Galop à bride abattue

La Revue Automobile chevauchait la sauvage Shelby Mustang GT 350 dans son édition du 8 juillet 1965. Retour sur les impressions de jadis.

On peut sans doute se demander ce qu’a voulu Carroll Shelby lorsqu’il décida de créer une version sportive, la Ford Mustang V8? S’agissait-il de proposer sur le marché un modèle aux performances très élevées qui puisse cependant s’adresser à une clientèle d’usagers ou fallait-il réaliser purement et simplement une voiture capable de triompher en compétition des Chevrolet Sting Ray, Jaguar E et autres Sunbeam Tiger V8 dans la classe des «production cars» selon le règlement proposé par le Sports Car Club of America (SCCA)? La deuxième raison nous semble la plus vraisemblable. Cependant, le SCCA insistant pour que chaque modèle soit effectivemnt produit en série de 100 exemplaires en 12 mois, et ceci dans une version utilisable sur routes, Shelby ne put faire autrement que de proposer deux modèles, l’un permettant une utilisation courante, l’autre exclusivemnt réservé à la compétition. Par la suite, avant même de présenter la voiture, il fut décidé d’adopter une cadence de production de 100 exemplaires par mois, cadence qui, actuellement, si nos renseignements sont exacts, est même dépassée, les ateliers Shelby étant équipés pour atteindre le rythme de 200 voitures en trente jours. Il importe cependant de préciser d’emblée que, selon les règlements de la Fédération Internationale de l’Automobile, la Mustang GT 350 ne peut revendiquer une homologation en catégorie tourisme (1000 exemplaires en deux mois consécutifs), son habitacle ne pouvant normalement recevoir que deux personnes alors qu’il faut quatre places lorsque la cylindrée excède 2000 cm3.

«La conduite de la Mustang GT 350 est un véritable plaisir, celui de se jouer des plus grosses difficultés avec un engin bien équilibré qui répond immédiatement à toutes les sollicitations.» 

Très nombreuses modifications 
La base de la GT 350 est fournie par le coupé Ford Mustang Fastback dont les lignes fuyantes du toit sont très caractéristiques. Extérieurement, la version Shelby se distingue du modèle de base par sa robe blanche ornée de deux larges bandes bleues, par l’inscription GT 350 sur le bas de caisse et par sa calandre formée d’une fine grille en nid d’abeille sur laquelle le cheval est, plus petit, reporté à gauche au lieu de figurer au centre et par la prise d’air surmontant le capot. Par rapport à la version routière, la GT 350 compétition se caractérise en plus par la suppression des pare-chocs, par une seconde prise d’air à l’avant donnant accès sur le radiateur d’huile et par un habitacle entièrement dépouillé. 

La banquette arrière de la Mustang de série est remplacée par un plancher en matière synthétique portant la roue de secours. La version routière conserve le tableau de bord d’origine avec l’adjonction, au centre, d’un compte-tours et d’une jauge de pression d’huile. Sur la version compétition, seule la structure du tableau est maintenue, la disposition des instruments, tous sur cadrans ronds, soit, de gauche à droite, la pression d’essence, température d’huile, compteur kilométrique, compte-tours, pression d’huile, température d’eau, étant nouvelle. Au nombre des modications affectant l’intérieur, il importe encore de citer le volant cerclé de bois et les ceintures de sécurité ainsi que, en options sur demande, l’arceau intérieur de protection, le traitement de l’habitacle contre l’incendie et l’extincteur spécial du type aviation. Enfin, sur le modèle compétition, toutes les garnitures intérieures sont supprimées dans le but de gagner du poids. 

Les deux capots du moteur et du coffre sont réalisés en matière plastique et munis de fixations rapides très légères. En outre, hormis le pare-brise, toutes les glaces du modèle compétition sont confectionnées en plexiglas. La partie supérieure de la lunette arrière est ouverte afin d’améliorer la ventilation de l’habitacle. 

Dans ses caractéristiques générales, le moteur V8 4,7 litres correspond à celui utilisé pour les courses de stock car en 1964. Par rapport à la série, il comprend une pipe d’admission spéciale surmontée d’un gros carburateur Holly à quatre corps, un arbre à cames à haut rendement, des poussoirs de soupapes mécaniques, un carter d’huile cloisonné en aluminium d’une contenance de 6,15 :1, des échappements plus directs débouchant sur les côtés et des cache-soupapes ailetés identiques à ceux de la Cobra grand tourisme. Le taux de compression atteint 11,5:1 et le moteur, ainsi aménagé, procure 306 ch-SAE à 6000 tr/mn pour la version routière et plus de 330 ch/SAE à 6200 tr/mn pour la version compétition, la différence provenant de l’arbre à cames utilisé. 

Pour gagner du poids, la boîte Ford de la Mustang est remplacée par une boîte Warner T 10 avec carter en aluminium comprenant quatre rapports avant, tous synchronisés. Un différentiel autobloquant fait partie de l’équipement de série. 

L’accroissement des performances a nécessité l’aménagement des suspensions. A l’avant, une barre anti-roulis de 2,54 cm de diamètre (1 inch) a été installée, tandis que des barres de guidages sont montées à l’arrière. Des amortisseurs télescopiques réglables Koni complètent le tout. Parallèlement, les freins voient leur surface de frottement passer à 2632 cm3

Le modèle compétition reçoit des jantes en magnésium de 7 pouces chaussées de pneus Goodyear spéciaux alors que la version routière se contente de jantes de 6 pouces. Enfin, le rapport de démultiplication de la direction est réduit de 22 à 19:1. 

L’enfer se déchaîne 
Au lendemain même de sa première présentation en Europe lors d’une conférence de presse Goodyear tenue à Genève, nous avons pu, grâce à l’obligeance de la Scuderia Filipinetti, propriétaire de la voiture, prendre un premier contact avec la Mustang GT 350. 

La voiture, qui fait l’objet de ce bref compte rendu d’impressions recueillies sur route et sur piste, est une version compétition qui comprend tous les accessoires offerts en option, sauf les sièges baquets. Lors de son passage en douane, sans carburant, elle accusait un poids de 1160 kg. Au moment de l’essai, la voiture accusait 800 milles et n’était, par conséquent, pas entièrement rodée. 

La position au volant est excellente et les sièges, grâce – il est vrai –, aux ceintures de sécurité, assurent parfaitement le maintien du corps. Les instruments tombent directement sous le regard et le compte-tours est disposé de telle manière que le nombre de 6000 apparaisse au zénith de l’instrument. Le levier de commande des vitesses, qui comprend une targette supprimant le risque d’enclenchement inopiné de la marche arrière, est à portée immédiate de la main et son maniement s’avère précis et doux. La réduction du rapport de démultiplication de la direction permet un placement bien plus exact de la voiture, mais se traduit également par la nécessité d’agir avec plus de force sur le volant, la résistance étant encore accrue par la largeur exceptionnelle des pneumatiques. 

La mise en marche du moteur fait penser au déchaînement d’une tempête rageuse. Parler de niveau sonore n’est pas de circonstance. Dès que l’on appuie sur l’accélérateur, c’est à un vacarme effrayant que l’on a affaire, tant à l’extérieur parce que les échappements latéraux sont démunis de silencieux qu’à l’intérieur parce que l’équipement très spartiate, exempt de toute garniture isolante, n’isole aucunement. Le moteur, parfaitement équilibré, tourne au ralenti à environ 1200 tr/mn et ne refuse pas, à ce même régime, d’actionner la voiture, même en prise directe, ce qui témoigne en faveur de sa souplesse. Dans ces conditions, il est encore relativement discret et c’est donc ainsi que nous avons traversé Genève pour nous rendre sur la piste de Monthoux, près d’Annemasse. 

Etant dépourvu de ventilateur, le gros V8 s’accommode mal d’une utilisation urbaine à basse vitesse et il est alors indispensable de surveiller avec attention les températures d’eau et d’huile qui montent très rapidement. Cette remarque faite, le moteur ne nécessite pas d’attention particulière. Son élasticité n’est jamais mise en défaut et, à partir de 1000 tr/mn déjà, il remonte en régime sans cogner. Jusqu’à 4000 tr/mn, l’accélération, bien que puissante, est facilement contrôlable. Dès 4000/4500 tr/mn, il faut faire preuve de doigté pour éviter le patinage inutile des roues motrices. En effet, dès ce palier, et jusqu’au maximum de 6200/6400 tr/mn, le gros V8 se déchaîne et fait la preuve de son énorme puissance. 

Sur piste la voiture s’exprime le mieux 
Parvenu sur la piste, il importe d’accélérer l’allure pour se faire une idée exacte des possibilités de la GT 350. La pédale d’embrayage est douce, mais sa course est extrêmement longue. Il est vrai que seule la première partie de cette course est utile et que, si l’on ne prend la peine de rappeler la pédale du pied, elle se maintient d’elle-même au niveau le plus pratique. 

Compte tenu de la plage très étendue des régimes utilisables, les rapports de la boîte s’avèrent parfaitement étagés. Le moteur monte en régime avec une facilité et une rapidité étonnantes. Nous avons, par contre, moins apprécié l’effort important qu’il faut exercer sur la pédale de frein, effort qui nuit sans doute au dosage; nous en voulons pour preuve que, de temps à autre, en effectuant une manæuvre «pointe et talon» pour rétrograder un rapport, il nous est arrivé de bloquer les roues arrière, aux dépens de l’efficacité et de la tenue en trajectoire. Cette remarque exceptée, les freins sont au-dessus de toute critique et l’usage le plus soutenu, tel celui auquel nous les avons soumis sur la piste très sinueuse de l’essai, ne laisse apparaître aucune perte d’efficacité due à l’échauffement. 

Une fois la prise en main terminée, la conduite de la Mustang GT 350 est un véritable plaisir, celui de se jouer des plus grosses difficultés avec un engin bien équilibré qui répond immédiatement et efficacement à toutes les sollicitations. En effet, aux énormes accélérations, à l’efficacité du freinage, à la précision de la direction s’ajoute encore une tenue de route très saine et sans surprise. Et pourtant, lors de l’essai, la piste était encore humide, voire même franchement mouillée. La très bonne répartition du poids, 53% sur l’avant et 47% sur l’arrière, les larges roues et les pneus spéciaux sont évidemment pour une bonne part dans les aptitudes routières élevées de la voiture. La GT 350, dans les virages serrés, manifeste une très légère tendance à sous-virer qui se corrige sans peine en sollicitant l’accélération pour provoquer le décrochage des roues arrière, le survirage ainsi voulu pouvant être annulé par une correction à la direction (voir photo de première page). Au contraire, dans les longues courbes, la voiture est pratiquement neutre et ne devient survireuse qu’à l’extrême limite, la direction étant alors toujours à même d’apporter le remède avec précision. 

Si l’on songe qu’une telle voiture, mis à part un poids un peu plus élevé pour une puissance légèrement plus réduite, est disponible dans une version routière plus silencieuse et dotée d’une finition soignée, on peut se demander si Carroll Shelby n’a pas réussi un coup de maître, même si la diffusion de cette voiture ne doit pas atteindre des chiffres exceptionnels étant donné les possibilités des ateliers dans lesquels elle est montée. Il n’en demeure pas moins que la Mustang GT 350 fait partie de cette famille peu nombreuse des voitures au caractère bien marqué et qu’elle ne laissera pas insensibles les amateurs de hautes performances.

Mustang Shelby 350 GT

caractéristiques et fiche technique
(Données entre parenthèses pour le «Road Model») 

Moteur (dimensions)
24 CV-fiscaux, 8 cyl. en V Ford type 289, alésage 101,6 mm, course 72,89 mm, 4728 cm3, compr. 11,5:1, 330 ch-SAE à 6200 tr/mn (306 ch-SAE à 6000 tr/mn), env, 46 mkg-SAE à 4400 tr/mn (45 mkg-SAE à 4200 tr/mn).

Moteur (construction)
Type Ford 289. Soupapes en tête, poussoirs méc., arbre à cames central à compétition (à haut rendement), vilebrequin sur cinq paliers, filtre à huile sur circuit principal et radiateur d’huile (sans radiateur), carter d’huile cloisonné en aluminium conten., 6,15 L, contenance totale avec radiateur 6,7 L; 1 carburateur quadruple corps Holly (avec filtre à air sec), pipe d’admission spéciale, échappements directs sur les côtés (avec silencieux). Refroidis. à eau, radiateur surdimensionné sans ventilateur (radiateur normal 14,2 L avec ventilateur).).

Transmission
Embrayage monodisque à sec diamètre 25,5 cm, boîte Warner T 10 à quatre rapports synchron., levier central, différentiel autobloqu., rapport du pont 3,89:1 (9/35), sur demande rapports 3,70, 4,11 ou 4,33:1.

Rapports de démultiplication)
Ire 2,36:1; lle 1,62:1; Ille 1,20:1; IVe 1,00:1. Rapports de démultiplication finaux avec pont standard: Ire 9,18:1; lle, 6,30:1; Ille 4,67:1; IVe 3,89:1.

Châssis, suspensions
Carrosserie autoporteuse. Suspension avant par levier triangulé supérieur, levier inférieur simple, ressort hélicoïdal, amort. télesc. Koni, barre stabilisatrice AV. Suspension arrière à essieu rigide, ressort semi-elliptique à 4 lames, barre de réaction longit., amort. télesc. Koni. Freins AV à disques ventilés Kelsey-Hayes à ø 28,7 cm; freins AR à tambours ø 25,4 cm; garniture métal., surface de frottement 2632 cm2, frein de station. à main sur roues AR; direction à circuit de billes, rapport total 19:1, tours du volant d’une butée à l’autre 3,5; réser voir d’essence 121 L (60,5 L); pneus Goodyear T7 (Blue Dots) 7.75 X 15, jantes magnésium soit 17,8 cm (jantes acier ou magnésium contre suppl. larg. 6″ soit 15,2 cm). 

Carrosserie, dimensions, poids
Empatt. 274,5 cm, voies 144,8 cm, garde au sol 13 cm, diamètre de braq. 12 m, long. 461 cm, larg. 173,2 cm, haut. 130 cm; coupé Fastback, 2 portes, 2 places (sur demande 2+2 places), poids 1150 kg (1265 kg), Capot et coffre en matière synthétique (en acier), glaces latérales et AR en plexiglas (en verre), intérieur ignifugé (normal).

Performances
selon transmission: avec rapport 3,89:1 vit. maxi env. 220 km/h (200 km/h); rapport poids/puiss, env, 3,5 kg/ch-SAE (env, 4,1 kg/ch SAE).

Prix
env. $ 6950 FOB Los Angeles soit env. Fr. 29 900.– (eny. $ 4850 avec roues magnésium soit env. Fr. 20 900.–).  

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