Superfast à travers les étoiles

SURFIN Quand la gastronomie et la technologie de pointe sont en harmonie, l’explosion de saveurs est au rendez-vous. En route pour un roadtrip culinaire avec la Ferrari 812 Superfast.

Fréquenter les restaurants étoilés ou acquérir une Ferrari, voilà deux bonnes façons d’agrémenter le quotidien par des plaisirs sans cesse renouvelés. La cuisine raffinée ouvre de nouvelles sphères de plaisir, pour la plus grande satisfaction des clients exigeants. Quand on évoque Ferrari, on verse dans la haute gastronomie mécanique. Le mariage entre automobile et grande cuisine ne date pas d’hier, si l’on se réfère aux travaux des frères Edouard et André Michelin (voir encadré). C’est dans ce même esprit que nous prenons le volant de la Ferrari 812 Superfast, pour un voyage galactique dans le monde des étoiles Michelin.

Pour réaliser la 812 Superfast – la spécialité de Maranello – le département de recherche et développement de Ferrari a mis à contribution toutes ses connaissances, son savoir-faire et son expérience. Le met sorti des cuisines de Modène défie la raison, il repousse une nouvelle fois les standards déjà élevés de Ferrari en matière de supercar à moteur avant. Le plat de résistance est bien sûr le nouveau 12-cylindres, qui s’inscrit dans la plus pure tradition de Ferrari. Le nom Superfast se réfère d’ailleurs au coupé 500 Superfast des années 1960, qui filait comme le vent avec son V12 de 400 ch. La 812 contemporaine double la mise, à 800 ch: aucune Ferrari de série n’a jamais été aussi rapide. Le couple monumental culmine à 718 Nm à 7000 tr/min, mais au moins 80% de cette force s’abat sur le vilebrequin dès 3500 tr/min. Sans se cabrer, le cavallino de 1,6 t fonce à 100 km/h en 2,9 secondes, puis passe la barre des 200 à peine 5 s plus tard (7,9 s). Nous mettons moins d’une heure pour rejoindre Staufen im Breisgau depuis Bâle – en Suisse, les limitations de vitesse brideraient l’étalon à un tiers de son galop maximal (plus de 340 km/h). 

Nous nous rendons alors à la distillerie Schladerer, installée à Staufen depuis 1844. Nous repartons de l’usine avec une bouteille de Markgräfler Chriesiwässerli de cinq ans d’âge, mais sans passer par la case dégustation, pour quelques raisons évidentes… Retour à la case départ, à l’hôtel Bad Bubendorf près de Bâle.

Nous faisons une halte au restaurant Traube à Tonbach (Allemagne). Nombreux sont les clients du chef étoilé Florian Stolte (ci-dessous) à venir en V12 à l’établissement.

Le Superfast offre une expérience de conduite unique, un vrai cadeau de Noël avant l’heure. Avec la fougue de l’étalon italien, il est facile de rater les repères de freinages habituels. Mais, avec les freins en carbone-céramique (de série), il est toujours possible d’y remédier avec maestria.  

L’angle de 65 degrés entre bancs de cylindres, inhabituel, est celui des 12-cylindres de F1 du début des années 90. La particulière séquence d’allumage imprime un timbre sonore incomparable. La boîte de vitesses est rejetée sur l’essieu arrière – selon le schéma transaxle cher à Maranello – pour une meilleure répartition des masses. Pour faire encore mieux que la F12 Berlinetta, déjà considérée comme une référence, les ingénieurs de Maranello ont fait preuve d’encore plus de dévouement et de passion. Ils ont notamment opté pour une admission variable issue de la formule 1, qui optimise le couple sur une plage de régime plus large, et pour une augmentation de la cylindrée de 6,2 à 6,5 l. Enfin l’injection directe haute pression à 350 bar est utilisée pour la première fois dans un moteur à essence haute performance.

Côté cuisine, un même niveau d’excellence est indispensable pour l’attribution des étoiles Michelin. Rien n’échappe aux experts du célèbre guide, de la technique de cuisson à la qualité des produits, en passant par l’équilibre et l’harmonie des saveurs, la signature du chef et la constance dans l’exécution. 

La première étape de ce roadtrip culinaire prend place à Staufen im Brisgau. C’est là que Johann Georg Faust, qui servi d’inspiration à Goethe, a vécu plusieurs années. 

Chez Ferrari, les exigences que la marque s’impose à elle-même ne sont pas si différentes, notamment en matière de sonorité. Le chemin du retour vers Bâle nous permet d’apprécier la captivante symphonie du V12, qui fluctue au gré de la charge et de la vitesse: une véritable drogue pour l’ego. Les notes de l’échappement à clapet ne versent pas dans la vaine agressivité, mais cultivent un timbre soyeux. Le déploiement des 800 ch via le vilebrequin est du même tonneau: pas de big bang, mais un tempérament très équilibré. La boîte de vitesses à double embrayage et 7 vitesses a vu ses rapports raccourcis en moyenne de 6% par rapport à l’unité précédente. Dans la haute gastronomie, la réduction des portions est bien plus drastique, surtout si on les compare avec les copieux menus servis dans les bistrots de village. Cette approche est nécessaire si l’on veut que les éruptions sur assiette fassent tout leur effet. Passons la septième pour découvrir l’Osteria Tre du Bad Bubendorf.

L’Osteria Tre, c’est un peu la Ferrari parmi les restaurants italiens de Suisse. Le chef Flavio Fermi, à l’instar des artistes automobiles de la Scuderia, ne fait aucun compromis en matière de qualité et d’italianità. Le goût et l’authenticité sont, pour ce Bâlois aux racines italiennes, l’équivalent du plaisir de conduire et de la puissance chez Ferrari. Sa devise? «Gran turismo sur la route, gran purismo sur l’assiette!». «Il est important pour moi que chaque plat soit enraciné dans la cuisine italienne classique, qu’un risotto reste un risotto et qu’une pasta soit une pasta. De la créativité oui, mais sans chichis», commente Flavio Fermi. Les premières mises-en-bouche sont servies: un potage frais de melon avec un tartare de dorade et un beignet frit croustillant à la pâte fine, garni de fromage de chèvre à la crème. Sur le dessus, un zest d’orange, un peu de sucre glace et du miel. Cette spécialité sarde, nommée sebada, se mange généralement avec le dessert, accompagnée d’un verre de Franciacorta de Ca’ del Bosco. Mais elle convient aussi en entrée. Nous poursuivons avec une délectable soupe de poisson toscane, aux morceaux de pétoncles, de rougets et de seiches parfaitement cuits.

Lorsque le Manettino (le sélecteur rotatif sur le volant) de la Superfast est réglé sur Sport et que vous maintenez la manette de changement de vitesse enfoncée pour rétrograder, la transmission descend trois rapports en moins d’une seconde. Avec l’effet d’un incendie dans une usine de feux d’artifice: les coups se chevauchent en trois courtes rafales, et le moteur se retrouve instantanément dans une zone où il est parfaitement à l’aise. Tout comme nous, à l’Osteria Tre, où nous enchaînons les mets maintenant que nous avons adopté notre rythme de croisière. 

Crudo de mulet avec sorbet aux aubergines, sauce tomate et burrata: d’une simplicité impressionnante et d’une qualité qui ne l’est pas moins. Le fromage à la crème onctueux contraste parfaitement avec la glace et la décoction fruitée. Le deuxième plat est déjà beaucoup plus puissant: une salade de légumes tiède et des noisettes rôties du Piémont rejoignent les joues beurrées de la tête de veau. «J’ai fait cuire la viande pendant plusieurs heures dans beaucoup de vin rouge, explique Fermi. Rien à voir avec les nouvelles absurdités du sous-vide!» Nous sommes une fois de plus enthousiasmés par le travail, le purisme et la qualité des produits de base. L’étoile décernée à l’Osteria Tre par le Guide Michelin brille de mille feux. Le troisième plat est suivi d’un risotto aux champignons sauvages, foie de canard rôti, poires pochées et topinambours. La façon dont le foie fond sur la langue, ce mariage parfait avec la douceur de la poire, force l’admiration. Roland Tischhauser, l’un des propriétaires de l’hôtel Bad Bubendorf, a un jour demandé à Flavio Fermi de préparer un plat assorti au Riesling de Marthe et Daniel Gantenbein. Le chef avait encore du foie gras de canard dans le frigo, et les choses se sont enchaînées naturellement. Les pâtes tant attendues – trofie au thon brièvement sauté, pesto de tomates cerises et mousse de parmesan – sont un autre exemple de recette nécessitant quantité de travail manuel. «Bien sûr, retourner les trofie individuellement prend du temps, mais c’est l’essence même de la cuisine italienne», témoigne F. Fermi. Le compliment pour la création, garnie de poulpe frit, sera retransmis au saucier Vittorio Conte. «Je lui ai dit ce que j’avais en tête, puis il a défini et élaboré les différents ingrédients…»

Dans de nombreux restaurants, haut de gamme ou non, le plat de viande donne le cap et attire sur lui toute l’attention. Dans la voiture, ce rôle incombe au volant et à la direction. Avec, là aussi, plus ou moins de saveur. La 812 Superfast est la première Ferrari dotée d’une direction assistée électromécanique (direction EPS), franchement très excitante. De concert avec le Passo corto virtuale – l’empattement court virtuel 2.0 – et la direction aux quatre roues, l’agilité devient grandiose. La moindre impulsion au volant est transmise en direct sur la route. De plus, la direction semble lire dans les intentions du conducteur: elle «suggère» même à celui-ci le bon angle de braquage en imprimant, dans le volant, une dose de couple. Si l’arrière a tendance à trop dériver vers l’extérieur, le système réduit ou augmente immédiatement le couple dans la direction, de manière à accompagner le conducteur dans le contre-braquage correct. Il ne s’agit pas de materner le conducteur, mais plutôt de le «coacher», pour éviter de se brûler et passer proprement le virage. Revenons donc au menu carné de l’Osteria Tre. 

Le plat de viande du grand menu de Flavio Fermi est l’exact opposé d’un embouteillage ennuyeux à l’entrée du tunnel du Saint-Gothard; il est aussi complexe et varié qu’un Grand Prix de Monaco. L’entrecôte grillée au charbon de bois, rassie durant six semaines, est une véritable star. Elle est accompagnée d’une chicorée légèrement caramélisée et braisée au jus d’orange, d’un espuma préparé avec du beurre fumé, d’une purée de céleri, de chanterelles et de jus de truffe. Et quand il s’agit de fromage, Flavio Fermi se sert dans le riche patrimoine italien. Les six variétés magistralement affinées par le maître fromager Rolf Beeler proviennent toutes de la Botte. Mention pour le Testun al Barolo, un fromage alpin à base de lait de vache conservé en fûts de chêne avec le marc de raisins Nebbiolo. Le feu d’artifice culinaire se termine avec un sabayon de limoncello, cerises de Bâle et sorbet aux fruits de la passion.

Lorsqu’on parle de fromage, difficile de ne pas penser à l’Emmental et ses fameux trous. Matteo Biancalana, l’aérodynamicien de la 812, a perforé la GT comme une meule du fromage bernois. Aussi bien pour faire entrer l’air que pour l’expulser. Chaque ouverture répond à des besoins bien précis. En fait, chaque centimètre carré de cette voiture a été étudié dans l’optique de la performance et de la stabilité. L’expérience acquise en formule 1 est extrêmement importante à cet égard. Une vitesse maximale de 340 km/h est un défi et, dans ces circonstances, les grandes ailes latérales de la Superfast n’ont rien à faire avec de la frime. 

Performance, oui, mais la Superfast n’oublie pas les lignes douces et le confort. Le même esprit habite la cuisine trois étoiles, qui ne doit pas être un spectacle visuel sans autre fin que l’esthétique. Elle doit être une mise en scène optimale de produits de grande qualité. 

Après une nuit reposante dans une chambre confortable, avec terrasse privée donnant sur la forêt, et un en-cas au buffet préparé avec soin, nous nous dirigeons vers l’hôtel Traube Tonbach à Baiersbronn (D).

Le moteur V12 de 6,5 litres peut s’exprimer à plein régime sur l’autoroute allemande. A 6000 tr/min, l’admission se transforme en soufflante, les quatre pots d’échappement rugissent, et la Superfast franchit la barrière d’un univers parallèle surréaliste. Fantastico! Les liaisons au sol et le réglage de la suspension ont été ajustées autour de ressorts entièrement revus. Les concepteurs ont choisi un tarage plus rigide, qui – surtout sur l’essieu arrière – minimise l’angle de roulis et le sous-virage. Au niveau du Cx, la 812 Superfast établit un nouveau record et la déportance augmente de 65%: le constructeur évoque 210 kg à 200 km/h. Un résultat rendu possible par des solutions aérodynamiques mobiles, activées mécaniquement ou par la pression d’air. Celles-ci ne dévient pas l’afflux d’air autour de la voiture, mais le découpent et le répartissent au travers de diffuseurs, d’ailettes et de conduits. Au final, la voiture semble littéralement aspirée par la route. Un peu en retard pour le repas de midi – la Ferrari est décidément trop amusante dans les virages de la Forêt-Noire – nous arrivons à l’hôtel Traube Tonbach à Baiersbronn par la route principale. 

Nous ne dînons pas dans le restaurant trois étoiles Schwarzwaldstube, mais dans un établissement qui nous tient à cœur: le Bauernstube, une adresse spécialisée dans la cuisine de la Souabe. Le chef Florian Stolte propose des plats connus de tout le monde, mais à un niveau de qualité rarement rencontré. Rien de plus normal, lorsqu’on sait que F. Stolte, qui a travaillé à la Schwarzwaldstube et à la Vila Joya au Portugal, est un chef étoilé comme son collègue suisse Flavio Fermi. Le Guide Michelin lui a remis sa distinction pour le restaurant Köhlerstube, dont il dirige également la brigade de cuisine, et a décerné au Bauernstube le label Bib Gourmand pour son rapport qualité/prix très favorable. Nous commençons notre dîner par une excellente salade de saucisses finement tranchées avec vinaigrette aux graines de moutarde et pain au levain grillé. Aux côtés de la saucisse, le chef ajoute dans sa salade une variété régionale de boudin noir. Après une soupe de knödel à la moelle dont le bouillon mériterait des cris de joie comme un podium à Monza, on découvre le clou du spectacle: le rôti aux oignons. Rôtie à point et juteuse, cette pièce de bœuf généreuse, reconnaissable à son bord gras, est délicieusement tendre. Les accompagnements sont tout aussi savoureux: haricots verts, cèpes sautés au beurre cueillis la veille en forêt, et spätzle jaune foncé, moelleux et évidemment faits maison. Le secret de ces spätzle? 24 œufs par kilo de farine. Il ne reste plus rien dans l’assiette, le ventre déjà plein avant d’attaquer le dessert. Mais comment résister au Kratzede, un proche parent de Kaiserschmarrn (une crêpe aux raisins secs), avec marmelade de prunes et glace à la vanille. 

Flavio Fermi, chef de l’Osteria Tre à Bâle, est le fier possesseur d’une Dodge Challenger. Il a fait de la composition de plats italiens sa spécialité. Dans son livre «Too little parmesan», il convie ses lecteurs à un voyage culinaire dans le passé. 

Une question s’impose alors: pourrais-je manger la même chose demain? La réponse revient à se poser une autre question: voudrais-je conduire à nouveau la Ferrari 812 Superfast? Forcément! Pour la prochaine visite, nous ne manquerons pas d’essayer la soupe de pommes de terre avec gendarmes émincés – comme le faisait la grand-mère de Florian Stolte –, les ravioli maison et la queue de veau. Le fait qu’un chef de ce standing se penche avec tant de ferveur sur une cuisine si simple force le respect!

Pour étancher la soif, nous avons affaire à deux mondes très différents. Du côté gastronomie, des vins nobles spécialement sélectionnés pour chaque plat apportent la touche finale au plaisir. On les consomme d’ailleurs avec parcimonie. Du côté mécanique, une 812 Superfast n’est pas du genre à faire la fine bouche, du sans-plomb à 98 octanes convient. Elle en avale un minimum de 14 litres chaque 100 km, tandis que la limite supérieure est, elle, presque inatteignable. Mais qu’importe: il ne faut jamais regretter les deniers dépensés dans des expériences aussi sensorielles, que ce soit derrière un noble volant ou des couverts en argent.


Notre journaliste gastronomique

Le co-auteur de cet article, Alexander Kühn, est un journaliste gastronomique zurichois, qui écrit pour le Tages-Anzeiger. Depuis des années, Kühn travaille en étroite collaboration avec le chef vedette Andreas Caminada (19 points au Gault & Millau).

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