UNE JUSTICE SANS PITIÉ

Les procès pour délit de chauffard ressemblent souvent à une mascarade. Analyse sans concession.

Lorsqu’il s’agit de juger des conducteurs assimilés à des chauffards, la procédure pénale dite «simplifiée» porte très bien son nom: le procès dure généralement moins d’une demi-heure. Face au tribunal de première instance, l’accusé, qui doit obligatoirement être assisté d’un avocat, n’a en effet qu’à se déclarer d’accord avec la sanction. Celle-ci aura été négociée au préalable avec le procureur, en théorie du moins. Le conducteur ne comparaît devant le juge en audience que pour faire valider cette sanction par la cour, où on lui signifiera la perte de son droit de faire appel, sauf s’il écope – fait rarissime – d’une peine plus sévère que celle requise par le Ministère public.

Cette procédure pénale expéditive, en vigueur depuis 2011, n’a pas pas été instaurée expressément pour juger les chauffards. Elle est destinée à désencombrer les tribunaux de prévenus qui ont admis les faits, réglé leurs comptes avec d’éventuels plaignants et qui n’encourent pas une peine privative de liberté supérieure à cinq ans. Les affaires de stupéfiants constituent le gros des affaires traitées de la sorte, mais on peut aussi y trouver des causes de droit commun.

Si on parle communément de «délit de chauffard», cette infraction ne relève en réalité pas de cette catégorie, mais – fait piquant à relever – de celle des crimes. Elle tombe sous cette définition puisqu’elle est passible d’une peine de plus de trois ans d’emprisonnement. Ce ne sont toutefois pas les quatre ans au maximum encourus par le fautif qui posent aujourd’hui problème – à ce stade de gravité, la punition est peut-être méritée –, mais bien la peine plancher d’un an. C’est la sanction infligée à tout conducteur flashé pour la première fois de sa vie au-delà des limites définies par l’article 90 de la LCR, même par temps clair et route libre.

Comme les violeurs

Le plus scandaleux dans l’histoire est que le Code pénal fixe aussi à un an de prison la peine minimale pour une personne coupable de viol. Fort heureusement, les conducteurs trop pressés et malchanceux – pour autant qu’ils ne soient pas récidivistes de délinquance routière – obtiennent le plein sursis et n’auront pas à purger cette peine à la condition qu’ils ne recommencent pas dans les deux ans. Ils n’échapperont en revanche pas à une amende dite ferme, dans le but de leur faire saisir la gravité de la situation. Les prévenus ne peuvent toutefois pas faire valoir de circonstance atténuante, à moins de se lancer dans un parcours du combattant aussi coûteux que hasardeux.

Profond malaise

A la différence de toutes les graves infractions punissables dans notre société, celle de chauffard engendre le malaise pour deux raisons. D’abord, parce que l’infracion est établie par une machine, le radar, considéré infaillible parce que techniquement certifié. Ensuite, parce qu’elle résulte de la violation d’une norme et non forcément d’une mise en danger objectif de biens publics ou de personnes. Le juge, pas plus que le procureur avant lui, ne peuvent faire application d’un principe cardinal du droit pénal selon lequel la culpabilité de l’accusé résulte de l’ensemble des circonstances et de sa personnalité. Cette volonté d’apposer, sans distinction, l’étiquette de chauffard et de punir d’un an de prison au moins tout conducteur flashé au dessus des fameux seuils a fini par heurter le Tribunal fédéral. Par un arrêt rendu l’an passé dans une affaire genevoise, la Haute Cour redonne un peu de marge de manœuvre au juge. Elle a cassé le jugement d’un conducteur ayant été qualifié de chauffard et condamné pour avoir dépassé de 59 km/h la vitesse limitée sur un tronçon d’autoroute limité à 40 km/h, juste avant la douane de Bardonnex. Les juges de Mon-Repos ont renvoyé le dossier à la justice genevoise. Ils ont relevé qu’il convient d’établir «ce que l’auteur d’une infraction savait ou voulait ou ce dont il s’accommodait au moment d’agir».

Ambiguïté dans la loi

Pour autant, la question est loin d’être résolue en raison d’une ambiguïté qui ne cesse de faire débat. L’article 90 de la LCR stipule que «celui qui, par une violation intentionnelle des règles fondamentales de la circulation, accepte de courir un grand risque d’accident pouvant entraîner de graves blessures ou la mort, que ce soit en commettant des excès de vitesse particulièrement importants, en effectuant des dépassements téméraires ou en participant à des courses de vitesse illicites avec des véhicules automobiles, est puni d’une peine privative de liberté d’un à quatre ans». La même disposition ajoute à son paragraphe suivant: «Cette disposition est toujours applicable lorsque la vitesse maximale dépasse les seuils fixés par cet article 90.»

Les conducteurs frappés par l’étiquette infamante de chauffard, mais qui ne se sentent pas des délinquants, auront tout intérêt à ne pas négliger cette ouverture nouvelle pour se défendre. En effet, si on ne s’oppose pas, on mine les possibilités de faire valoir ses droits quand le deuxième coup de fusil – le retrait de permis de deux ans au moins – sera tiré. Face à un jugement pénal entré en force et en l’absence d’éléments véritablement nouveaux, l’administration sera totalement inflexible.

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