«Nous pouvons vivre d’eau fraîche»

GUMPERT Avec sa chaîne cinématique atypique, la Gumpert Nathalie veut révolutionner l’automobile. Interview avec les patrons de l’entreprise.

En 2017, le groupe chinois Aiways et le constructeur Roland Gumpert fusionnaient afin de former Gumpert Aiways, une coentreprise dont l’objectif était de développer une supercar pourvue d’une inédite technologie énergétique. C’est à partir de ce postulat que naissait la Nathalie, une sportive douée d’une incroyable autonomie (820 km), d’accélérations ébouriffantes (0 à 100 km/h en 2,5 s) et d’une vitesse de pointe cataclysmique (300 km/h). Pour pouvoir prétendre à une telle fiche technique, l’auto dispose d’une transmission intégrale composée de quatre moteurs, d’un châssis tubulaire en treillis et d’un diffuseur arrière et spoiler arrière. En exclusivité, la Revue Automobile a interviewé Roland Gumpert, le PDG de Gumpert Aiways, ainsi que Harald Schlegel et Lorenz Loew, respectivement CMO et designer en chef de la coentreprise. 

Revue Automobile: Quand et où votre Nathalie sera-t-elle commercialisée?
Harald Schlegel: La voiture sortira au premier semestre 2021. Les marchés prévus sont ceux de l’UE, en particulier l’Allemagne, la Pologne, la Scandinavie et les pays du Benelux. Mais aussi le Moyen-Orient.

Et en Suisse?
Schlegel: Oui, en Suisse aussi.

Qui seront vos clients?
Schlegel: Etant donné que cela fait déjà un petit  moment que nous construisons des véhicules exclusifs, nous nous sommes faits un joli carnet de clients. En général, il s’agit de personnes qui possèdent plusieurs voitures ou de passionnés qui cherchent à s’offrir les toutes dernières technologies. Parmi nos clients, il y en a également certains qui ne conduisent que très rarement leur voiture.

Alors que la tendance est clairement au véhicule électrique à batterie (BEV), Gumpert, elle, fait le choix d’un concept différent. Pourquoi?
Schlegel: Les voitures à pile à combustible standard fonctionnent à l’hydrogène pur. Le problème, c’est que cette technologie présente de nombreux inconvénients. Le premier est son volume; à l’état gazeux, trois litres d’hydrogène liquide occupent l’espace d’un terrain de football. Ce gaz doit donc être comprimé à 800 bars afin d’être stocké et transporté dans le réservoir de la voiture. En cas d’accident, celui-ci pourrait exploser. Le deuxième problème concerne le coût: lorsque son réservoir est épuisé, l’utilisateur doit se rendre à la station-service d’hydrogène, dont le prix de construction oscille entre un et trois millions d’euros. Là, un compresseur de 1000 bars se charge de remplir le réservoir de 800 bars. Ainsi, remplir 3 l d’hydrogène nécessite autant d’énergie qu’un trajet de 200 km en diesel. L’hydrogène ne peut pas non plus être transporté par pipeline; il doit être amené par camion. C’est pourquoi nous utilisons du méthanol pour transporter l’hydrogène. Le méthanol (CH4O) est de l’hydrogène avec un atome d’oxygène et un atome de carbone: il est donc aussi sûr que l’essence ou le diesel. En plus de sa manipulation facilitée, l’alcool méthylique peut être transporté par pipeline. A noter qu’il est produit à partir d’eau à l’aide d’électricité, donc de manière neutre en carbone (ndlr: cela dépend de la manière dont est fabriquée l’électricité). Avant d’entrer dans la pile à combustible, il est chauffé pour produire de la vapeur de méthanol, qui passe ensuite dans un catalyseur, où les atomes C et O indésirables sont séparés afin de fournir l’hydrogène pur, nécessaire à la pile à combustible.

Qui développe et fournit la pile à combustible?
Roland Gumpert: Nous avons une coopération avec la firme Blue World Technologies à Aalborg, au Danemark. Cette entreprise construit actuellement la première usine de piles à combustible au méthanol. Nous travaillons main dans la main avec elle.

A la station-service, le méthanol peut-il être stocké dans les anciens réservoirs à essence ou diesel?
Gumpert: Pratiquement toutes les stations à essence européennes possèdent une pompe à diesel. Ce réservoir de diesel peut être reconverti pour stocker du méthanol. Moyennant un investissement modeste allant de 1500 à 2000 €, la station peut s’équiper d’un nouveau robinet. Avec nos partenaires de longue date Thyssenkrupp, Oel-Pool et les propriétaires de stations-service en Suisse, ainsi que d’autres groupes industriels, nous allons équiper un grand nombre de stations-service suisses de pompes à méthanol. Et ce dès 2021.

Quelle quantité de méthanol la nouvelle voiture consomme-t-elle?
Gumpert: La Nathalie a un réservoir de 65 litres. La pile à combustible utilisant environ 4,5 l de méthanol par heure, cela nous donne une portée de plus de 800 km, voire 1000 km.

Quelles sont les performances du système et de quoi se compose-t-il?
Gumpert: La capacité de la batterie est de 60 kWh; le méthanol offre un total de 190 kWh. Nathalie a une puissance de 400 kW, soit près de 550 ch classiques. Mais les performances maximales sont encore supérieures. En outre,  elle délivre plus de 1000 Nm de couple.

La Nathalie semble esthétiquement plus discrète que les autres supercars. Quelles sont les caractéristiques de votre nouvelle voiture?
Lorenz Loew: Le design de la voiture se caractérise essentiellement par des surfaces arrondies, hyper étirées et dynamiques. Ces dernières sont percées ci et là par des prises d’air. A l’intérieur, l’habitacle n’est pas surchargé de technologies. Beaucoup de commandes importantes sont intégrées au volant, comme dans une voiture de course.

En parlant de voiture de course: il y a un an, vous aviez exposé une version de course au Salon de Genève. Où en est son développement aujourd’hui?
Gumpert: Le combat continue. Le but de notre engagement est que la Nathalie Race puisse participer à la série de courses EPCS approuvées par la FIA. Mais nos concurrents alignant des véhicules à batterie s’y opposent en nous imposant de prendre le départ avec un poids supplémentaire. Aucune solution n’a été trouvée jusqu’à présent.

Quels matériaux utilisez-vous pour assembler la carrosserie?
Gumpert: Le cadre tubulaire est en acier chrome-molybdène, tandis que le revêtement de la carrosserie se compose de respectivement de 50% de carbone et 50% de fibres naturelles recyclables.

Quelle est le coefficient de pénétration dans l’air de la voiture?
Gumpert: Nous atteignons facilement les 300 km/h. Bien entendu, la voiture doit être maintenue au sol pour rester sûre. L’aérodynamique dépend de la position de l’aileron à l’arrière de la voiture, et donc le coefficient de résistance change en conséquence. Il n’est dès lors pas très utile de donner une valeur.

Combien coûtera le véhicule?
Schlegel: Au départ de l’usine, le prix est de 407 000 euros net. Nous avons déjà vendu plusieurs voitures.

Combien?
Schlegel: Actuellement, cinq. Mais nous sommes en négociation avec de nombreux clients. Nous prévoyons également un roadshow qui débutera au printemps. Nous utiliserons pour cela un camion avec une remorque sur laquelle la Nathalie sera exposée. Nous allons rejoindre de nombreuses destinations, dont Monaco. La voiture sera alors exposée et pourra même être conduite.

Viendrez-vous également en Suisse?
Schlegel: Oui. Nous discutons encore des endroits où nous souhaitons exposer la voiture.

Le principe de la pile à combustible au méthanol devrait-il également être utilisé pour d’autres modèles du groupe Gumpert-Aiways?
Gumpert: Notre objectif est que tous les modèles soient équipés de piles à combustible au méthanol. De mon point de vue de technicien, la voiture électrique à batterie est bien adaptée à une utilisation sur de courtes distances, dans le trafic urbain. Mais, si vous parcourez de longues distances, vous avez besoin de davantage d’autonomie. Dès lors, la voiture à pile à combustible est faite pour vous.

La technologie de pile à combustible conviendrait-elle également à des voitures moins haut de gamme?
Gumpert: Bien sûr. A terme, notre objectif est de démocratiser la technologie, en installant une pile à combustible au méthanol dans chaque voiture. En fait, la Nathalie n’est rien d’autre qu’un moyen d’arriver à cela, sans nous obliger à  faire d’énormes dépenses en marketing; si nous proposons une telle voiture à la vente, ce seront les clients qui s’occuperont de la faire connaître dans leur cercle d’amis ou de travail. Mais je le dis encore une fois, le but est d’installer une pile à combustible au méthanol dans chaque voiture.

Où la voiture est-elle fabriquée?
Gumpert: Elle est fabriquée près d’Ingolstadt.

Les basses températures dans le Grand Nord ne posent-elles pas de problème à la Nathalie?
Gumpert: A -30 °C, même une voiture à moteur conventionnel commence à souffrir. Notre pile à combustible a un rendement de 45%. Ce qui veut dire que 55% du méthanol est ainsi transformé en chaleur. Si vous conduisez une telle voiture en Scandinavie, vous pouvez utiliser la chaleur résiduelle de la pile à combustible pour chauffer la batterie et l’habitacle. Dans une prochaine étape, nous voulons également utiliser la chaleur perdue pour le système de climatisation. Bien qu’elle ne soit qu’en cours de développement, cette technologie permettra bientôt d’obtenir des rendements imbattables.

Quand un tel système de climatisation sera-t-il prêt à une production en série?
Gumpert: Nous progressons rapidement, mais son développement pourrait prendre deux à trois ans. Notre priorité est de développer la pile à combustible. Nous avons déjà triplé ses performances en passant de 5 à 15 kW, depuis nos débuts, il y a un an et demi. Nous développons également une pile à combustible de plus de 100 kW pour un camion de 40 t. Les progrès sont et seront énormes. C’est pourquoi nous n’aurons plus besoin de combustibles fossiles à l’avenir, du moins tant que nous aurons de l’eau fraîche et de l’énergie solaire. 

Ancien président d’Audi Sport, Roland Gumpert est le CEO de Gumpert Aiways.
Harald Schlegel est le Chief Marketing Officer de Gumpert Aiways.
Lorenz Loew s’est chargé du design de la Nathalie.
Nathalie Gumpert est la fille de Roland. Elle a donné son nom à l’auto.

La Chine déploie ses larges ambitions en Europe

COMMERCIALISATION Genève annulé, Aiways a dévoilé son nouveau U6ion su Internet. La commercialisation en Europe de l’U5 est néanmoins suspendue à cause du coronavirus.

L’U6ion est un concept, mais qui devrait – avec des modifications esthétiques mineures – être commercialisé après l’U5. 

À l’instar de Byton (voir p. 5), Aiways renonce aussi à des méthodes de distribution traditionnelles. Et le constructeur chinois va même encore plus loin, comme le prouve son concept de distribution allemand. Aiways a contracté un partenariat avec le détaillant Euronics. Dans notre pays, il n’y a actuellement que deux magasins Euronics, raison pour laquelle l’Allemagne a pour l’instant la priorité. Pourra-t-on à l’avenir inspecter un Aiways, par exemple chez Media Markt? Pour la Suisse, cette information n’est pas connue, même si nous sommes un des marchés visés en priorité. Une chose est sûre: Aiways renonce à un réseau de concessionnaires. «Euronics» sera compétent pour le show-room et la consultation, l’entretien devant être assuré par A.T.U. La première révision prévue pour l’U5, le premier modèle du constructeur chinois, n’est de toute façon échue qu’à 100 000 km. 

En 2017, peu après sa fondation, Aiways a contracté un joint-venture avec Roland Gumpert («le père de l’Audi quattro», voir ci-dessus). Avec, pour objectif, d’être le premier constructeur automobile chinois spécialisé exclusivement dans les voitures électriques vendues en Europe. Fu Qiang, le président d’Aiways, s’est aperçu, lorsqu’il travaillait pour FAW, le partenaire de joint-venture de Volkswagen, qu’avec les grands groupes bien établis, il est impossible de tout changer du jour au lendemain. Aiways s’est donné un objectif ambitieux: accélérer la transformation de l’industrie automobile grâce à la technologie de l’intelligence artificielle, chambouler la chaîne de création de valeur et proposer des solutions de mobilité sur mesure et conviviales. Le nom de l’entreprise résume tout cela: «AI (artificial intelligence) est dans la bonne voie.» 

Une aubaine pour Gumpert, qui joue le rôle de tête de pont pour le développement des technologies d’avenir et conçoit des véhicules à hautes performances dotés de solutions de propulsion alternatives et à la pointe du progrès. Le siège social de Gumpert Aiways Automobile GmbH se trouve à Ingolstadt, choix idéal pour quiconque veut entrer sur le marché européen.

Du retard 
En raison de la crise du coronavirus, la commercialisation projetée en Europe de l’U5, le premier modèle d’Aiways-Modell, sera reportée au minimum jusqu’en août prochain. Et suite à l’annulation de Genève, le constructeur chinois a présenté sur la Toile l’U6ion, un concept de crossover sportif, pour une clientèle plus jeune. On ignore encore la date de sa commercialisation ou sa propulsion. Le moteur électrique de 190 ch et la batterie de 63 kWh lui conféreraient potentiellement une autonomie de 400 km, ce qui donne une idée approximative des spécifications possibles – à l’instar de l’U5, pour un prix très attrayant d’environ 35 000 €. Pour ses voitures électriques, le constructeur a mis au point une plate-forme modulable (MAS) autorisant aussi bien des formes de carrosserie différentes que des types de propulsion différents. 

De quoi commercialiser chaque année un nouveau modèle, dit Aiways, qui ne manque décidément pas d’ambition. CHE

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