Cela peut certainement vous surprendre, mais le Touring Club de Suisse soutient la nouvelle loi sur le CO2. Cette dernière s’accompagnera de taxes plus lourdes pour les automobilistes, dans la mouture qui a été votée au Parlement en septembre dernier. Dans cette interview, le président central du TCS, Peter Goetschi, répond ouvertement aux questions critiques de la Revue Automobile.
REVUE AUTOMOBILE: Monsieur Goetschi, dans son propre magazine, le TCS écrit que la nouvelle loi sur le CO2 ira de pair avec des «billets d’avion plus chers» et «plus de taxes sur l’essence et le fioul». La mobilité va donc coûter beaucoup plus cher. Vous êtes, malgré tout, favorable à la nouvelle loi. Comment est-ce possible?
Peter Goetschi: La Suisse a ratifié la Convention de Paris. Nous sommes donc dans l’obligation, d’ici à 2030, de diviser par deux nos émissions de CO2 par rapport à 1990. La mobilité engendre près de 40% des émissions de CO2 de notre pays. Il n’y a donc pas de solution sans répercussions sur la mobilité. Le Parlement a adopté une nouvelle loi au bout de trois ans de débats. C’est un bon compromis pour la Suisse, grâce auquel nous pouvons assumer notre responsabilité. Sans cette loi, le problème n’aurait pas été résolu. Avec cette loi, à l’avenir aussi, on aura le libre choix des moyens de transport – il n’y aura pas de restrictions de la mobilité individuelle.
Les automobilistes vont devoir payer encore plus cher. Pour chaque litre d’essence, ils vont devoir payer 10 centimes et, à partir de 2025, même 12 centimes de plus. Aujourd’hui, les taxes versées à l’Etat représentent d’ores et déjà 85 centimes par litre, soit environ les deux tiers du prix à la pompe. Avec la loi sur le CO2, cette ponction fiscale va encore être plus lourde. Cela ne peut tout de même pas être dans l’intérêt des conductrices et conducteurs, qui représentent la grande majorité de vos membres!
Je vous rend attentif à un point important: 10 et 12 centimes représentent le renchérissement maximal. Compte tenu de la prime maximale existante, qui est aujourd’hui déjà de 5 centimes, cela équivaut à une majoration de respectivement 5 et 7 centimes. De plus, ce n’est pas une prime fixe, mais un maximum. Seul l’avenir nous dira si l’on ira jusque-là. La prime maximale actuelle de 5 centimes n’est pas encore pleinement utilisée. Et, puisque nous faisons des calculs: nous les Suisses, nous couvrons en moyenne 13 500 km par an. Avec une voiture consommant 7,3 l d’essence aux 100 km, cela représente un surcoût d’au maximum 100 francs par an. Je suis conscient que cette somme n’est pas négligeable. Mais, ces coûts sont clairement limités. Raison pour laquelle nous avons préconisé ce moyen de compenser concrètement les émissions de CO2 imputables à la mobilité. On fait donc quelque chose pour le climat! N’oublions pas non plus que les voitures consomment de moins en moins, ce qui aura des répercussions pour le porte-monnaie.
Apparemment, votre stratégie sur le CO2 s’est soldée par le départ de membres connus du TCS. Ainsi, Walter Wobmann, président de la Fédération Motocycliste Suisse (FMS) et conseiller national UDC, a-t-il quitté le TCS en signe de protestation. Combien de membres avez-vous perdu? Et quel préjudice d’image estimez-vous que cela vous a causé?
Nous ne communiquons pas nommément sur les départs. La transformation écologique est déterminante si l’on veut préserver la mobilité individuelle. Dans cette voie, il y a des départs, mais il y a aussi des nouveaux membres qui arrivent. Nous ne pouvons pas encore dresser un bilan définitif des départs dans le contexte de notre position sur la loi sur le CO2, mais je peux vous dire que toutes ces défections atterrissent sur mon bureau et que leur nombre est actuellement inférieur à 10.
Les secteurs de l’industrie et du commerce, et notamment les fédérations de l’automobile, prônent le référendum contre la loi sur le CO2. Beaucoup de gens ne comprennent pas pourquoi le TCS ne soutient pas le référendum. Avez-vous donc peur du peuple?
Au cours de ses 125 ans d’histoire, le TCS a soumis de nombreuses propositions au peuple. Nous avons prouvé plus souvent qu’il ne le fallait que nous ne craignons pas le peuple. Lors de la très grande majorité des scrutins, nous étions dans le camp des partenaires susmentionnés. Avec la loi sur le CO2, aussi, nous avons soulevé ensemble quelques points délicats. Et il ne faut pas croire que la loi sur le CO2 soit combattue uniquement par les forces vives et l’industrie; sinon, elle n’aurait jamais obtenu une majorité au Parlement. Nous nous basons sur le résultat des consultations parlementaires. Et malgré tout ce qui nous sépare avec les secteurs que vous citez, il y a énormément de points communs.
Il se dit que le référendum va être adopté en un temps record, ce qui ne fera qu’augmenter le fossé entre les parties. Ne craignez-vous pas que cette lutte fratricide porte préjudice à la cause de la locomotion individuelle motorisée?
Non. Nous n’allons pas considérer le scrutin comme une lutte contre notre propre famille et nous ne voulons pas que cela y ressemble. Nous pensons que notre rôle dans cette campagne est de soumettre des propositions concrètes pour promouvoir la transition vers une mobilité propre. Les objectifs ambitieux à laquelle la Suisse a souscrit ne pourront pas être atteints avec une loi, mais une modification progressive de notre flotte de véhicules. Pour mettre cela en œuvre, la population a besoin d’un soutien concret et d’une infrastructure performante.
En 2013, le TCS a participé à la lutte contre l’augmentation de la vignette autoroutière à 100 francs. Aujourd’hui, vous approuvez des primes encore plus lourdes sur le coût de la locomotion motorisée. Ne suivez-vous pas un cap de zigzags politiques?
Non. Notre ligne politique est dictée par la transparence et la consistance. Nous nous engageons pour que l’on conserve le libre choix du moyen de transport et en faveur d’une mobilité sûre et durable. C’est ce qui nous a guidés dans notre décision sur la loi sur le CO2. La situation initiale, quant à la vignette, était totalement différente. Nous nous sommes battus contre une majoration injustifiée sans contrepartie. Le temps nous a donné raison: la Confédération a encaissé la prise en charge des 400 km de route cantonale même sans majoration du prix de la vignette.
La loi sur le CO2 est un monstre de bureaucratie, qui engloutit des milliards. N’y aurait-il pas des moyens plus raisonnables pour atteindre les objectifs climatiques?
Nous nous sommes opposés, avec succès, à ce que la compensation des émissions de CO2 engendrées par les transports soit gérée par l’Etat. Nous allons continuer avec la Fondation KliK, qui est l’émanation des milieux spécialisés. C’est sa responsabilité de ne pas devenir un monstre de bureaucratie!
Pour alimenter le nouveau Fonds sur le climat, des crédits vont être transférés du Fonds pour les routes nationales et le trafic d’agglomération (FORTA). Approuvez-vous cela?
Le FORTA est financé par l’impôt et la surtaxe sur les huiles minérales, la vignette et l’impôt sur les véhicules motorisés, à hauteur, au total, de près de 3 milliards de francs par an. Rien ne change ici. Le transfert dont vous parlez concerne le produit des pénalités, qui n’ont guère rapporté, ces dernières années, à l’exception de 2019, où elles se sont élevées à 78 millions de francs. Même s’il est probable que les recettes issues de ces pénalités augmenteront au cours des années qui viennent, on ne peut guère affirmer sérieusement que le versement de la moitié de cette somme au Fonds sur le climat remette en question le financement des infrastructures. Selon la situation actuelle, le détournement de crédits aurait jusqu’ici représenté environ 1% du FORTA. Le Parlement voulait puiser encore plus dans le FORTA. Nous avons empêché cela.
L’incidence des émissions de CO2 par la Suisse sur le climat mondial est une quantité négligeable. L’énormité des efforts qu’implique la loi sur le CO2 est-elle justifiée?
Je vous le dis encore une fois: avec la ratification de la Convention de Paris, la Suisse a contracté un engagement. Que nous devons respecter. Notre pays est relié au monde et nous en profitons largement. En contrepartie, il est correct de notre part de contribuer à relever les défis dans ce domaine environnemental. Une précision: tous les Etats apportent proportionnellement la même contribution.
Dans une interview au magazine du TCS, vous vous êtes dit favorable aux «subventions, incitations et autre soutiens» pour l’électromobilité. Est-ce réellement à l’Etat, donc, en dernier ressort, au contribuable, de promouvoir et financer une technologie de propulsion bien déterminée?
S vous le voulez bien, mettons-nous quelques instants à la place de l’automobiliste. Le politique lui dit de contribuer à résorber les rejets de CO2. Nous disons simplement qu’une voiture plus propre doit rester abordable. L’avenir nous dira quelle technologie de propulsion s’imposera à long terme. Mais, si nous analysons le marché et les stratégies des constructeurs automobiles de manière globale, il est certain que l’électromobilité jouera un rôle intermédiaire important et que l’infrastructure de recharge est capitale. Il faut des centaines de milliers de bornes de recharge pour les automobilistes, en ville, au travail, à la maison, sans oublier les stations de recharge rapide. Tout cela coûte cher. Alors, oui, dans cette optique, pourquoi ne pas utiliser l’argent des contribuables, puisque la mobilité est de toute façon financée par des impôts multiples?
Abstraction faite du problème du CO2 que nous venons largement d’aborder, quels sont, d’après vous, les plus grands chantiers en cours dans la politique des transports?
Les chantiers, ce n’est pas ça qui manque. Quand je pense à certaines villes, il est impératif de préserver la mobilité. Quant à l’élimination des goulets d’étranglement et aux projets d’extension, les projets adoptés par le Parlement doivent aussi être mis en œuvre. A l’avenir, la mobilité, soutenue par la numérisation, deviendra toujours plus multimodale et cela doit bénéficier en dernier ressort aux usagers. Enfin, les transports individuels doivent maîtriser la transition écologique avec l’appui de la population.
Noël approche à grands pas et c’est le temps de la réconciliation et des vœux. Quels seraient vos trois vœux pour la mobilité en Suisse en 2030?
Les possibilités de la technique n’ont cessé de se perfectionner: premier vœu, que la mobilité reste accessible à tous; deuxième vœu, qu’elle devienne plus propre et, troisième vœu, qu’elle soit plus sûre. Ceci ferait taire les détracteurs de la mobilité, en particulier individuelle, et nous pourrions travailler pour l’améliorer constamment.
A propos de la personne
Depuis 2012, Peter Goetschi est le président central du Touring Club Suisse, le plus grand club de mobilité du pays avec environ 1,5 million de membres. Il a étudié le droit à l’Université de Fribourg et a travaillé comme avocat pendant plusieurs années. De 2002 à 2011, il a travaillé pour le cabinet d’audit, de conseil fiscal et de gestion KPMG. En sa qualité de président central du Touring Club, Peter Goetschi est également président d’Assista Protection juridique, de TCS Assistance, de l’Académie de la mobilité TCS et de TCS Training & Events. Au niveau international, il représente le TCS dans divers comités de la Fédération de l’Automobile (FIA).