Vers le milieu de l’année 1998 a lieu la première rencontre entre Monisha Kaltenborn et Peter Sauber. Kaltenborn travaille alors encore pour le Fritz Kaiser Group (FKG), au Liechtenstein. Avec Dietrich Mateschitz (Red Bull) et Sauber, Fritz Kaiser est l’un des actionnaires principaux de la société Sauber Motorsport. «J’étais alors encore une toute jeune juriste avec relativement peu d’expérience professionnelle quand j’ai rejoint Kaiser, en charge des questions juridiques du FKG. L’une de mes fonctions au sein de cette société a été de gérer la participation en formule 1. Dès la deuxième semaine de travail, j’ai trouvé sur mon bureau une copie du contrat qui existait entre Sauber et Ferrari. Fritz m’a tout juste donné quelques informations avant de partir en vacances d’été. Pour moi, un contrat de moteurs était du chinois. J’ai donc voulu comprendre les moindres détails de tout cet accord. Ce ne fut pas une sinécure: où doivent aller les pièces? Pour quoi paye-t-on et combien? Qu’est ce qui est compris dans la livraison? J’ai trouvé tout ça plutôt compliqué. J’ai donc tenu à voir personnellement la voiture de formule 1 pour tenter de comprendre lesquels de ses éléments étaient mentionnés explicitement. C’est ainsi que je me suis rendue pour la première fois, durant l’été 1998, à Hinwil, où j’ai fait la connaissance de Monsieur Sauber. Ce fut une rencontre intéressante et très instructive. Je me rappelle encore exactement sur quelle chaise j’étais assise à la table de conférence.»
Deux ans après la première rencontre, Monisha Kaltenborn quitte FKG, au Liechtenstein, pour intégrer l’écurie en en dirigeant le département juridique. Il ne lui aura pas fallu longtemps pour se faire sa place au sein de la société. «Comme juriste, j’avais déjà un aperçu de tous les secteurs d’activité du projet formule 1. Je rédigeais les contrats avec les pilotes. J’écrivais les contrats avec les sponsors. En outre, j’assuré l’intégralité de la correspondance avec la Fédération Internationale de l’Automobile. Et les contrats de coopération technique relevaient aussi de mes compétences. A Hinwil, j’ai dû repenser l’infrastructure juridique dans son intégralité, car il n’en existait pas une digne de ce nom auparavant.» La coopération avec le patron, Peter Sauber, a d’emblée marché comme sur des roulettes. «Il me faisait confiance. J’ai souvent eu carte blanche et j’ai vite été intégré à la direction de l’entreprise. C’est à ce moment-là que nous avons restructuré ensemble la société.»
Sauber au bord du gouffre
Début 2010, Kaltenborn passe de membre de la direction au poste de CEO de Sauber Motorsport. A l’automne 2009, durant les négociations sur le départ de BMW, le patron a, un jour, placé sa juriste devant le fait accompli: «Si nous rachetons l’écurie à BMW, c’est toi qui la dirigeras.» Kaltenborn n’a «pas réfléchi longtemps. J’ai tout simplement dit oui. Nous n’avions pas de temps à perdre. A ce moment-là, Sauber Motorsport faisait face à une situation vraiment scabreuse. A cette époque, les écuries de formule 1 se métamorphosaient de plus en plus en entreprises. Les aspects commerciaux ont de plus en plus occupé le devant de la scène. Quand il fut acquis que BMW allait s’en aller – ce qui s’est produit fin juillet 2009 sans le moindre coup de semonce – nous avons dû réagir très vite. Le plus important a été de convaincre les décideurs de BMW d’initier un processus de cession. Nous étions au bord du gouffre. Mais nous avons fait tout notre possible pour maintenir l’écurie en vie. Le point sensible à cette époque-là était que BMW avait le lead et que nous, nous n’étions que le produit. Mais, en dernier ressort, cela s’est soldé par une excellente affaire pour nous.» Après le rachat, il ne nous restait pratiquement plus de temps pour mettre sur pied l’équipe pour 2010. «Nous avions l’impression d’être à midi moins une, se rappelle Kaltenborn. Nous n’avions absolument rien. C’était en décembre 2009 et nous n’avions pas de sponsors. Nos ressources financières n’étaient pas suffisantes et, en février, une voiture devait être prête pour les premiers essais de présaison. Ce fut un stress extrême. Nous étions confrontés chaque jour à des questions existentielles, qui ne toléraient pas le moindre report.»
A l’automne 2012, Peter Sauber transfère 30% des parts de l’écurie à son CEO Monisha Kaltenborn, ce qui en fait ainsi la première patronne d’une écurie de formule 1. Kaltenborn n’a jamais ressenti comme un poids la fonction additionnelle de cheffe de l’écurie. «Le rôle de team manager a profondément évolué ces dernières années. En 2012, le patron d’écurie classique n’existait déjà plus. Les écuries s’étant toujours plus muées en entreprises classiques, ma double casquette était logique. Ma tâche principale a toujours consisté à assurer la cohésion de l’entreprise et à la piloter avec sécurité à travers les crises.» Avec Mercedes et BMW, Sauber Motorsport a, à deux reprises en l’espace de moins de 50 ans, eu de prestigieuses entreprises de l’industrie automobile en tant que business partners. Mais l’immense enthousiasme initial a été suivi, quelques années plus tard, par la désillusion, qui est allée de pair avec des difficultés financières. N’aurait-il pas été globalement plus judicieux, pour la firme de sport automobile de l’Oberland zurichois, de progresser petit à petit comme écurie de milieu de peloton privée et, ainsi, de se consolider graduellement? «Non, cela n’aurait assurément pas été la meilleure stratégie, déclare avec conviction Monisha Kaltenborn. Je crois qu’avec un tel scénario, l’écurie n’existerait même plus aujourd’hui. Sur le plan de l’infrastructure et des processus de travail, la participation de BMW nous a fait faire un très grand pas en avant. C’est durant cette période que nous avons réussi à nous rapprocher des écuries de Formule 1 modernes.»
En ce qui concerne le bilan personnel de ses près de vingt ans chez Sauber Motorsport, Monisha Kaltenborn se dit satisfaite: «Si j’ai accepté le poste, c’était pour aller jusqu’au bout! Je voulais absolument sauver cette entreprise, qui était aussi, pour un tiers, mon entreprise. J’ai alors réellement tout mis en œuvre pour éviter que l’écurie ne sombre. Et elle n’a pas sombré!»
L’avenir est assuré
Pour Monisha Kaltenborn, qui a accepté en 2010 à Hinwil la direction générale en tant que CEO, la boucle est bouclée sept ans plus tard. Une fois de plus, Sauber Motorsport est au bord du précipice. Mais, à l’issue de plusieurs mois de négociations, Kaltenborn réussit convaincre un nouveau groupe d’investisseurs, la société suédoise Finn Rausing. À l’été 2016, Longbow Finance SA, qui a son siège à Lutry, près de Lausanne, rachète Sauber Motorsport AG. Un an plus tard environ, Kaltenborn et les nouveaux propriétaires se séparent à l’amiable. Kaltenborn travaille désormais dans l’E-sport et est aujourd’hui la directrice de Racing Unleashed AG, à Cham dans le canton de Zoug.
En 2017, Frédéric Vasseur reprend les commandes à Hinwil. Cet ingénieur en sport automobile a connu la réussite comme fondateur des écuries ART Grand Prix et ASM, avec laquelle il a trusté les succès. De plus, il s’est avéré avoir la main chanceuse dans la recherche de talents. À leurs débuts, les futurs champions du monde de formule 1 Lewis Hamilton, Sebastian Vettel et Nico Rosberg ont figuré parmi les poulains de Vasseur. «50 ans dans ce métier, c’est une longévité considérable, s’étonne le Français lui-même. Mais Peter Sauber a toujours su relever les nouveaux défis avec succès, non sans se réinventer lui-même ainsi que son entreprise.»
De la C29 à la C39
«Il faut ne faut jamais abandonner!»
Pour quelqu’un dont la profession est installateur en électricité et qui n’a aucune connaissance dans la construction d’automobiles, assembler des voitures de course et vouloir en vivre s’est avéré dès le départ comme une tâche ardue, voire comme un véritable défi. Et les choses ne se sont pas simplifiées au fil du temps. Nous avons toujours eu une énorme pression sur nos épaules. En outre, parfois, nous avons eu à nous battre pour notre survie économique.
Malgré tout, nous avons réussi à nous établir dans le milieu de la course automobile et à remporter de nombreux succès. Certains même au sein de compétitions internationales de très haut niveau.
Depuis la Suisse, notre entreprise était a priori vouée à l’échec. Et pourtant, aujourd’hui, à Hinwil, se trouve une usine ultramoderne avec une infrastructure remarquable; une entreprise qui propose un poste de travail attrayant à plus de 500 collaborateurs. Comment cela s’est-il avéré réalisable? Quelle a été la clé du succès? Ne jamais abandonner, se battre une fois que l’on a choisi sa voie, et ce même si l’objectif semble presque inaccessible.
Il est tout aussi important et, en dernier ressort, décisif pour la victoire de trouver, de motiver et de conserver les bonnes personnes. Je pense bien sûr aux collaboratrices et aux collaborateurs. Ce sont eux le capital le plus important d’une équipe, aussi lorsqu’il s’agit d’une écurie de formule 1. Beaucoup parmi eux ont investi une part importante de leur vie professionnelle dans la firme et je leur en suis très reconnaissant. Sponsors, partenaires, amis, tous ont ressenti l’esprit de franchise qui règne dans la maison et tous nous sont restés fidèles en période de difficultés.
50 ans de technique et de sport au plus haut niveau: ce fut une période fantastique. Je regretterai cette époque. D’ailleurs, s’il n’en tenait qu’à moi, je recommencerais, et ce pour mon plus grand bonheur. S’il est assurément compréhensible que la formule 1 me manque de temps à autre, c’est certes un peu à cause de la compétition, mais surtout et en majorité à cause de ces gens-là.
Même depuis mon départ en 2016, je suis resté lié à l’écurie, à laquelle je fais de tout cœur mes meilleurs vœux et souhaite beaucoup de succès.