Le groupe Volkswagen mise tout sur la carte d’électromobilité. Il compte investir environ 33 milliards d’euros dans cette technologie au cours des cinq prochaines années. D’autres constructeurs lui emboîteront le pas, puisqu’un grand nombre de modèles hybrides et des tout-électrique sont attendus ces prochaines années. Michael Jost, le stratège en chef de VW, se dit convaincu qu’au vu des circonstances actuelles, il n’existe pas d’alternative à l’électromobilité.
D’ici à 2050, conformément à l’accord de Paris sur le climat, le groupe entend être neutre sur le plan du CO2. Pour cela, les fournisseurs aussi seront tenus de produire avec du courant renouvelable. «Ce n’est que si l’énergie provient de sources renouvelables que l’équation sera juste», martèle Jost. Ces cinq prochaines années, Volkswagen SA va ainsi mettre sur le marché 75 nouvelles modèles tout électriques. «Nous aurons le bon produit pour chacun», ajoute Jost.
Revue Automobile: En 2019, le groupe Volkswagen a vendu plus de 10,97 millions de véhicules – soit une hausse de 1,3% par rapport à 2018. Un mot sur ce résultat record alors qu’à l’automne, vous vous attendiez encore à une stagnation?
Michael Jost: Cela montre très clairement que nous sommes encore et toujours en mesure d’enthousiasmer les clients avec nos produits.
Et cela restera-t-il, aussi, vrai dans l’ère électrique à venir?
Le volume n’est absolument pas notre motivation principale. A fortiori maintenant, il est crucial que nous gérions correctement et proprement le passage vers l’électromobilité. Dans ce domaine, il s’agira surtout de pérenniser financièrement les investissements futurs. Et c’est, bien entendu, le client qui est au cœur de cette réorientation.
Plus d’un tiers des gens ne savent pas encore quel système de propulsion choisir pour leur prochaine voiture. Mais, outre le débat sur le climat, la réglementation toujours plus sévère en matière d’émissions et les interdictions d’homologation des moteurs à combustion d’ici à 2050, comment convaincre le client de passer à l’électrique?
Le client n’optera pas pour une voiture électrique uniquement parce que nous en construisons désormais. Il ne faut pas être naïf. C’est plutôt le paquet complet que nous proposons qui est très attrayant. Ainsi le prix des ID.3 est comparable à celui d’une Golf GTD. Le coût d’entretien est aussi un critère de choix essentiel. Pour une voiture électrique, ce «cost of ownership» s’élève au maximum à un tiers de celui d’une voiture à essence.
Et les émotions ne sont-elles pas négligées?
Ces voitures électriques jouent dans une catégorie à part en matière de design. De plus, ce sont de véritables merveilles d’habitabilité, totalement connectées et très sécurisées. Ce qui est important maintenant, c’est de créer des points de référence dans son voisinage, son cercle d’amis, dans la famille, en achetant des voitures électriques. Cela permettra de diminuer les préjugés concernant la mobilité électrique. Car l’électromobilité est cool et offre un plaisir énorme de conduite.
L’électricité vous permet-elle aussi de cibler de nouveaux groupes de clients?
Oui. Nous ne figurions plus sur la liste des «papables» pour de nombreux jeunes. Grâce à l’électricité, nous y sommes de nouveau, même auprès de jeunes qui avaient peut-être déjà renoncé à la conduite automobile. Les précommandes pour l’ID.3 sont phénoménales, et 80% sont de nouveaux clients, de dix ans plus jeunes que la moyenne d’âge des clients de la marque VW.
On ne peut donc se passer de mobilité individuelle?
Non. Les gens veulent pouvoir se déplacer à leur guise.
Selon les scientifiques, il faut beaucoup de souffrance, avec une récompense équivalente à la clé, pour qu’un changement majeur ait un effet durable. Dans le cas de la transition vers la voiture électrique, où voyez-vous la souffrance et quelle serait la récompense?
Bien sûr que Volkswagen doit assumer le passé. Nous n’avons pas toujours tout fait correctement. Le réveil, il y a trois ans, a été si brutal que nous avions besoin d’autre chose qu’un léger changement de cap. Nous avons repensé le monde de VW de A à Z. Bien que nous voulions optimiser les moteurs thermiques, nous avons décidé de faire ce grand pas en avant. La révolution de l’entreprise, c’est que, dorénavant, nous faisons avancer notre industrie avec une énorme offensive en matière de mobilité électrique.
Qu’espérez-vous de ce grand pas?
Seule une action cohérente peut nous permettre de regagner notre réputation et la confiance des clients. C’est pourquoi nous investissons 33 milliards d’euros dans l’électromobilité et, donc, dans l’avenir. C’est tout ce que nous pouvons faire pour conférer plus de force à nos paroles.
Et qu’en est-il de la récompense?
Bien sûr, nous devons aussi gagner de l’argent. Sans les revenus appropriés, nous ne pourrons pas faire face à ces énormes investissements. Mais, à nos yeux, c’est déjà une confirmation que de pouvoir dire que nous avons réussi à garder une longueur d’avance sur toute une industrie. Et nous y sommes déjà parvenus aujourd’hui.
Les sceptiques de l’e-mobilité sont-ils toujours moins nombreux?
Il y a un an et demi, personne ne m’aurait écouté à la Journée des garagistes à Berne. Tous auraient dit: «Jost, dans quel monde vis-tu?» Même au sein de ma propre entreprise, il y avait probablement des employés sceptiques. Cela a complètement changé aujourd’hui. Notre récompense réside aussi dans notre combat pour une vision, pour quelque chose de grand. Nous sommes en train de définir la manière d’y parvenir. Alors, peut-être, la souffrance du passé était-elle garante d’un plus grand bonheur pour l’avenir? Un peu moins de souffrance aurait suffi. (rires)
D’ici à 2050, dites-vous, le groupe Volkswagen, aujourd’hui responsable de 1% des émissions mondiales de CO2 par la production et l’utilisation de ses produits – veut avoir une empreinte carbone neutre. Qu’est-ce que cela signifie en matière de moteur à combustion?
Cela signifie que dès 2040 environ, nous ne lancerons que des voitures électriques sur la majorité des marchés mondiaux. Cela signifie également que nous y lancerons le dernier modèle avec un moteur à combustion en 2033. Etant donné que nous en conservons généralement la plate-forme et la technologie sur deux générations, cette plate-forme sera lancée dès 2026. Nos ingénieurs travaillent donc actuellement sur ce qui sera probablement la dernière plate-forme pour moteur à combustion.
Grâce à des primes à l’achat et des allégements fiscaux, l’Allemagne offre des incitations très intéressantes pour passer à l’électrique. Quelle est l’importance de ces primes financées en partie par l’État et en partie par les constructeurs? Ces mesures sont-elles nécessaires?
Au début d’une transition aussi importante que celle que nous vivons actuellement, de telles incitations ne sont pas mauvaises. Elles aident le client à franchir le pas, car l’être humain a tendance à tenir à ce qui a fait ses preuves, la routine étant bienfaisante. Mais je pense que nous n’aurons plus besoin de telles incitations dans dix ans.
En tant que stratège en chef de VW, dans quelle mesure pensez-vous à vos concurrents, par exemple les Chinois, pour qui l’électrification renforce davantage l’intention d’attaquer le international? Après tout, le gouvernement chinois veut prouver à l’Occident qu’il est une puissance économique, dans ce domaine aussi.
Les fabricants chinois veulent sûrement devenir plus forts sur leur propre marché avant tout. Et il est certain qu’ils cherchent aussi à savoir où ils pourraient encore s’implanter. Il est vrai qu’une voiture électrique est plus facile à gérer qu’un moteur à combustion, mais cela ne suffit pas pour autant.
Que faut-il donc encore d’autre?
Il s’agit de gérer toute une industrie et, par exemple, d’être en mesure d’échelonner. Le groupe VW est champion du monde en matière de plates-formes, encore aujourd’hui pour les plates-formes mécaniques. Nous avons déjà donné l’accès à nos plates-formes de construction modulaires pour propulsion électrique à des tiers et ainsi fixé des normes. En plus, nous sommes en train de nous transformer en entreprise de software. Nous souhaitons construire notre propre plate-forme logicielle. L’avenir est là, et nous allons également devenir un groupe de technologie numérique. C’est pourquoi, nous allons engager 10 000 ingénieurs en informatique dans les prochaines années.
Selon vous, la voiture devient-elle un ordinateur roulant?
Les entreprises qui gèrent des plates-formes connaissent un immense succès dans le monde: Google, Microsoft ou Apple. Pour nous, cela signifie que nous devons rendre la voiture plus conviviale et d’en faire un partenaire des gens comme l’est par exemple leur smartphone. Pour cela, nous devons, non seulement fournir la voiture parfaite, mais aussi les logiciels parfaits.
Les ventes sur le marché chinois ont stagné récemment. Quel est votre pronostic pour Volkswagen là-bas?
Malgré la stagnation du marché chinois, nous n’avons pas seulement gagné en volume, mais aussi en parts de marché. Avec la mobilité électrique, les perspectives de Volkswagen en Chine sont devenues encore meilleures et plus attractives.
Vous ne craignez donc pas l’émergence d’une nouvelle concurrence dans le secteur électrique, laquelle pourrait vous rendre la vie difficile?
Je dirais que la concurrence stimule les affaires et que les diamants sont taillés avec des diamants. Pensez par exemple à Elon Musk. Il nous a quand même bien aidés.
A quel niveau?
Il a démontré que l’électromobilité fonctionnait.
Dans quelle mesure est-ce difficile pour VW de continuer à courir deux lièvres à la fois, de continuer à consacrer des ressources au moteur à essence pendant un certain temps encore? Tesla peut mener sa stratégie électrique sans compromis.
Bien sûr, notre activité est beaucoup plus complexe, mais vous pouvez être sûr que nous nous positionnons par rapport aux meilleurs et aux plus rapides dans tous les domaines. Nous avons un gros appareil que nous devons emporter avec nous. La transition vers la mobilité électrique ne se fera donc pas à la vitesse grand V. Nous sommes un pétrolier, Tesla est un hors-bord. Mais nous disposons d’un échéancier bien planifié.
A quel point pouvez-vous faire pression sur les garagistes pour qu’ils vendent surtout des voitures électriques à l’avenir, en accord avec vos priorités?
Comme entendu à la Journée des garagistes de Berne, le conseil et les services constituent une partie extrêmement importante de la profession. C’est vrai aujourd’hui et certainement plus encore à l’avenir. Conseiller signifie aussi mettre en avant le côté cool de l’électromobilité et ses avantages.
Il règne encore une certaine méconnaissance de la conduite électrique au sein de la population. La plupart des automobilistes ignore que c’est cool!
J’ai la conviction que beaucoup de clients se laisseront convaincre le jour où les garagistes auront des véhicules de démonstration et qu’ils pourront faire un essai ou la garder pour le week-end.
De quelle manière avez-vous abordé personnelement la voiture électrique au départ, et qu’en est-il aujourd’hui?
J’ai commencé par déclarer avoir aussi un penchant pour les puissants moteurs à combustion. Aujourd’hui, je roule en Golf E et j’aurai bientôt aussi une Audi e-tron. La conduite électrique amène, certes, des changements, mais le plus fondamental est que ce soit vraiment si agréable! Cela fait décélérer, la sécurité est très élevée, on peut recharger le véhicule confortablement chez soi sur une prise de courant et sans devoir se rendre à la station-service. Et, même en déplacement, la recharge devient de moins en moins problématique, grâce à l’expansion rapide que connaît le réseau de bornes de recharge électriques à l’échelle européenne.
Donc, pour le garagiste, cela signifie de toujours vendre la variante électrique, dans la mesure du possible?
L’important est de ne pas vendre quelque chose que le client va regretter plus tard. Il n’y a rien de pire que de regretter un achat.
Et que faut-il dire au client qui doit faire chaque jour 600 à 800 km ?
Je lui conseillerai probablement d’acheter à nouveau une Volkswagen Passat ou une Audi A6 propulsée par un moteur diesel l’année prochaine.
Une voiture se rechargera-t-elle un jour d’elle-même, si bien que je n’aurais plus besoin de me poser des questions sur les diverses prises et les codes d’accès des différentes bornes de recharge?
La recharge par induction existe déjà. En fin de compte, recharger la voiture sera aussi simple que pour un smartphone. Bien des prestataires de services de domaines parallèles proposeront à leurs clients des services toujours plus nombreux.
Plus de quatre ans après le scandale du diesel, VW négocie pour la première fois pour indemniser des automobilistes allemands concernés. Pourquoi?
Nous préférons indéniablement être associés à du positif. Toute action en justice est cependant soumise à des étapes de procédure sur lesquelles nous n’avons la plupart du temps aucune influence.
Cette question ressortira donc encore longtemps?
Nous devons partir du principe que ce sujet nous accompagnera un certain temps encore. Je ne peux que répéter: nous investissons 33 milliards d’euros dans l’électromobilité et par conséquent, aussi, dans un avenir avec un bilan sans émissions gazeuseslocales. Dans cet esprit, nous ne pouvons que prôner la confiance envers l’entreprise et nos produits.