DÉFI SUR UNE BOUTADE

Jeune papa, Bernhard Russi est le seul Suisse à avoir ramené sa Subaru à l’arrivée du Paris-Dakar en 1982. Le champion de ski revient sur sa folle épopée.

«Le Dakar est la chose la plus folle que j’ai faite dans ma vie.» Celui qui le dit n’avait pourtant pas froid aux yeux lorsqu’il dévalait les pistes de ski du monde entier à 140 km/h. Champion olympique à Sapporo en 1972 et double champion du monde de descente, Bernhard Russi figure parmi les personnalités les plus célèbres de notre pays qui ont participé à l’épopée africaine.

Tout a commencé au Salon de Genève de 1981 quand Russi, ambassadeur de la marque Subaru (voir encadré), déclara de but en blanc à Walter Frey: «Regarde, c’est la voiture victorieuse du dernier Dakar, là-bas. Nous pourrions y participer aussi?» Frey saisit la balle au bond: «C’est ce que l’on va faire, et c’est toi qui vas piloter.» – «Moi? répondit Russi, perplexe. Mais je ne sais pas comment faire!» – «Pas de problème, rétorqua Frey, cela s’apprend et je vais te faire épauler par un excellent mécanicien.» Ce dernier avait pour nom Christian Simonett.

Langue française et pâtes italiennes

Pendant que les mécaniciens de Frey assemblaient une Subaru 1800, Russi s’entraînait chez lui, à Andermatt, sous la neige. «Nous avons aussi passé quelques jours à Biarritz où l’on nous a inculqué les fondamentaux du pilotage en rallye.» Quand le jour de décembre fatidique est arrivé et qu’il a fallu quitter Safenwil en direction de Paris, l’aventure a dès le début pris une tournure mouvementée. «A notre arrivée, le moteur a cassé, se souvient-il. Un nouveau bloc a dû être transporté en urgence depuis la Suisse.»

Moins d’une demi-heure avant de passer au contrôle technique, la voiture redémarre. Mais lorsque la légende du ski remet le roadbook à Simonett, ce dernier devient blanc comme un linge. «Tout est écrit en français. Je n’en parle pas un traître mot», s’exclame le navigateur. Les deux hommes décident alors de se fier à leur instinct et aux traces de leurs concurrents. Une devise à l’improvisation qui allaît leur coûter plusieurs surprises: «Tu pouvais filer à 170 km/h dans le désert, puis buter d’une seconde à l’autre sur un tronçon truffé de nids-de-poule», relate Russi. Ainsi, les deux hommes durent-il fréquemment procéder à de plus ou moins longues réparations chronophages. En termes de pilotage par contre, Russi n’était pas largué. «Vers la fin, je me défendais pas mal du tout. Dans les courses de ski aussi, il faut du courage, le sens de la trajectoire et des points de braquage ou de freinage.»

Vers la fin du rallye, lui et Simonett étaient connus comme le loup blanc dans le paddock. «Nos concurrents pariaient régulièrement que nous ne verrions jamais la ligne d’arrivée de l’étape suivante. Les meilleurs arrivaient au bivouac entre 16 et 18 heures alors que nous y parvenions vers deux ou trois heures du matin, mais nous étions à l’arrivée», s’amuse Russi, qui se souvient surtout des moments d’amitié avec plusieurs équipages italiens. «Quelle que soit l’heure à laquelle nous terminions l’étape, ils nous ont toujours préparé un plat de pâtes.» Il faut dire qu’il ne restait pas beaucoup de temps au skieur pour faire la cuisine: «Pendant les vingt jours qu’a duré le rallye, j’ai dormi environ 3 h et demie par nuit. Mais je suis heureux d’avoir vécu une telle aventure, surtout à une époque où tout était encore authentique», relève Russi, aujourd’hui âgé de 69 ans.

Touaregs salvateurs

Les frayeurs n’ont certes pas été exemptes pendant l’épopée des Subaru helvètes. «Un jour, nous étions perdus en plein désert en ayant l’impression de se trouver dans un labyrinthe. Partout, des dunes à perte de vue, et nous étions incapables d’en trouver la sortie. Nous nous sommes regroupés avec d’autres concurrents dans la même situation. Après avoir fait un feu de camp, nous nous sommes concertés sur ce qu’il fallait faire.» Et ce, non sans avoir rédigé une liste de survie avec les réserves d’essence, de boissons et d’alimentation pour chacun. «Nous étions à un stade critique, insiste Russi. Il fallait bien finir par sortir de ce dédale. Mon fils avait alors tout juste deux ans.»

L’ambassadeur de la marque Subaru avait beau être encore en contact radio avec les deux Jeep d’accompagnement, encore fallait-il se situer. «Nous savions que les Jeep n’étaient pas trop éloignées de nous, mais comment peux-tu expliquer où tu te trouves précisément et à quoi cela ressemble autour de toi? Nous avons fait monter notre voiture sur une autre de façon à ce que les phares éclairent la voûte céleste aussi verticalement que possible, en espérant que le cône lumineux puisse être visible dans la nuit noire.» Peine perdue: même avec une boussole et le firmament étoilé, Russi et ses comparses ne sont pas parvenus à localiser les sauveteurs.

Comme surgissant du néant, deux Touaregs apparaissent soudain depuis l’obscurité. «Savez-vous dans quelle direction se trouve Tambacounda?» demandent les rallymen désespérés. «Bien sûr», répondent les Touaregs. Seul hic, les fils du désert voulaient bien leur venir en aide, mais pas avant le lever du jour. «Nous avons alors tout tenté, en les suppliant et en les comblant d’aliments, de lait en poudre et d’autres cadeaux, relate Russi. Il nous fallait absolument rejoindre l’étape pour poursuivre le rallye…»

Finalement, un Touareg monta dans la voiture de Russi et se transforma en véritable système de navigation. «Il disait seulement à droite, à gauche, à droite, à gauche… Je commençais à penser qu’il se moquait de moi quand j’ai senti que nous roulions de nouveau sur une route.» Arrivés sur le tracé du bonheur, Russi lui demanda: «Dans quelle direction dois-je maintenant rouler? Le Touareg a tendu le bras et j’ai noté la direction avec la boussole.»

Embrayage rétif et happy end

Tout est bien qui finit bien? Pas lorsque l’embrayage rendit l’âme peu après. «Je crois qu’un câble quelconque que l’on ne pouvait plus remplacer s’était cassé», résume Russi. Or, le règlement du Rallye Dakar prescrit qu’une voiture doit pouvoir démarrer d’elle-même. «J’ai demandé à l’organisateur de faire preuve d’un peu de clémence après ce que nous avions déjà enduré. C’est finalement un compatriote valaisan qui nous est venu en aide en percutant simplement l’arrière de la Subaru. J’ai eu l’impression de faire un bond de vingt mètres en l’air, mais j’ai réussi à faire redémarrer la voiture!» Le plus lentement possible, le champion de ski a alors cahoté en direction de la ligne de départ.

Finalement, l’histoire s’est terminée sur un happy end presque kitsch. Russi et Simonett furent le seul et unique équipage Subaru à rallier l’arrivée. «A 100 mètres du drapeau à damier, notre moteur a explosé, se rappelle Russi. Nous avons littéralement laissé la voiture rouler jusqu’à la ligne d’arrivée et elle s’est arrêtée définitivement dix mètres après celle-ci.» Malgré un tel exploit, Bernhard Russi n’est pas un collectionneur de trophées: «Chez moi, vous ne trouverez pas la moindre médaille ou coupe gagnée comme skieur professionnel.» Seule une photo du désert du Sahel sur un mur lui rappelle sa participation au Rallye Dakar de 1982. Mais il y a aussi un petit carnet dans lequel Russi, pendant le rallye, notait chaque jour les sentiments qui lui passaient par la tête. «Je me suis dit que j’en ferais peut-être quelque chose un jour, mais je n’en ai pas encore eu l’occasion jusqu’à aujourd’hui». Qui sait? 

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