Si certains l’ont applaudi, d’autres l’ont rangé dans la catégorie des Genfereien. Comme attendu, le Stick’Air – le macaron introduisant la circulation différenciée à Genève en cas d’épisodes de smog – n’a pas manqué de faire réagir, suite à son annonce par le Conseil d’Etat genevois.
Pour rappel, son principe se calque sur celui du macaron Crit’Air français, avec la subdivision du parc automobile en six catégories d’émissions polluantes. Une étiquette numérotée de 1 à 5 – par ordre croissant de niveau de pollution – devra être apposée sur le pare-brise des voitures circulant à Genève, à partir du 15 janvier 2020. Lorsque des pics de pollution sont attendus, la circulation dans le périmètre défini sera interdite pour les véhicules arborant les étiquettes 5, 4 voire 3 (en fonction du degré d’alerte, voir le tableau). Si les deux premiers niveaux d’alerte ne toucheront que d’anciens diesels, le troisième affectera aussi des véhicules essence homologués selon la norme Euro 2 et 3.
Efficacité remise en question
Dans le pire des scénarios, c’est 36% du parc de véhicules genevois qui devra rester au garage. D’après nos recherches, les voitures affectées sont environ au nombre de 57 500, dont 38 000 motorisées par un propulseur essence. A en croire les autorités genevoises, l’arrêt de cette frange de véhicules permettrait à elle seule de réduire de 87% l’émission de particules fines (PM10).
Yves Gerber, directeur du TCS Genève, est sceptique sur l’efficacité du dispositif Stick’Air. «Des mesures similaires ont été prises dans des villes allemandes. Selon des études, leur impact n’a été que de 5%. Il faut savoir les moteurs ne produisent qu’une part marginale des PM10 émis par les voitures, la plupart provenant de l’abrasion des gommes et des freins. A cet égard, une voiture électrique n’est pas beaucoup moins polluante.»
Confusion au sein de la population
Au-delà de l’efficacité réelle du dispositif, le Stick’Air pose d’autres problèmes d’ordre pratique. Pour Français Launaz, président de la faîtière des importateurs d’automobiles Auto-Suisse, les différentes classes de véhicules combinées au trois degrés d’alerte jetteront les automobilistes dans la confusion. «Cela complique la tâche des automobilistes, car pas tout le monde connaît la catégorie de son véhicule et s’il est concerné par l’interdiction de circuler du jour.» Selon Pauline de Salis, responsable de la communication au Département du territoire genevois, il ne s’agit que d’une question de temps. «C’est sûr, il y aura un temps d’adaptation, il faut laisser les gens s’habituer et faire connaissance avec le système. C’est aussi pour cette raison que le Conseil d’Etat a opté pour un délai de tolérance jusqu’au 15 mars 2020.»
Les annonces sur les interdictions de circuler seront faites 12 à 24 heures à l’avance via les médias, le site de l’Etat genevois et l’application Air2G2, «afin de laisser le temps aux gens de prendre leurs dispositions». Si votre véhicule concerné par une interdiction de circuler est garé en zone blanche à la veille d’une restriction de la circulation, il vous appartiendra de le déplacer à temps. Sinon, il vous faudra choisir entre une probable amende de stationnement et une contravention pour avoir bravé l’interdiction de circuler (jusqu’à 500 francs).
«Bonne foi citoyenne»
Les contrôles seront effectués par la police, même si Pauline de Salis assure qu’il n’y aura pas de «blocage dû à des barrages de police à l’entrée du périmètre pour vérifier tous les macarons des voitures». A ce sujet, les policiers devront non seulement vérifier si les autos ont le droit de circuler, mais si elles disposent aussi du bon macaron. Il est en effet du ressort de chaque automobiliste d’acquérir la bonne étiquette à apposer sur son pare-brise, en se basant sur le code d’émissions indiqué dans la carte grise. Avec le risque d’erreurs ou de fraude que cela comporte, un automobiliste pouvant être tenté par l’achat d’un macaron plus favorable. «Les catégories de voitures concernées par le premier niveau de restriction ont au minimum 18 ans, note Pauline de Salis. On peut remarquer d’emblée qu’elles ne sont pas de première fraîcheur. Il faudra voir à l’usage comment ça se passe. Si nécessaire, nous pourrons affiner l’accompagnement du projet. Nous sommes toutefois dans un pays où les gens jouent le jeu d’acheter la vignette autoroutière, il y a une bonne foi d’action citoyenne.»
Des restrictions définitives?
Si les restrictions de circuler pour les véhicules concernés sont limitées à une dizaine de jours par an – lors des épisodes de pollution – la crainte est de voir cette interdiction être instaurée de façon définitive, comme c’est déjà le cas à Paris. «Cette mesure est liée à une question de santé publique et non de mobilité, rassure Pauline de Salis. Cette disposition ne déguise donc pas une restriction permanente à venir.» Yves Gerber, lui, est moins catégorique sur les intentions des députés genevois. «Même si le Canton déclare que ce n’est pas son but, il y a parmi ses députés des volontés d’étendre l’interdiction de façon définitive: une motion des Verts a été déposée en ce sens durant l’été au Grand Conseil.» Isabelle Pasquier, conseillère nationale verte genevoise, confirme: «Il faudrait évaluer combien de voitures seraient concernées par une interdiction de circuler permanente, mais si on parle de voitures de norme Euro 1 et 2 et que ce serait un moyen efficace de diminuer la pollution de l’air, je serais favorable à une restriction pérenne.»
Dans le panneau
Avant de se projeter vers interdiction définitive, encore faut-il que l’actuel Stick’Air soit mis en application. Or, il est frappé par trois recours (non suspensifs) déposés par le TCS. «Nous estimons que ce genre de disposition viole la répartition des compétences entre Canton et Confédération», explique Yves Gerber. Si la loi prévoit que chaque Canton peut restreindre l’accès à certaines routes (LCR, article 3, alinéa 2, 3 et 4), la compétence pour la signalétique est du ressort de la Confédération (OSR, article 1, alinéa 1). Des panneaux repliables – ouverts les jours de pics de pollution – seront en effet installés aux abords de la zone restreinte. «Les panneaux doivent être définis et validés par la Confédération», insiste Yves Gerber. Le but est que chaque automobiliste de Suisse soit en mesure de le reconnaître. La chambre constitutionnelle doit encore se prononcer sur les recours du TCS; un recours au Tribunal fédéral n’est pas à exclure.
Un pare-brise grimé de macarons
Les conflits de répartition de compétences entre Canton et Confédération ne s’arrêtent pas à la signalétique. En effet, à supposer que chaque Canton se lance dans la promulgation d’un dispositif similaire au Stick’Air genevois – mais avec de tout autres critères d’interdiction – l’automobiliste suisse devra acquérir autant de macarons qu’il y a de Cantons, pour autant qu’il voyage un peu dans nos contrées. «C’est pour cette raison qu’on ne peut pas mettre en place ce genre de dispositif à la légère, lance Yves Gerber. Il faut qu’il y ait une vision panoramique, et elle doit être réalisée par les instances supérieures.» Comprendre, la Confédération.
Pour l’heure, à l’échelle de la Suisse, seules Bâle et Zurich ont manifesté leur intérêt pour un dispositif similaire à celui instauré à Genève. Rainer Zah, expert de la protection de la santé et de l’environnement pour la ville de Zurich s’est dit «intéressé» par une interdiction des diesels les plus polluants au centre zurichois, au micro de la SRF. L’expert est toutefois conscient qu’il existe des «barrières au niveau de la loi fédérale», mais que la situation risque de changer «vite» en raison de la nouvelle composition du Parlement.
Dans tous les cas, les milieux automobiles – ACS et TCS en tête – se disent prêts à livrer bataille. Le bras de fer ne fait que commencer.