Conversation avec Bernhard Maier, CEO de Škoda, qui évoque le succès de sa marque en Suisse, les fortes tendances du moment et leurs conséquences sur la planète.
Revue Automobile: Bernhard Maier, le monde de l’automobile a actuellement le vertige. Vous adorez, quand ça bouillonne?
Bernhard Maier: Nous adorons relever des défi s et affronter la nouveauté avec courage et passion. C’est notre leitmotiv depuis 124 ans, et nous entendons y rester fi dèles. Eh oui, j’aime quand ça bout.
L’Octavia est n° 1 en Suisse depuis plusieurs années, pourquoi à votre avis?
Nos valeurs sont en phase avec celles des Suisses: ingéniosité, pragmatisme, fiabilité et maintien des valeurs. Mais la marque est aussi synonyme de surprises, de solutions que l’on n’attend pas dans une voiture, comme le parapluie dissimulé dans la portière, les astuces pour le chargement des bagages ou le gratte-glace intégré au couvercle de réservoir.
Est-ce pour cela que les Suisses figurent parmi vos clients les plus fidèles?
Pas seulement! Nos produits sont synonymes d’une habitabilité supérieure à la moyenne, d’un maximum de fonctionnalité, d’un rapport prix-prestations convaincant et d’un design épuré au caractère affirmé. Cet ensemble de valeurs est très apprécié en Suisse – et sur bien d’autres marchés aussi.
Allez-vous pouvoir défendre votre rôle de leader avec l’électricité aussi?
Nous traversons la plus grande phase de transformation à laquelle le monde de l’automobile a dû faire face. L’avenir sera électrique – mais les mutations ne se produisent pas du jour au lendemain. Nous partons du principe que nous aurons un taux de voitures électriques de 25% en 2025. En d’autres termes, 75% de nos véhicules seront encore propulsés par un moteur thermique moderne.
Pouvez-vous vous payer ce luxe?
Nous pouvons nous payer le luxe d’écouter nos clients pour leur proposer le produit ou le service qui leur correspond. Nous sommes certains d’arriver au bon moment avec la Superb iV, notre première Plug-in Hybrid, et la Citigo-e iV, notre première auto 100% électrique.
En quoi est-ce exactement le bon moment?
Parce que nous remplissons les exigences essentielles de la clientèle: autonomie supérieure, durée de recharge raccourcie et – ce qui est particulièrement important pour nous chez Škoda – des prix abordables. Notre Citigo-e-iV 100% électrique offrira une autonomie idéale au quotidien de 260 km.
Škoda a donc encore des munitions?
Nos deux premiers modèles iV sont révélateurs de notre stratégie: nous allons graduellement électrifier toute notre gamme. La production en série de notre première grosse électrique va débuter l’an prochain. D’ici à la fin de 2022, nous aurons déjà dix modèles partiellement ou totalement électriques. Et, entre 2019 et 2022, nous allons commercialiser au total 30 nouveaux modèles.
Vous avez qualifié la numérisation, la mondialisation, les mutations démographiques et la durabilité de mégatendances du présent. Au milieu de tout cela, lesquelles ont la priorité à votre sens?
On doit tout prendre en considération simultanément, car les influences sont réciproques. A mon avis, les mutations démographiques sont cependant la grande tendance la plus durable.
Dans quel sens?
Elles évoluent de manière différenciée à travers le monde. Avec des répercussions concrètes sur les défis géopolitiques, sur les paix sociales nationales respectives et sur les contrats de génération. Nous vivons dans une société en sénescence. Au Japon, par exemple, il y a davantage de gens âgés de plus de 60 ans que de moins de 15 ans. Ce sera la même chose en Europe d’ici à 2030. Ce qui constitue un défi difficile à relever pour les systèmes sociaux.
Et pour l’industrie automobile?
Egalement. Notre clientèle est très hétérogène sur les marchés mondiaux. En Europe de l’Ouest, nos clients ont plus de 50 ans, alors qu’ils ont à peine plus de 30 ans en Chine. On assiste par ailleurs à une urbanisation rapide. Nous allons voir émerger des modes de vie dans lesquels habitat, travail et loisirs fusionneront de plus en plus. Cela – en combinaison avec la numérisation et la durabilité – va nous confronter à des défis inédits, mais aussi nous offrir simultanément d’énormes opportunités.
Au vu de toutes ces modifications et incertitudes, il n’a sans doute jamais été plus difficile d’être CEO d’une grande marque automobile?
C’est en tout cas une mission passionnante! Pour moi, une chose est sûre: à l’avenir aussi, la mobilité individuelle restera une motivation essentielle de toute société prospère. Nous savons que le niveau de vie dans le monde va, en moyenne, devenir deux fois meilleur au cours des prochaines années, par exemple en Inde, où de nouvelles classes moyennes émergent.
Qu’est-ce que cela signifie pour Škoda?
De concevoir l’offre appropriée pour chaque client. Ce que nous faisons par exemple avec notre projet India 2.0. L’an prochain déjà, à Auto Expo, à Delhi, nous allons donner un aperçu concret de notre portefeuille de modèles INDIA 2.0.
A l’avenir, quand chaque personne se déplacera en utilisant le moyen de transport le plus adapté à son trajet, les constructeurs automobiles devront-ils envisager des coopérations jadis inimaginables?
Des changements surviennent dans tous les domaines de la vie quotidienne, dans le sillage de la numérisation. A l’avenir, la voiture va se muer en smartphone sur roues et ainsi, aux côtés du domcile et du lieu de travail, devenir la «perfect third place», la troisième sphère de vie parfaite, donc. On y passera bien davantage de temps. Mais cela impliquera un gros trafic de données numériques, domaine dans lequel nous avons le soutien de sociétés extérieures à l’industrie automobile.
Škoda est très active dans la coopération avec les start-up, essentiellement en Israël. Par exemple avec Chakratec, qui a mis au point une technologie cinétique de stockage d’énergie avec un nombre illimité de cycles de charge et décharge, ou avec Anagog, qui extrapole des schémas de mobilité grâce à l’intelligence artificielle par le biais de plus de 100 applis de smartphone, avec jusqu’à 10 millions d’usagers actifs. Pourquoi donc Israël?
Après la Silicon Valley, Tel Aviv est devenu le deuxième plus grand hub pour les start-up, en parti-culier dans le domaine de la cyber sécurité – un domaine très important pour nous. C’est pourquoi nous sommes représentés dans ce pays depuis janvier 2018 avec le DigiLab Israel. Du fait de leur état d’esprit, Škoda et les start-up de ce pays vont très bien ensemble: courage, créativité, curiosité, rapidité, stratégies non conventionnelles et flexibilité. Enfin, Škoda est depuis sept ans la marque européenne la plus forte en Israël et le quatrième plus grand constructeur du pays, avec une part de marché supérieur à 8%.
Quelle est donc, au sein d’un groupe multimarques comme Volkswagen, l’autonomie de la marque Škoda?
Le groupe Volkswagen redéfinit le partage du travail et répartit ainsi la responsabilité sur plusieurs épaules. Nous construisons par exemple le moteur EA 211 ou le DQ200 non seulement pour nos propres modèles, mais aussi pour d’autres marques du groupe; nous sommes responsables de la HMI dans le segment d’entrée; nous assumons la responsabilité des activités du groupe en Inde et en Russie. Toutes les marques profitent de la synergie du groupe, à laquelle elles contribuent aussi elles-mêmes.
La branche est actuellement en crise. Les marchés se contractent, ce à quoi s’ajoute la transition vers la e-propulsion, avec de lourds investissements en infrastructures et capital humain à la clé. Quelle est la réaction de Škoda?
Selon une étude du World Economic Forum, au cours des prochaines années, la numérisation annihilera 75 millions d’emplois. Mais, simultanément, elle devrait en générer 133 millions. Pour beaucoup de ces nouveaux profils professionnels, nous ne connaissons aujourd’hui encore même pas la désignation exacte. C’est pourquoi nous avons mis sur pied un vaste programme de formation continue. En plus, nous voulons investir, au cours des années qui viennent, 40 millions d’euros par an dans la formation initiale et continue, et ce afin de préparer notre personnel à de nouveaux types d’activité.
Aujourd’hui, 1,4 milliard d’autos sont immatriculées dans le monde. Les spécialistes estiment qu’elles seront plus de 2 milliards en 2050. La situation de la branche n’est donc pas si mauvaise, non?
L’économie est rythmée par des cycles. D’après les spécialistes, on produira et vendra à nouveau environ 80 millions de voitures dans le monde entier cette année; d’ici à 2030, en raison des besoins croissants de mobilité individuelle, ce nombre augmentera à environ 100 millions. Avec, toutefois, des évolutions très différentes, selon les marchés. Nous avons bien l’intention de nous arroger un gros morceau de ce gâteau.
Une dernière question: quelle propulsion va émerger le plus fortement ces prochaines années?
Si l’on tient compte uniquement du degré de maturité, ce sera la propulsion électrique par batterie qui – aux côtés de l’essence, du diesel et du gaz naturel – devrait le plus progresser ces dix prochaines années. Le marché décidera si elle sera hybride ou 100% électrique. Pile à combustible et hydrogène seront des alternatives intéressantes dans un avenir plus éloigné, mais uniquement lorsque l’hydrogène sera d’origine régénérative et que l’on disposera d’une infrastructure performante.
Instagram @revueautomobile
Facebook @revueautomobile.ch
Twitter @Automobil_Revue