«Le salon le plus important de la planète»

AVENIR Pensé comme une grand-messe technologique, le Consumer Electronics Show rassemble de plus en plus de constructeurs automobiles. Parmi eux, le Suisse Rinspeed y présentait son MetroSnap. Rencontre avec le CEO, Frank Rinderknecht.

Revue Automobile: Frank Rinderknecht, la semaine dernière, vous étiez au CES de Las Vegas. Quel a été votre moment fort?
Frank Rinderknecht: Nous avons accueilli tant de visiteurs sur notre stand, où nous avons présenté notre tout nouveau concept-car, le MetroSnap, que j’ai à peine eu le temps de faire le tour du Salon.

CEO de Rinspeed AG, le Zurichois Frank Rinderknecht présente un concept-car chaque année depuis 1992.

Pour Rinspeed, c’est presque devenu une tradition de dévoiler un nouveau concept au CES. Mais, avec le MetroSnap, c’est toujours le même concept qui est peaufiné depuis des années. Pourquoi?
«Snap» est un terme génériquepour désigner un véhicule modulaire. Ces prototypes nous permettent de changer à notre guise la superstructure («pod») et le châssis («skateboard»). Ce qui  permet de proposer tout un tas d’applications. Ainsi, ce concept que nous fûmes les premiers à présenter a rencontré un immense succès auprès de l’industrie, non sans faire des émules.

L’idée a germé en 2017 avec l’Oasis, une citadine 100% autonome à jardin intégré. A quel point devons-nous repenser notre rapport à l’auto et à son utilisation?
A mon avis, un véhicule 100% automatisé n’a guère de sens quant à son utilisation par un propriétaire unique. Les coûts sont encore (trop) élevés et, en raison de l’omniprésence de l’électronique, la longévité n’est également que très restreinte.

A cela s’ajoutent encore de grosses incertitudes juridiques?
Il existe effectivement un grand nombre de questions complexes. Néanmoins, Rome ne s’est pas construite en un jour. Aussi, je pense que l’on devrait trouver de nombreuses réponses à ces questions dans les années qui viennent. Tout le développement de la série «Snap» n’est finalement rien d’autre qu’un processus d’apprentissage constant. Aujourd’hui, au bout de trois ans de développement, nous savons quels sont les pièges à éviter. Bien évidemment, nous avons adapté notre stratégie en conséquence. Dans un premier temps, nous allons commencer par nous attaquer au niveau 2 d’automatisation (ndlr: dans lequel le conducteur reste maître du véhicule). Pour la suite, il faudra encore quelques années avant d’atteindre le niveau 5, c’est-à-dire la conduite 100% autonome. Certes, cela durera plus longtemps qu’imaginé initialement dans notre phase d’euphorie. Mais le changement est inéluctable et, selon moi, il est clair qu’il aura également un impact sur d’autres moyens de transport et d’autres industries.

Une autre difficulté est que des véhicules autonomes croiseront la route d’autos conduites par des êtres humains.
L’un des objectifs majeurs de la mobilité de demain est le «Vision Zero», autrement dit éviter à tout prix les accidents ainsi que les rejets d’émission. Bien entendu, atteindre cet objectif prendra du temps, puisque les machines devront auparavant être capables d’exploiter les informations fournies par les capteurs.

Ce qui n’empêche pas Hyundai de présenter des plans de taxis volants et Toyota de vouloir construire toute une ville numérique. Encore de la science-fiction?
Les taxis volants auront leur place pour desservir des lignes, c’est sûr. Mais je ne crois pas qu’ils appartiendront à des particuliers. La ville numérique, par contre, pourrait très vite devenir réalité. Il suffit de penser aux nombreuses nouvelles hypermégapoles chinoises qui poussent chaque année comme des champignons.

De telles idées futuristes sont omniprésentes au CES. On y découvre des accus compostables et des capteurs solaires de toit. Certes, tout cela semble bien loin de la production en série. Néanmoins, pensez-vous que ces pistes de réflexion soient essentielles pour l’avenir?
Le CES est une scène où convergent des idées souvent très audacieuses, mais parfois aussi très réalistes. Quoiqu’il en soit, l’inventivité y est extraordinaire. Le CES engendre des idées et des créations qui seraient restées mort-nées sans lui.

Ces dernières années, on a vu de plus en plus de prototypes automobiles au CES. Face à lui, les salons de l’auto traditionnels perdent du terrain, lentement, mais sûrement…
C’est parce que les composants électroniques (IT) prennent de plus en plus d’importance, et ce même dans le monde automobile. Par conséquent, le CES est assurément l’un des salons les plus importants – voire le plus important – de la planète. Le concept conventionnel de salon de l’auto est devenu obsolète. Cette mutation était prévisible.

Que doit-on penser lorsque l’on voit, par exemple, un géant de l’électronique de loisirs comme Sony sortir une voiture de son chapeau?
Eh bien, à mon avis, c’est avant tout un brillant exercice de marketing. Cela dit, je pense que l’on a très peu de chances de la voir un jour atteindre le stade de production.

Avec la «Vision AVTR», Mercedes-Benz a, lui aussi, présenté un concept. Quelle signification ce genre de concept a-t-il? Ne faut-il pas y voir un moyen astucieux de faire oublier ses propres problèmes?
Mercedes a l’art de se mettre en scène avec un très grand professionnalisme. Mais, même durant sa présentation, je n’ai pas eu la moindre idée de la finalité de l’AVTR. Et encore moins de celle des nombreuses petites ouvertures à l’arrière.

La voiture est et reste un symbole statutaire par excellence. Pensez-vous qu’un changement d’état d’esprit devrait se produire au sein de la population?
Les symboles statutaires sont comme la mode: ils viennent et disparaissent sans cesse. En ce qui me concerne, je vois venir des marques nouvelles pour combler le besoin de mobilité partagée demandé par les populations. Il faut voir plus loin que le clocher de son village et envisager pour demain ce qui paraît aujourd’hui impossible.

Presque tous les projets ont deux thèmes en commun: la conduite autonome d’une part et la durabilité d’autre part. Avec, au centre de tout cela, des solutions de mobilité électrique par batteries. Sont-elles les solutions ultimes?
L’électromobilité n’est plus un hype, elle est une réalité. A mes yeux, elle est l’une des seules solutions pour le secteur automobile de se renouveler. Tel est d’ailleurs le mot-clé.

L’électromobilité a-t-elle besoin d’un concept comme le Snap, avec des véhicules polyvalents et ne nécessitant pas, par exemple, de longs arrêts de recharge? Un tel concept modulaire est-il nécessaire pour que l’électromobilité devienne réellement durable?
Le principe du «skateboard» (ndlr: voir au début, 2e question) a énormément plu à l’industrie automobile. Doit-on, oui ou non, interchanger les superstructures? C’est une question de philosophie. Avec les véhicules électriques, on veut répartir le mieux possible le poids des batteries.

L’automobile et la technologie fusionnent à un rythme époustouflant. L’automobile a, malgré tout, une longue tradition à respecter. N’y a t-il pas un risque de voir les «tech-nerds» piétiner les valeurs chères à l’industrie?
Les traditions ne sont pas une mauvaise chose. Les piétiner tiendrait bien évidemment du sacrilège. Cela dit, il est indispensable que l’automobile ait une vision à long terme. Les constructeurs qui ne s’adapteront pas sont appelés à se voir évincés du marché un jour ou l’autre.

Dans quels domaines les constructeurs traditionnels ont-ils un retard à combler?
Les constructeurs automobiles doivent se défaire du poids de leur passé. Et les grandes entreprises ont énormément de mal à vider ces sacs. De plus, il y a partout de nombreuses personnes pour s’opposer aux changements qui sont pourtant nécessaires.

Les préalables (hommes, infrastructures) sont-ils déjà réunis pour que le concept Snap soit voué au succès dans un avenir proche?
Oui, bien évidemment. Néanmoins, nous ne maîtrisons pas encore complètement le niveau d’autonomie 5 (ndlr: il n’est de toute facon pas autorisé sur nos routes). Mais il existe bien d’autres solutions tout aussi passionnantes.

Quels sont pour vous les premiers clients du MetroSnap? Et quelle sera sa première application?
Dans un premier temps, le concept Snap devrait incontestablement jouer un rôle dans la «supply chain», c’est-à-dire qu’il devrait remplir des services de livraison.

Comme on le disait, c’est une tradition chez Rinspeed de présenter un nouveau concept-car. Aurons-nous la surprise, dans un avenir proche, de ne plus voir un concept-car, mais bel et bien un véhicule de production?
Attendez-vous, en tout cas, à une surprise. Chez Rinspeed, nous apprenons très vite. C’est encore plus vrai aujourd’hui. 

La grand-messe technologique de l’année

Certaines parties de la Mercedes-Benz AVTR (dr.) seront adoptées par la future Classe S.
Le toit de la Fisker Ocean (g.) profite de capteurs solaires.

Les salons de l’auto traditionnels ont vécu. Le CES balaie tout sur son passage. Chacun veut être acteur du plus grand salon de la technologie au monde. Au Consumer Electronics Show, plus de 4500 exposants ont ainsi présenté des idées plus ou moins saugrenues. Leur objectif? Un avenir numérique. L’automobile a néanmoins un statut si prestigieux que même le géant de l’électronique Sony a créé la surprise avec un concept de voiture électrique (RA 01/2019). Dans la place depuis plus longtemps, l’ancien carrossier Fisker peaufine son propre modèée électrique; au CES, avec l’Ocean, on a découvert un SUV au toit truffé de capteurs solaires et à l’habitacle assemblé en matériaux de recyclage. Facturé 37 500 $ seulement, il est censé permettre de couvrir 1600 kilomètres supplémentaires (par an) grâce à l’énergie solaire. Une société néerlandaise, Lightyear, en promet encore plus avec son One, présumé entrer en production cette année, avec une consommation de courant revendiquée de seulement 8,3 kWh/100 km. Ainsi, une  recharge complète de ses accus devrait lui conférer une autonomie de 725 km. Pendant ce temps-là, le nouveau PDG de Daimler, Ola Källenius, est arrivé au volant de la Vision AVTR. Mise au point avec le concours de Walt Disney, elle s’inspire du blockbuster hollywoodien Avatar. Son but: donner un avant-goût de la symbiose machine-homme-nature.

Un autre constructeur va encore plus loin dans cette démarche: Toyota veut construire rien moins qu’une ville numérique pour tester des technologies comme la conduite autonome dans des environnements réels. Une grande partie de l’infrastructure – par exemple les stations-service pour piles à combustible – sera souterraine. Un rôle clé est joué par des véhicules autonomes baptisés e-Palette et servant à transporter des personnes, mais aussi des magasins ou des bureaux mobiles. Une démarche similaire à celle de Hyundai, pour qui les voyages à longue distance du futur seront accomplis à l’aide de navettes aériennes. Mais ceci est depuis de nombreuses années déjà l’une des stratégies adoptées par Uber. A titre comparatif, le Byton M-Byte est déjà presque ennuyeux – aussi parce qu’on le connaît sous toutes les coutures (RA 38/2019). On a aussi déjà vu l’étude AI:ME d’Audi, en avril dernier, à Shanghai (RA 16/2019). Dans l’environnement si futuriste du CES, tous les deux semblent déjà obsolètes.

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