ENTRE FARCE ET TRAGÉDIE

Via sicura débouche souvent sur des sanctions brutales, comme le montre le cas des contrôles radar de Bardonnex. Témoignages.

Le cas des contrôles mobiles par radar jumelle effectués par la police genevoise près du poste-frontière de Bardonnex illustre jusqu’à la caricature les dérives tragi-comiques de Via sicura. Nombre d’automobilistes ont été pincés à quelque 700 m de la douane. A cet endroit trônait une signalisation fumeuse à trois niveaux avec, dans l’ordre, une limitation de vitesse à 40 km/h, une indication «douane» et un panneau «150 mètres». Les 150 m se référaient-ils au poste-frontière ou à la distance à partir de laquelle la limitation de vitesse entrait en vigueur? Et comment était-il possible qu’un 40 km/h soit prescrit sur une distance aussi longue? Depuis, l’Office fédéral des routes (Ofrou) a fait modifier l’ordre des panneaux pour les rendre plus clairs, en reconnaissant au passage leur ambiguïté.

Elle estime avoir été piégée

Brigitte (ndlr: ce témoin souhaite garder l’anonymat) estime avoir été piégée par une signalisation peu claire. Le 15 avril 2014, celle qui œuvre dans la communication à Genève est flashée en milieu d’après-midi à 71 km/h. Elle ne sera pas la seule: ce jour-là, entre 14h26 et 15h44, quarante-quatre automobilistes sont dénoncés pour faute grave. Brigitte, qui n’a aucun antécédent en matière d’excès de vitesse, est condamnée par le Ministère public genevois. Déclarée coupable de violation grave des règles de la circulation routière, elle écope, avec un sursis de trois ans, d’une peine pécuniaire de 60 jours-amendes à 50 francs. Elle est en outre sanctionnée d’une amende ferme de 750 fr. accompagnée d’une peine privative de liberté de 15 jours en cas de non-paiement, le tout inscrit au casier judiciaire. Son permis lui est retiré pour trois mois. Elle doit enfin s’acquitter de frais de procédure à hauteur de 260 fr. et d’émoluments au Service des autos pour 280 fr. supplémentaires.

Demande de révision

Brigitte recourt d’abord contre le retrait de permis dans le canton de Vaud où elle avait élu domicile, sans succès (800 fr. de frais de justice). Elle se tourne ensuite vers le Tribunal de police, démarche qui échoue également. Enfin, elle requiert une demande de révision dans le sillage d’une décision du Tribunal fédéral (TF) qui, pour la première fois le 14 septembre 2016, annule une condamnation pour délit de chauffard. Le TF souligne à cette occasion que «la signalisation à 40 km/h sur l’autoroute à l’approche de la douane de Bardonnex, en direction de la France, est peu ordinaire sur une chaussée d’autoroute parfaitement aménagée et n’a pas été étudiée dans le cadre d’une expertise pourtant exigée par la loi». Cette procédure se solde là aussi par un échec.

„J’ai eu l’impression que la justice me tapait dessus aveuglément“

Brigitte

«Il est débile de procéder à des contrôles radar à un endroit où les brusques décélérations à 40 km/h peuvent être dangereuses pour les voitures qui suivent. J’ai le sentiment que Via sicura, en la circonstance, ne sert qu’à se remplir les poches, souligne Brigitte. Je reconnais mon excès de vitesse et je peux comprendre qu’on m’inflige une amende, mais le retrait de permis, l’inscription au casier judiciaire, la menace de prison sont disproportionnés. J’ai l’impression qu’on m’a tapée dessus aveuglément. L’ampleur des peines par rapport à la faute commise, somme toute bénigne, est incompréhensible. A l’époque, j’en ai pleuré.»

Phlippe Bubloz a lui aussi vécu une mésaventure piquante à la douane de Bardonnex. En attente d’une greffe du foie, ce vendeur en machines agricoles reçoit, le 15 décembre 2014 à Laconnex (GE), un appel des Hôpitaux universitaires genevois (HUG). «On me priait de me rendre d’urgence aux HUG. J’ai cru sur le moment que ce téléphone annonçait ma transplantation (ndlr: il s’avérera qu’il s’agissait d’un examen complémentaire). Pour rejoindre plus rapidement les lieux, j’ai pris l’autoroute de contournement en direction de Bardonnex dans la mesure où depuis Laconnex, les HUG étaient plus faciles à atteindre que par le centre-ville», explique le Vaudois âgé de 60 ans. A l’image de Brigitte, Phlippe Bubloz est harponné par le radar jumelle de Bardonnex. Verdict: 82 km/h, réduits à 80 km/h, pour un dépassement de vitesse de 40 km/h qui l’arrache d’un cheveu au délit de chauffard.

Sur le plan administratif, Phlippe Bubloz perd son permis pour une durée de trois mois, une sanction prononcée par le Service des automobiles du canton de Vaud où son véhicule de fonction est immatriculé. Quant au Ministère public genevois, il a la main lourde: «Pour un dépassement de 40 km/h sur une autoroute à un moment de la journée (c’était dans la matinée) où le trafic était clairsemé et alors même que je n’avais aucun antécédent, le procureur m’a condamné à 180 jours-amendes à 180 francs (32 400 francs au total) avec sursis et à une amende immédiate de 8100 francs», déplore-t-il.

Indigné par la disproportion des peines et par le fait que son état de santé et la pression émotionnelle que celui-ci engendre ne soit pas pris en compte (sa transplantation a eu lieu à la mi-janvier 2015), Philippe Bubloz décide de s’adresser au réseau des Avocats de la route (lire ci-contre). Devant la fermeté du Ministère public, ses avocats saisissent le Tribunal de police de Genève. Considérant la situation particulière du Vaudois, ce dernier ramène la peine à 60 jours-amendes à 150 francs avec sursis, sans amende immédiate. Malgré cette victoire, Philippe Bubloz ne décolère pas: «Vous imaginez, même avec sursis, 180 jours-amendes à 180 francs lors du premier jugement! Si vous n’avez pas les moyens de payer, vous allez en prison. Un dealer en plein centre de Genève, un violeur de gamines, quelles sanctions doivent-ils subir? On est dans le deux poids, deux mesures. Dans les villes et villages, il faut que la loi s’applique sans concession, mais sur une autoroute à 4 voies, qui plus est aux heures creuses de la journée, les autorités doivent faire preuve de davantage de discernement. A mes yeux, Via sicura met en place un système dont la seule finalité consiste à gagner du fric sur le dos des automobilistes!»
Contactée, la police genevoise avance l’argumentation suivante: «Les contrôles effectués à proximité du poste douanier autoroutier de Bardonnex, comme dans tout le canton de Genève, entrent dans le cadre d’opérations destinées à lutter contre les comportements routiers dangereux et excessifs et le non-respect des limitations de vitesse. Plusieurs accidents graves sont survenus ces derniers mois surtout dans cette zone.» Elle ajoute: «Pour chacune des opérations de mesure de vitesse, la signalisation routière est systématiquement vérifiée pour s’assurer qu’elle est bien en place et surtout conforme.»

3 Kommentare

  1. Chacun peut tirer ses conclusions. On ne peut avoir aucun respect pour un Etat qui se comporte de la sorte, et encore moins pour les forces politiques qui promeuvent cette situation. Malheureusement, on ne parle pas que de la gauche; une partie de la droite est clairement coupable.

  2. Tout est dit dans le 1er commentaire. Cet “ État “ policier qui nous plume à seules fins de se renflouer à nos dépens ne peut et ne doit en aucun cas être respecté en l’état, n’en déplaise à quelqu’un(e) qui me lira peut-être. Il est absolument choquant par exemple, de voir aussi peu de contrôles en zones 20 ou 30, aux abords des écoles. C’est tellement plus simple et plus rentable de nous flasher dans les grands bouts droits avant qu’on aie eu le temps de freiner

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