Du plomb dans l’Alliance

INDUSTRIE Le brutal arrêt à la fusion entre FCA et le Groupe Renault, suite à la tiédeur exprimée par Nissan et l’Etat français au projet, a ravivé les tensions au sein d’une Alliance déjà mise à mal par l’affaire Ghosn.

Tout ça, pour ça: la fusion entre le Groupe Renault et FCA n’aura finalement pas lieu. Du moins, pas maintenant.

 Tout ne semblait qu’une formalité. On se disait que la flamme déclarée publique­ment par FCA au Groupe Renault, en vue d’une union paritaire, cachait en réa­lité des négociations très avancées. On pensait qu’il ne manquait que les dernières signatures pour pa­rachever l’oeuvre voulue par John Elkann et Jean-Dominique Senard, respectivement présidents de FCA et de Renault. S’il se raconte que les deux hommes ont effectivement mené d’intenses discus­sions en coulisses en vue de la fusion, les jeux étaient loin d’être faits. La preuve, quand, jeudi 6 juin, FCA signifiait le retrait «avec effet immédiat» de la proposition, évoquant des «conditions poli­tiques» qui «n’existaient actuellement pas en France». Une accusation à peine voilée à l’Etat français, actionnaire à hauteur de 15% de Renault, qui se serait montré trop gourmand dans ses pré­tentions: d’après les indiscrétions, le gouvernement aurait requis un siège dans le conseil d’administra­tion, un droit de veto pour la nomination du PDG du groupe, l’installation du quartier général à Pa­ris et une protection des emplois en France. «Cela n’a rien à voir avec des décisions d’ordre managé­rial, avance Andreas Herrmann, professeur de ma­nagement à l’Université de Saint Gall. Il s’agit uni­quement d’un jeu politique.»

FCA impatient
Ce n’est pas tout. Les représentants de Bruno Le Maire – ministre français de l’Economie – auraient demandé aux administrateurs du Losange un mo­ratoire avant de se prononcer en faveur d’une fu­sion. Le but, laisser le temps aux politiciens fran­çais de «travailler au corps» leurs homologues ja­ponais, afin de faciliter l’acceptation de cette union chez Nissan. La marque nippone, détenue à 43,4% par le Groupe Renault et partenaire de l’Alliance, n’était, en effet, guère enthousiaste à l’idée d’une fusion entre le Losange et FCA; la balance aurait davantage pesé du côté européen, alors que Hiro­to Saikawa, Président de Nissan, se bat pour rame­ner du poids vers le Japon. Le «tombeur de Ghosn» se serait ainsi abstenu sur la question, au sein du conseil d’administration; une abstention (à titre consultatif, Nissan n’ayant pas de droits de vote chez Renault) qui en dit long sur l’envie de voir Renault et FCA s’unir. «Il est possible que Nissan se soit retrouvé à un rôle secondaire, que ses intérêts ne soient pas justement représentés au sein de cette nouvelle structure, analyse Andreas Herrmann. A la fin, il s’agit d’un jeu de pouvoir. L’arrivée d’un nouveau partenaire redistribue très souvent les cartes.» Les demandes de l’Etat fran­çais, en vue de préserver son influence et la posi­tion de Nissan, finiront par épuiser la patience de John Elkann, qui se retirera brutalement de la table des négociations.

Posture agressive
A la suite de ce camouflet, Jean-Dominique Senard adoptera une posture agressive, en envoyant une lettre à Nissan dans laquelle il menace de bloquer la nomination de la nouvelle gouvernance de Nis­san. Nissan a déclaré, par voie de communiqué, trouver «cette attitude très regrettable», puisqu’elle «contrevient aux efforts de l’entreprise d’améliorer sa gouvernance». Une attitude surprenante, puisque Renault n’a plus le droit d’interférer (de­puis 2015) sur les nominations au sein du conseil d’administration de Nissan. En cas de manque­ment à cette règle, Nissan peut augmenter sa par­ticipation dans Renault de 15 à 25%, ce qui, en ver­tu des lois japonaises, annulerait les droits de vote du Losange au sein du conseil d’administration de Nissan. Pour Andreas Hermman, ces escar­mouches ne sont pas si graves: «Je ne prendrais pas ces menaces trop au sérieux. Cela fait partie du jeu, afin de gagner du pouvoir.» Ce jeu dangereux, qui peut déboucher sur une implosion de l’Alliance, a, en effet, été tempéré mardi par Saikawa; le Président de Nissan a réité­ré au Financial Times l’importance de maintenir la collaboration avec le Groupe Renault. «Aucun des deux acteurs n’est assez fort aujourd’hui, en particulier avec les investissements nécessaires, pour survivre seul», souffle encore Andreas Herr­mann.

Ghosn en clé de voûte
La balle est maintenant dans le camp de Renault, qui siégera à l’assemblée générale de Nissan, pré­vue le 25 juin. C’est là que la nouvelle structure de gouvernance (à trois commissions indépendantes) sera adoptée. Le Losange craint une ultérieure perte d’influence au sein de Nissan. «Toute la rela­tion avec Nissan a été conçue par et pour un seul homme en clé de voûte», Carlos Ghosn, explique un proche de Renault au magazine économique Le Point. L’ancien homme fort de l’Alliance avait, en occupant tous les postes clés (il était PDG de Renault, Nissan et Mitsubishi), rendu impossible un coup d’Etat.

Retour de FCA?
Avec le système Ghosn qui s’effondre, c’est toute la structure de l’Alliance – conçue autour de lui – qui s’effrite, les luttes de pouvoir reprenant de plus belle. Jean-Dominique Senard se retrouve ainsi dans l’inconfortable situation d’avoir un partenaire ja­ponais aux envies de pouvoir, soutenues indirecte­ment par l’Etat français. Le gouvernement, conscient de l’importance de Nissan pour l’Al­liance et pour le Groupe Renault, n’a pas voulu courir le risque de froisser le partenaire nippon, en donnant son aval sans condition à une fusion avec FCA. Or, Jean-Dominique Sénard comptait sur la création de ce colosse pour peser davantage face à Nissan dans l’Alliance, voire pour se prémunir de lourdes conséquences en cas de divorce. Une situa­tion difficile pour le président de 66 ans, mais tout ne serait pas terminé: des rumeurs font état d’un possible retour de FCA à la table des négociations. Les raisons qui ont mené au rapprochement sont toujours d’actualités. «L’automobile connaît un changement radical, les anciens modèles d’affaires ne fonctionnent plus du tout, explique Andreas Herrmann. Il faut des investissements gigantesques pour développer la voiture électrique et autonome. Le partenariat ou la fusion est l’une des façons de répondre à ce défi. Probablement que tous les ac­teurs ne survivront pas à cette phase.» Une affaire à suivre, le feuilleton de l’été a déjà débuté.

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