L’Alliance au-delà de Carlos Ghosn

ÉCONOMIE Après l’arrestation et l’éviction probable du PDG de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, les questions sur la subsistance de ce partenariat complexe qui dure depuis 20 ans émergent.

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Il a été l’homme du redresse­ment de Nissan et de son rap­prochement à Renault, il se re­trouve aujourd’hui rejeté par l’empire qu’il a créé. Carlos Ghosn, arrêté par la police japonaise lundi à Tokyo, doit répondre d’accu­sations de malversations. Si le Groupe Renault a nommé Thierry Bolloré à sa place ad interim et doit se pronon­cer vendredi sur le sort à réserver au PDG, Nissan et Mitsubishi n’ont pas attendu longtemps pour préconiser la sortie de Ghosn. Il est reproché au PDG de 64 ans de n’avoir déclaré que la moitié de ses revenus de 2011 à 2015 au Japon (37 millions d’euros, au lieu des 78 qu’il a réellement empoché), d’avoir dé­tourné des fonds et utilisé des biens de l’entreprise à son avantage. Le pré­sident exécutif de Nissan, Hiroto Sai­kawa, a aussi pointé du doigt «la concentration des pouvoirs sur une seule personne». Si la chute de l’Imperator – son surnom – paraît imminente à l’heure où sont imprimées ces lignes, reste la grande question: est-ce que l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, que Ghosn a largement construite, pour­ra survivre à son départ?

Nissan privée de droit de vote
Pour répondre, il convient de rappeler la genèse et la structure de cette Al­liance. En 1999, Renault volait au se­cours d’une Nissan quasi en faillite, en injectant 5 milliards dans le constructeur japonais et en s’accapa­rant 36,4% de son capital. Ghosn est envoyé par le PDG de Renault de l’époque, Louis Schweitzer, pour re­dresser Nissan. Le Franco-libanais-brésilien sort rapidement le japonais du gouffre en appliquant une politique drastique de réduction des coûts. Nissan s’arroge entre-temps de 15% du capital de Re­nault, sans droit de vote, tandis que la participation du Losange dans Nis­san grimpe à 43,4%. En 2016, Mitsu­bishi rejoint l’Alliance via une prise de participation de Nissan (34%) au­près de la firme aux trois diamants. Le bloc franco-japonais devient même le premier groupe mondial pour les véhicules légers en 2017, de­vant Volkswagen et Toyota, avec 10,6 millions de véhicules vendus.

Des économies de masse
Ces rapprochements sont régis par la volonté de réduire les coûts via un partage des composants et une mise en commun des développements. Par exemple, les Micra et Clio utilisent depuis 2002 la même plateforme, pro­jetée ensemble; une vingtaine de mo­dèles employant cette base – renou­velée en 2010 – ont vu le jour.

En 2013, Renault et Nissan le­vaient le voile sur leur CMF (Com­mon Module Family), une plate­forme modulaire, à la façon de la MQB de VW, reposant sur l’assem­blage de modules interchangeables (compartiment moteur, cockpit, sous-caisse avant et arrière, architec­ture électrique et électronique). Onze modèles – sept Renault et quatre Nis­san – emploient aujourd’hui cette structure adaptable, tels le Qashqai ou le Kadjar. Cinq autres modèles, dont les nouveaux Juke et Captur, l’emploieront à leur tour d’ici 2020. Les effets de l’Alliance deviennent concrets aussi pour Mitsubishi, dont un utilitaire – sur base de Renault Trafic – sera assemblé dans l’usine Renault de Sandouville.

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Quatre plateformes pour 2022
L’Alliance prévoit d’employer quatre plateformes seulement pour neuf des quatorze millions de véhicules es­comptés par l’Alliance pour 2022. Les trois-quarts de ces véhicules uti­liseront des motorisations com­munes, contre un quart en 2017. Ces synergies autorisent des éco­nomies substantielles: l’Alliance es­père ainsi épargner en 2022 le double des 5 milliards d’économies réalisés en 2016. L’ordre de marche prévoit aussi le lancement de douze modèles 100% électriques, un axe de dévelop­pement essentiel à l’heure où l’on parle de transition énergétique.

Stabilité à moyen terme
On le comprend, à moins d’un trem­blement de terre, ces relations sont trop profondément imbriquées, et les engagements trop importants, pour qu’ils soient dénoncés à court et moyen terme. Dans un contexte où tous les constructeurs cherchent à nouer des partenariats, des rappro­chements, voire des fusions pour cir­conscrire les coûts, il est impensable que l’Alliance vole en éclat à cause du seul départ de Ghosn.

Nouvel équilibre des forces
Une redistribution des cartes est prévisible, avec l’établissement d’un nouvel équilibre des forces. En effet, derrière les paroles de Sai­kawa, qui dénonce la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul homme, on décèle une envie de re­donner du poids à Nissan. D’après certains experts nippons, l’ascendant français sur le constructeur japonais serait assez mal vécu, ne serait-ce que parce que Nissan est le plus fort contributeur aux 10,6 millions de vé­hicules vendus en 2017, avec 5,82 mil­lions d’unités. Renault en plaçait 3,76 millions «seulement» durant la même période. A cela s’ajoute l’absence de droits de vote, malgré les 15% de par­ticipation au capital de Renault. Une situation d’autant plus mal vécue que l’Etat français, qui détient 15% aussi du capital du Losange, a droit à 17,9% des droits de vote, ces derniers pouvant doubler dans les situations «à caractère exceptionnel» (cession de plus 50% des actifs de Renault, etc.). A ce propos, en vertu d’une loi japonaise, si la participation de Nis­san dans Renault augmentait de 10% (à 25%), le Losange perdrait tout droit de vote sur le japonais. Un scé­nario «bras de fer» que le départ très probable départ de Ghosn n’exclut pas

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