Tesla est la marque automobile la mieux valorisée au monde, et de très loin. Il y a encore quelques mois, sa valeur boursière était relativement stable, à environ 50 milliards de dollars US. Mais depuis, le prix unitaire de son action s’est envolé. Ainsi, le «petit» constructeur de Palo Alto a-t-il vu sa valeur dépasser celle de Toyota. Et ce de manière très rapide, sa courbe d’ascension étant incroyablement raide. A tel point que l’entreprise vaut aujourd’hui près de 400 milliards de dollars, soit 361,17 milliards de francs suisses. Viennent ensuite Toyota avec 200 milliards de dollars, le groupe Volkswagen avec 91 milliards de dollars et Daimler avec 67 milliards de dollars. Cela signifie donc que Tesla vaut davantage que ses trois poursuivants additionnés.
Comment en est-on arrivé là? L’histoire est passionnante, d’autant plus que l’entreprise produit beaucoup moins de voitures que ses concurrents; au cours des trois premiers trimestres de 2020, Tesla a fabriqué environ 320 000 véhicules, contre presque cinq millions pour Toyota.
Le marché et la réalité
Avant de répondre à cette question, il est important de savoir que le «market cap» est la valeur boursière d’une entreprise et qu’elle n’a pas grand-chose à voir avec ses performances réelles. Effectivement, la valeur boursière d’une entreprise indique à quel prix total une entreprise est cotée à la Bourse. Il se calcule assez facilement, de la manière suivante: on prend le prix d’une action individuelle et on le multiplie par le nombre total d’actions.
En fin de compte, le prix de l’action et la valeur boursière dépendront donc d’une seule chose: la demande. Les investisseurs veulent-ils, oui ou non, s’offrir une action Tesla? Bien entendu, cela n’est pas directement lié à ce que fait l’entreprise. Des entreprises comme Tesla, pour lesquelles il existe une grande différence entre la valeur boursière et le chiffre d’affaires, sont généralement «surévaluées» par les agences de notation. C’est aussi pour cette raison que le constructeur de voitures électriques, malgré de bons résultats semestriels en septembre 2020, ne figurait pas dans l’indice «S&P500» qui regroupe les 500 sociétés les plus riches de la planète. Cela dit, après un nouveau rebond de sa valeur boursière au troisième trimestre, Tesla y a finalement été ajouté, comme escompté par les analystes.
Un processus bien connu
Habituellement, les routiniers des places financières ne sont pas surpris face à de tels investissements dans des entreprises en forte hausse, surtout dans le secteur des nouvelles technologies, où des start-up promettent de nouvelles idées révolutionnaires. Cela attire les investisseurs, soit parce qu’ils sont fascinés par l’idée de l’entrepreneur, soit parce qu’ils espèrent un gain potentiel.
Apparemment, nombreux sont les investisseurs à ne pas considérer Tesla comme un simple constructeur automobile de plus, mais bien comme une société high-tech. Habituellement, pour eux, c’est le «potentiel intellectuel» qui prime. Il est capital d’avoir les cerveaux les plus intelligents, qui génèrent des idées innovantes, soit en concevant de nouveaux logiciels, soit en proposant de nouvelles plateformes. Autrement dit, ce ne sont pas des secteurs qui nécessitent de lourds investissements en biens matériels et physiques.
Or, la fabrication d’automobiles est un secteur qui requiert typiquement de lourds investissements. Elle a besoin d’usines gigantesques avec des chaînes de fabrication sophistiquées; chez un constructeur automobile, la plus grande partie des bénéfices est immédiatement réinjectée dans les achats de matières premières et de produits semi-finis. Alors, pourquoi, dans le cas de Tesla, les investisseurs semblent-ils voir les choses différemment?
Production et développement en interne
L’une des raisons principales est que l’entreprise automobile elle-même ne se positionne pas sous cette bannière. Le fait que Tesla ait joué le rôle de pionnier dans le domaine de l’électromobilité n’est pas la seule explication. L’un des grands points forts de Tesla est le mode de fonctionnement des systèmes d’aide à la conduite et de la conduite autonome, ce qui équivaut surtout à un développement de logiciels. Alors que d’autres constructeurs délocalisent souvent le développement de technologies modernes et de logiciels chez des équipementiers, Tesla en développe et implémente la majorité en interne. Une carte que l’entreprise américaine n’hésite pas à utiliser lorsqu’il s’agit de se faire passer pour autre chose qu’un constructeur auprès de ses financiers.
A cette subtilité s’ajoutent le développement en interne et la fabrication des batteries à haute tension, la production de panneaux solaires pour les toits de maisons et les réservoirs à batteries baptisés «Powerwall» pour le domicile. Comme l’a souligné le patron Elon Musk à l’occasion de la présentation des chiffres trimestriels d’octobre, Tesla est une société «qui regroupe des douzaines de start-up lui appartenant directement».
Par conséquent, il ne faut pas comparer Tesla à un constructeur automobile traditionnel, mais à des sociétés high-tech comme Nvidia ou Zoom. Un environnement dans lequel Tesla ne fait vraiment pas mauvaise figure. En Europe, l’industrie automobile est le secteur qui investit proportionnellement le plus d’argent dans la recherche et le développement. Il est devant l’industrie de l’armement, de la médecine ou des télécommunications. Avec le développement de systèmes de conduite autonome et le perfectionnement effréné de l’électromobilité, les dépenses en recherche et développement ont littéralement explosé, et ce chez les constructeurs traditionnels également. A ce propos, il faut préciser que les constructeurs automobiles généralistes se portent, eux aussi, acquéreurs de nouvelles et innovantes start-up, en plus d’en fonder, en mettant sur pied des incubateurs et autres départements dédiés à l’innovation.
Malgré tout, force est de constater le gigantesque fossé qui existe entre le «market cap» et le chiffre d’affaires réel de l’entreprise. Un gouffre particulièrement choquant qui existe également chez le chinois Nio, un constructeur qui a récemment fait parler de lui en alignant des records sur le Nürburgring. Il semble que pour Nio, développer de nouvelles technologies et des nouveaux logiciels est plus important que produire des voitures.
Que va-t-il advenir de l’électromobilité?
Quel risque courons-nous, dans les mois ou années qui viennent, de retomber brutalement sur terre en découvrant que l’électromobilité n’est pas le type de propulsion du futur que nous avions attendu avec ferveur? Ou si l’électromobilité s’impose bel et bien, que cette bulle éclate malgré tout?
Les développements actuels rappellent fortement la bulle Internet. Cette bulle de spéculation avait enflé à la fin des années 90 autour des sociétés spécialisée dans Internet et dans les logiciels, avant d’éclater de manière spectaculaire et brutale dans les années 2000 en engendrant des pertes gigantesques aussi bien auprès des grands que des petits investisseurs. Les investissements dans des start-up «innovantes», «disruptives» ne pourront pas continuer éternellement au rythme actuel. Les analystes sont d’ailleurs unanimes à ce sujet. En juillet déjà, Morgan Stanley a mis en garde ses clients pour qu’ils résorbent leur portefeuille d’investissement en tech-companies et se préparent à d’éventuelles pertes, au motif que les performances supérieures à la moyenne présentait de profonds parallèles avec la bulle Internet.
Dans le cas de Tesla, un autre problème s’ajoute pour les investisseurs épris d’une certaine sécurité: Elon Musk. A l’instar de ce qui était le cas avec Steve Jobs et Apple, Tesla vit au gré des idées, des annonces et des humeurs du personnage charismatique et fantasque qui la dirige, de son esprit de pionnier, de sa volonté d’innovation.
Que cela plaise ou non, c’est lui qui tire complètement les ficelles. Et, avec sa façon fantasque de communiquer – aussi et surtout via Twitter –, Elon Musk a influencé, à plusieurs reprises, le cours boursier de sa société. En bien autant qu’en mal.