équipées d’un 12 cylindres à plat. Si on fait exception de la Dino, c’est également la première berlinette à moteur central à être commercialisée sous le nom Ferrari. Enfin, elle a aussi permis à la marque de franchir un cap, celui qui sépare les sportives des supercars.
Emotions et sensations
Presque 30 ans après ma première rencontre avec cette majestueuse diva, je me retrouve donc à son volant non sans une légère appréhension. Bien qu’ayant déjà conduit à plusieurs reprises une 308 GTSi de la même période, je suis impressionné par cette 512 BBi. Est-ce l’histoire qui me lie à cette voiture, l’impressionnant 12-cylindres, ou tout simplement la côte d’une telle auto? Probablement un peu de tout, mais rien d’insurmontable au demeurant et je tourne la clé pour animer le bolide. Cet instant est difficilement explicable et sa simple évocation au moment d’écrire ces lignes provoque des frissons dans mon échine.
A l’instar de la 308 et d’autres sportives de l’époque, la position de conduite de la 512 BBi est, disons-le, particulière. En réglant le siège au plus loin du volant tout en pouvant embrayer à fond, ma tête est quasi appuyée sur le haut du pare-brise. A cause des passages de roues imposants, le pédalier est déporté sur la droite. C’est une autre époque, mais cette configuration du poste de conduite confère un charme auquel je m’accommode très bien.
J’attaque les premiers kilomètres et indépendamment d’une direction très dure à l’arrêt – il n’y a pas de direction assistée – je me sens à l’aise. Je retrouve quelques sensations de la 308. Une fois lancée, cette 512 BBi m’impressionne, même si les contraintes sont moindres qu’imaginées. Il est nécessaire cependant de la conduire avec respect, tout en douceur, le temps de faire connaissance.
Le 12-cylindres monte peu à peu en température et sa musique devient de plus en plus enivrante. Autre fait marquant par cette journée ensoleillée de fin août, il commence à faire chaud dans l’habitacle. Avec trente degrés dans l’air et une mécanique juste derrière mon dos, la séance de sauna n’est plus nécessaire après plusieurs heures aux commandes de cette 512 BBi. Qu’importe, il serait inconvenant de me plaindre, je suis en train de vivre un moment rare et précieux à mes yeux.
Je m’éloigne rapidement de l’autoroute pour emprunter quelques virolets qui me sont chers. Le claquement métallique de la grille du levier à chaque changement de rapport est jouissif et rend addictif. Par prudence je commence par tester les freins. Le feeling de la pédale est brut, il ne faut pas hésiter à appuyer fortement pour ressentir un peu de mordant. Là encore, peu d’assistance, une véritable sportive dans toute sa splendeur. Face à un paysage dégagé, j’écrase progressivement l’accélérateur. Les 12 cylindres entonnent leur partition à pleins poumons et mon sourire s’accentue de manière exponentielle. Sans même atteindre des vitesses répressives, le plaisir est immense et mon rapport tout particulier avec cette auto, précisément, décuple les émotions. Grâce au couple généreux, la 512 BBi se conduit en douceur, avec une aisance inouïe, sur les quatrième et cinquième rapports. La direction transmet toutes les aspérités de la route et demande de l’engagement si l’on veut rouler plus vite. Loin de moi l’idée de solliciter cette noble mécanique dans ses derniers retranchements, je me contente de quelques accélérations ça et là pour profiter avant tout de la symphonie fantastique du moteur. De quoi également me conforter dans ma passion pour les voitures anciennes. Ces dernières distillent tellement de sensations exceptionnelles que les supercars les plus extrêmes ou exclusives d’aujourd’hui ne peuvent reproduire. Tentez l’aventure, même avec une voiture plus modeste qu’une Ferrari, vous ne serez pas déçu!
Top Model
Un petit parking à l’écart du tracé me permet de m’arrêter pour admirer la robe de cette 512 BBi dessinée par l’illustre bureau de design Pininfarina. Large tout en restant compacte, la 512 BBi affiche un look bestial sans pour autant céder à l’exubérance. Pour l’œil non averti, elle ne sera qu’une berlinette Ferrari rouge. Ce qui n’est pas faux d’ailleurs, les similitudes avec une 308 sont nombreuses. Mais en y regardant de plus près, la BB offre quand même un dessin bien plus affirmé. Les ailes sont proéminentes, tout comme la croupe de l’auto, imposante. C’est qu’il faut le caser, ce 12 cylindres!
Pour l’admirer, j’ouvre le capot qui englobe toute la partie supérieure arrière de la carrosserie. Il pivote à l’inverse de la plupart des voitures, mais reprend à l’identique le concept d’une certaine Miura. Même chose à l’avant, qui abrite un petit coffre.
Fraîchement certifiée par le département Ferrari Classiche, cette 512 BBi est dans un état irréprochable, à l’extérieur comme à l’intérieur. Revêtus de cuir noir, les sièges de type «Daytona» offrent un confort suffisant. Le Cavalino Rampante et sa pastille jaune ornent le volant et résument à eux seul le programme. La console arbore toute une série de commandes dans un agencement typique seventies. Mais je note quand même la présence des vitres électriques et de la climatisation, gage du rang luxueux de la 512 BBi. Ah oui, il y a même un autoradio, mais vous l’aurez surement compris, je ne l’ai pas utilisé. D’ailleurs, pour être franc, je n’en vois pas l’utilité pour les «fêlés» de notre espèce. La symphonie mécanique suffit.
Un tour de clé et la belle rugit avec une facilité déconcertante. Preuve que ce modèle en particulier, avec ses 57 000 km, offre un niveau de fiabilité exceptionnel. Il est temps de ramener la belle à son propriétaire, mais je profite quand même de faire durer un peu le plaisir en empruntant quelques détours sur la route du retour, tant ces moments sont grisants.
Les souvenirs de mon adolescence et les photos d’époque ont été remplacés par une expérience concrète qui restera gravée à jamais dans ma mémoire. La Ferrari 512 BBi tenait une place particulière dans mon cœur. C’est encore plus vrai aujourd’hui.
Au travers de ce récit, j’espère vous avoir fait partager ce moment unique à mes yeux. Maintenant, peut-être que vous aussi vous en rêvez de cette 512 BBi? Sachez qu’elle est à vendre… je vous laisse voir s’il suffit de casser la tirelire ou si vous devez entamer des négociations avec votre banquier. Pour ma part, si je pouvais, je craquerais volontiers tant cette auto a joué un rôle important dans le développement de ma passion pour l’automobile et pour Ferrari.
Sébastien Morand