Le dépassement dangereux, toujours une faute grave

DROIT Un dépassement dangereux est une faute grave, même s’il est interrompu à temps. C’est en tous les cas l’avis du Tribunal fédéral dans un arrêt daté de la fi n août. Les autorités cantonales n’étaient pas de cet avis.

En décembre 2015, un automobiliste appenzellois entreprend de dépasser une Renault rouge qui le précédait. Après avoir débuté sa manœuvre, l’automobiliste remarque qu’un véhicule, une Jeep grise, arrive en sens inverse. Il freine et se rabat derrière la Renault rouge. L’accident est évité, mais le conducteur de la Jeep a dû dévier sa course dans le champ longeant la route. Contrairement au Ministère public, qui estimait que l’infraction commise était grave, le Tribunal de première instance appenzellois n’avait pas retenu l’imprudence ou l’inconscience contre l’automobiliste. En effet, bien que le dépassement fût risqué, l’automobiliste a interrompu sa manœuvre à temps en constatant la survenance d’un danger. Le Tribunal avait alors qualifié l’infraction de légère et infligé au contrevenant une simple amende de 2000 Fr. Saisi d’un recours du Ministère public, le Tribunal cantonal supérieur avait confirmé cette décision. Non satisfait de cette réponse, le Ministère public appenzellois décide alors de saisir le Tribunal fédéral. Le Tribunal fédéral annule le jugement des autorités cantonales et qualifie le comportement de l’intéressé d’infraction grave aux règles de la circulation routière. L’affaire est ainsi renvoyée au Tribunal cantonal pour une nouvelle décision.

Le raisonnement du Tribunal fédéral
A l’appui de son raisonnement, le Tribunal fédéral rappelle tout d’abord les conditions d’application de la faute grave, telles que prévues à l’art. 90 al. 2 LCR. Cette disposition stipule que le contrevenant doit objectivement avoir violé une règle de circulation importante et doit avoir créé un danger, même abstrait, pour la sécurité routière. D’un point de vue subjectif, l’automobiliste doit avoir conscience du danger potentiel qu’il a créé ou n’avoir – par im-prudence ou négligence – pas pris en compte l’existence dudit danger. Si l’un de ces deux éléments (objectif et subjectif) de la faute grave n’est pas réalisé, alors l’infraction doit être qualifiée de légère. Selon les autorités cantonales appenzelloises, la condition d’application subjective de la faute grave ne pouvait être retenue, puisque le conducteur s’était ravisé à temps, ce qui empêchait de retenir une imprudence crasse.
Le Tribunal fédéral n’est pas de cet avis. Selon lui, un dépassement, notamment sur des routes à circulation dans les deux sens, est l’une des manœuvres les plus dangereuses qui soit. Il rappelle ainsi qu’en raison de sa dangerosité, un dépassement ne peut être entrepris que si rien ne l’interdit formellement, si l’espace nécessaire est libre et dé-gagé et si les usagers venant en sens inverse ne sont ni gênés, ni entravés (art. 35 al. 2 LCR; ATF 129 IV 155). Il ajoute que c’est dès le départ que l’automobiliste doit avoir la certitude qu’il peut effectuer sa manœuvre en toute sécurité et sans mettre en danger des tiers. Fort de ces rappels, la Haute Cour indique que le dépassement avait été entrepris sans visibilité suffi sante, ce qui le rendait objectivement dangereux et de nature à créer un risque d’accident. Les éléments objectifs de la faute grave étaient ainsi réalisés.

Une présomption suffit
Ce point ne prête à aucune contestation. Ni l’automobiliste, ni les juges cantonaux, n’avaient osé prétendre que le dépassement n’était pas, en lui-même, dangereux. C’est l’élément subjectif, soit la prise en compte du caractère dangereux du dépassement, qui a toujours fait débat.
En référence à un précédent arrêt de 2018, le Tribunal fédéral indique qu’un comportement particulièrement grave sur le plan objectif permet de présumer l’existence d’une intention ou d’une négligence grave sur le plan subjectif. Le Tribunal fédéral indique ainsi que le caractère objectivement très risqué du dépassement suffi rait à lui seul à présumer l’existence d’un comportement intentionnel ou gravement négligent. Dès lors que l’automobiliste avait, de surcroît, admis n’avoir pas eu la visibilité suffisante au moment d’initier son dépassement, le Tribunal fédéral retient qu’il avait nécessairement eu conscience du danger au moment d’initier sa manœuvre. Plus encore, le fait qu’il se soit ravisé prouve qu’il en avait conscience. Aussi, l’infraction grave était réalisée aux yeux du Tribunal Fédéral, peu importe que le conducteur se soit ensuite ravisé à temps.


La présomption, justice d’avenir ou raccourci risqué?

En droit pénal, la présomption légale est une inversion partielle du système de la preuve. Elle permet à l’autorité – lorsque deux éléments sont nécessaires pour retenir une infraction – de n’apporter la preuve que de l’un des deux éléments, pour en déduire l’existence du second. La présomption est dite «réfragable» lorsque le prévenu peut, s’il y parvient, prouver l’inverse, soit l’inexistence du second élément. Elle est, par contre, qualifiée d’«irréfragable» lorsque le prévenu n’a pas la même possibilité d’apporter une preuve contraire. Si ces présomptions ont toujours existé, le Tribunal fédéral semble toutefois en admettre une application plus large et automatique. Cela n’est d’ailleurs pas sans rappeler la «présomption irréfragable d’intention» que le Tribunal fédéral avait attachée au délit de chauffard (1C_397/2014). Et ce, au grand dam des autorités pénales, qui regrettaient la condamnation d’automobilistes sur la base d’un raisonnement «critiquable au regard des principes généraux du droit» (AARP/257/2015). Le Tribunal fédéral a, certes, assoupli – bien qu’insuffi samment – sa jurisprudence sur le délit de chauffard et sa présomption d’intention (6B_167/2015). La présomption utilisée dans cette affaire peut, par ailleurs, être renversée et n’est donc pas immuable. Il n’en demeure pas moins que l’usage de telles conjectures conduit, de manière générale, à une simplication de la tâche des autorités pénales. Elles sont ainsi dispensées d’établir l’existence d’un élément à charge; c’est au prévenu d’apporter la preuve du contraire. Or, cette contre-preuve n’est pas toujours aisée, surtout lorsque le prévenu doit apporter la preuve de quelque chose d’aussi immatériel que son état d’esprit à un moment donné. Ne dit-on d’ailleurs pas que la simplification est le pire ennemi de la vérité ? En tous les cas, la multiplication et l’élargissement de ces présomptions font craindre un glissement inquiétant, vers un droit pénal automatisé… ou robotisé.

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