Stephan Hauri
Désormais, les moteurs à combustion modernes sont équipés de systèmes de détoxification des gaz d’échappement ultra performants. A tel point que leurs émissions sont dites «à impact nul» puisqu’elles n’ont plus aucune influence sur l’environnement. Cela dit, même si les différents polluants tels que le monoxyde de carbone (CO), les oxydes d’azote (NOX), les hydrocarbures imbrûlés (HC) et les particules fines (PM) ne sortent plus qu’en doses négligeables des échappements, le moteur thermique continue de produire du dioxyde de carbone (CO2). Etant donné que toutes les mesures environnementales sont axées sur ce composé, c’est un problème. Il convient donc de trouver des solutions.
Bien entendu, l’une d’entre elles consiste à réduire la consommation des carburants fossiles. Mais il existe un autre remède: l’utilisation de carburants qui utilisent du CO2 comme «ingrédient» pour leur fabrication. Effectivement, en introduisant des carburants synthétiques dans le réseau, le bilan CO2 du parc automobile pourrait être amélioré, et ce sans délai. L’idée est d’autant plus alléchante que les voitures «thermiques» ne disparaîtront pas des routes du jour au lendemain; si l’on part du principe que seuls les véhicules électriques seront encore autorisés à la vente, le parc automobile actuel ne serait complètement reconverti qu’après trente à quarante ans. Notons également que ces carburants alternatifs fonctionnent aussi pour les poids lourds, les avions et les navires.
A base d’hydrogène et de CO2
Regroupés sous le vocable PtX, les carburants Power-to-gas (PtG) et autres Power-to-Liquid (PtL) sont des énergies chimiques produites à partir d’hydrogène (H2) et de dioxyde de carbone (CO2), lesquels se lient en molécules hydrocarbonées durant le processus de production. Le gaz à effet de serre devient donc une matière première dans la fabrication de carburants synthétiques. Le CO2 capté à cet usage peut provenir d’installations industrielles, de la biomasse ou tout simplement de l’air ambiant.
Il existe plusieurs procédés de fabrication de carburants synthétiques, pour la plupart connus depuis longtemps. L’électrolyse permet de séparer les molécules d’eau pour obtenir de l’hydrogène et de l’oxygène. Elle peut être alimentée par du courant électrique renouvelable issu de parcs éoliens, de centrales solaires ou hydroélectriques. L’hydrogène devient alors un tampon énergétique, utilisable dans des piles à combustible ou, associé à du CO2, transformable en méthane (CH4) avec un rendement de 80 à 90%. Chimiquement proche du gaz naturel, ce méthane convient très bien aux moteurs à allumage commandé. Selon le procédé dit de «Fischer-Tropsch», l’H2 et le CO2 peuvent également servir à fabriquer du diesel, de l’essence ou du kérosène. Une troisième méthode est la synthèse du méthanol, qui peut être utilisé pour produire du diméthyléther (DME) ou de l’oxyméthylène éther (OME). Les moteurs diesel fonctionnent avec un mélange de DME et OME.
Le groupe VW met la main à la pâte
VW vient de terminer des tests avec le mélange de paraffine dénommé R33 Blue Diesel. Ce biodiesel produit à partir d’huile alimentaire, mélangé avec le carburant de base, permet d’épargner au moins 20% de CO2 sans conversion du moteur. Quant à Audi, elle fait aussi figure de pionnier; depuis plusieurs années, son usine PtG de Werlte dans le nord de l’Allemagne convertit l’énergie éolienne et le CO2 en méthane synthétique, qui est directement injecté dans le réseau de gaz naturel ou directement destiné aux véhicules CNG.
En collaboration avec son partenaire Global Bioenergies, la marque aux anneaux débute en outre des essais de moteur à essence synthétique «e-Benzin». Pour le transport routier au long cours, qui dépend encore fortement du «gazole», le e-Diesel représente une alternative des plus prometteuses, apte à résoudre la question des émissions et à redorer l’image du diesel. A cette fin, Audi prévoit de construire une usine à Laufenburg, en Argovie.
D’air et de lumière
La production de carburants synthétiques apportent de nouvelles approches expérimentales. A Zurich, une équipe de chercheurs de l’EPFZ réalise ainsi des carburants neutres en CO2 à partir de l’air et de la lumière solaire. Audacieux de prime abord, le projet n’a rien d’insensé. Juchée sur le toit du laboratoire, l’installation pilote extrait l’eau et le CO2 contenus dans l’air et les achemine vers un réacteur solaire, dans le foyer d’un miroir parabolique. Concentrée 3000 fois, la lumière est captée à l’intérieur du réacteur pour que la fission des molécules s’opère à une température de 1500 °C. Il en résulte un gaz composé d’hydrogène et de monoxyde de carbone, utilisable pour produire n’importe quel combustible liquide. Certes, la micro-raffinerie de l’EPFZ ne produit qu’un seul décilitre de carburant par jour, mais elle prouve le bien-fondé de cette technologique.
La production de carburants de synthèse n’a pas encore atteint le stade industriel car il subsiste plusieurs incertitudes. Notamment le potentiel de rentabilité et l’efficacité énergétique du long et complexe processus est en question, si l’on considère la production d’électricité et la transformation successive des composants de base en gaz et en combustible liquide. Selon les derniers pronostics, les carburants synthétiques s’adresseront d’abord au transport routier et aux flottes maritimes et aériennes, c’est-à-dire aux véhicules peu compatibles avec les lourdes batteries imposées par la propulsion électrique.