En 2014, la découverte d’une des plus anciennes 911 avait défrayé la chronique. Des collaborateurs de l’émission de télé-réalité «Der Trödeltrupp – Das Geld liegt im Keller» avaient déniché, dans une grange du Brandebourg (Allemagne), une Porsche avec numéro de châssis 300057. Des investigations menées avec le Musée Porsche avaient donné aux experts de l’émission la certitude d’avoir débusqué un authentique trésor. Quant au Musée Porsche lui-même, il a pu se convaincre que l’on ne doit jamais renoncer. A Zuffenhausen, l’appel téléphonique a été vécu comme un don divin. La collection de l’usine Porsche abrite quelque 600 véhicules, la majorité d’entre eux se trouvant dans un entrepôt secret. Mais beaucoup d’autres voitures ont été placées en prêt dans des concessions nationales, des musées ou chez des partenaires.
Baptisée 901 à l’origine
Un véhicule faisait cependant défaut à Porsche, celui de la toute première série de production de la 911. Il faut savoir que la 911 est née avec une autre désignation. La nouvelle Porsche présentée au Salon de Francfort en septembre 1963 avait été baptisée 901. Il a fallu attendre près d’un an avant que ne démarre la production. Le 14 septembre 1964, le premier exemplaire de ce 6-cylindres sort des chaînes. Quelques jours plus tard, le nouveau modèle est exposé au Salon de Paris. C’est à ce moment-là que Peugeot découvre l’inimaginable: Porsche viole sa propriété intellectuelle. La marque sochalienne avait fait protéger, pour tous les marchés importants, les numéros à trois chiffres avec le zéro au centre. Que faire? Le patron de Porsche de l’époque, Ferry Porsche, reste stoïque. Dans une lettre du 22 octobre 1964, il décide que la 901 s’appellerait 911, tout simplement. Ce jour-là précisément, à Zuffenhausen, la dernière de trois 901 fabriquées, avec le numéro de châssis 300057, sort dans la cour de l’usine. Il s’agit de la dernière 901 de l’histoire. La voiture est livrée fin 1964, mais déjà sous le sigle 911.
82: c’est le nombre de 901 construites jusqu’à cette fameuse lettre du 22 octobre 1964. Les voitures n’étaient pas fabriquées selon un ordre précis. Il y avait une bonne raison à cela: on envoyait les carrosseries au département peinture en les regroupant selon leurs couleurs respectives, une démarche logique car sinon il aurait fallu changer de teinte pour chacune des coques. Avec à peine trois véhicules conçus chaque jour, seule cette cabine de peinture était en fonction. En outre, dans un premier temps, la 911 n’était qu’un modèle supplémentaire construit à côté de la Porsche 356, que l’on continuera d’assembler jusqu’en avril 1965.
Acquise pour 125 000 francs
Porsche propose à l’ancien propriétaire de la dernière 901 une somme équivalente à 107 000 euros (125 000 francs environ). La collection d’usine achète dans la foulée une autre 911 issue de la même grange du Brandebourg, une 911L de 1968, pour 14 500 euros (17 000 francs). Les deux épaves et un conteneur grillagé truffé de pièces de Porsche découvertes sous un tas d’autres vieilleries et de gravats prennent la direction de l’atelier du Musée Porsche.
Là-bas, il a fallu en vérifier l’authenticité et examiner l’état de la voiture numéro 57. On constate que les ailes avant et les portières manquent. Le précédent propriétaire les avait dévissées et démontées, vu qu’elles étaient rouillées. Il avait jeté la vieille tôle corrodée. Mais bonne nouvelle, les panneaux de portières et, chose très importante, les cadres de fenêtres et vitres latérales, tout comme les boîtiers de phares, figurent dans l’amas de vieilles pièces acquises par Porsche. Avec une extrême prudence, l’équipe du musée trie les restes en veillant à ne rien jeter. Comme prévu, la carrosserie blanche de la 57 présente des traces de corrosion. Mais au lieu d’utiliser des tôles de réparation usuelles, les restaurateurs se procurent une carrosserie blanche intacte d’une date de fabrication aussi proche que possible, à savoir du millésime 1965.
Les principaux responsables du projet, le directeur du Musée Porsche Achim Stejskal, le manager de la collection Porsche historique Alexander E. Klein et le chef de l’atelier du musée Kuno Werner, choisissent, parmi deux méthodes possibles, celle qui est la plus complexe. L’objectif consiste à préserver avec la plus grande fidélité possible la voiture d’origine. Les responsables ne se contentent pas de remplacer la carrosserie, mais ils utilisent celle, intacte, de 1965 comme banque d’organes pour la Porsche de 1964, gravement endommagée, mais beaucoup plus intéressante. Durant la première année de production, le constructeur allemand ne fabrique que 242 exemplaires de sa nouvelle voiture de sport motorisée par un 6-cylindres.
Après un travail manuel considérable et des ajustements – par exemple pour les portières greffées, de manière classique, à l’étain –, la carrosserie soudée est plongée dans un bain de cataphorèse. Pas dans un bain quelconque, mais dans celui de la production de la 911 actuelle. Pour cela, la carrosserie blanche devait être d’une propreté absolue. Avec sa température de 180°C, le bain est en fait trop chaud pour l’étain apposé. Or, il n’est refroidi que pour la pause du week-end. Ainsi, la 300057 a-t-elle reçu sa protection anticorrosion jusqu’au plus profond de ses pores par un bel après-midi de dimanche, peu de temps avant que ne redémarre le long processus de réchauffement du bain pour la première équipe du lundi matin.
Enlever vernis et rouille
Après un démontage total, la tôle de la 57 est mise dans un autre bain pour la débarrasser du vernis et de la rouille. Grâce à la douceur du traitement, toutes les traces d’usinage sont préservées. Ce processus démontre que la 300057 est authentique, car les éventuelles traces de soudure et de ponçage auraient été détectées sans coup férir. Le numéro de châssis gravé sur le longeron droit du coffre avant ainsi que sur l’arête inférieure du tableau de bord, sous la boîte à gants, ne présente aucune trace de manipulation. Le feu vert est dès lors donné à la reconstruction, laquelle dure trois ans.
Cette entreprise s’avère plus compliquée que prévu. On procède à de nombreuses modifications durant les premiers mois de production. Une grande inconnue concerne, jusqu’à la fin, la ligne d’échappement originelle. Selon des photos, la 901 possédait un pot transversal anguleux avec une sortie d’échappement étonnamment longue. Comme l’admet Porsche, il n’y a plus trace de cette pièce d’origine. Sa structure interne est une énigme.
C’est la raison pour laquelle la voiture numéro 57 est dotée d’une ligne d’échappement répondant au schéma d’après-1965. Avec une différence: comme la 356 (et la VW Coccinelle contemporaine), la 901 possédait, sous les bancs de cylindres, une ampoule de chauffage – un échangeur thermique dans lequel l’air frais s’écoulait en longeant les collecteurs d’échappement brûlants. Cela entraînait un problème majeur: les anciens joints de culasse en liège avaient tendance à suinter et l’huile qui tombait sur les échangeurs thermiques causait une odeur désagréable dans l’habitacle. Depuis 1965, ils sont placés plus en avant vers la boîte de vitesses.
Jeu de moquettes recréé
On ne retrouve que d’infimes fragments du ciel de pavillon, mais ils se révèlent précieux: le schéma de perforation dans le similicuir est carré et non pas en forme de losange. Heureux hasard, l’outil utilisé pour les perforations se trouve encore dans les collections de Porsche. Par ailleurs, il a fallu fabriquer deux exemplaires du jeu de moquettes réalisées dans un matériau similaire à l’original car, après un examen attentif, ceux qui avaient été retrouvés n’étaient pas les bons. Quant à certains détails, comme la poignée du cendrier ou le bouton de remise à zéro du compteur journalier, ils ont été fabriqués à neuf par impression 3D. Pour le cendrier, complètement rouillé (!), les spécialistes de Porsche fabriquent un outil adéquat pour emboutir un nouveau fond, tout comme pour les flasques de frein.
Le moteur a dû être révisé, car trop serré. Les pistons étaient pratiquement soudés aux cylindres. Au prix d’une immense patience – à grand renfort de dégrippant, de chaleur et petits coups de marteau secs donnés au bon endroit –, on parvient à les débloquer. Les culasses ont pu être réutilisées, tout comme l’arbre à cames côté droit. Pour le reste, on se dépanne avec des pièces new old stock (NOS). De même, la pompe à essence mécanique est révisée, une spécificité du millésime 1964, car les modèles 1965 possèdent une pompe électrique.
Quand il jette un coup d’œil sous le capot-moteur, le connaisseur reconnaît de suite ce genre de détails. La totalité des vis, la poulie de courroie ainsi que différents supports et brides sont galvanisés en blanc et non pas en jaune comme pour les millésimes ultérieurs. La traverse arrière avec la serrure de capot est lisse, sans empreinte. On remarque par ailleurs des demi-arbres vraiment très particuliers: au lieu d’un arbre denté dans un tube de poussée et de joints homocinétiques avec manchettes, on découvre, côté boîte de vitesses et roue, un joint universel ouvert dont la compensation de longueur, côté boîte, est assurée par un autre court levier intermédiaire sur le joint universel. Aussi bizarre que cela puisse paraître, c’était non seulement plus simple, mais aussi relativement facile à fabriquer.
Conçue pour rouler
Désormais, la 57 arbore sa livrée historique, la couleur originelle 6407 «Rouge signal». Dans l’habitacle, les deux sièges sont encore revêtus du similicuir originel, tous les vitrages étant également d’origine et arborant même les autocollants du propriétaire précédent avec, ici et là, une rayure. Globalement, la voiture n’est pas un véhicule d’exposition restauré ni, a fortiori, un objet de musée. Comme le précise Alexander E. Klein, la dernière Porsche 901 est conçue pour rouler. Ce qu’elle pourra d’ailleurs aussi faire à satiété en cette année anniversaire chez Porsche du moment qu’elle ne trônera pas telle une star sur un podium qui lui est réservé au musée. Nous nous réjouissons de pouvoir bientôt admirer la voiture dans ses œuvres, mais pour l’instant la 300057 doit être rodée. Car tout doit se faire selon les règles de l’art, notamment chez Porsche.