Bien qu’elle puisse compter sur un maillage puissant et diversifié de petites et moyennes entreprises, la Suisse n’est pas vraiment le pays des constructeurs automobiles, loin s’en faut. Cependant, à l’avenir, cela pourrait bien changer; avec l’évolution du marché et l’épanouissement de l’électromobilité, la Confédération a toutes les cartes en main pour devenir un véritable «hub» de la mobilité électrique.
Effectivement, on sait bien que la Suisse est un pays très axé sur la recherche et le développement. Par certains endroits, cette politique d’entreprise, qui est à la base de toute innovation, atteint des proportions exceptionnelles. Plus qu’une politique, elle est d’ailleurs, pour certains, un véritable état d’esprit.
Voilà qui permet d’expliquer comment certaines entreprises, qui pouvaient paraître loufoques il y a quelques années, semblent aujourd’hui très bien placées pour briller dans le domaine de l’électromobilité. Sans avoir la prétention d’en devenir un acteur majeur, elles sont nombreuses à faire leur nid petit à petit. Parmi celles-ci, beaucoup de noms connus évidemment, mais également des sociétés moins réputées. Indépendamment de leur renommée, la Revue Automobile les met à l’honneur dans une nouvelle série d’articles.
Premier acte: Micro Mobility systems. Une primeur logique, puisque la société suisse de trottinette s’apprête à faire une entrée remarquée sur le marché de l’électromobilité grâce à sa Microlino.
Les Ouboter à la manœuvre
Effectivement, s’il est une marque automobile suisse qui semble plus que prometteuse, c’est bien Micro, une entreprise qui doit son existence à un morceau de viande, si l’on en croit une histoire datant du milieu des années 1990. Cette dernière raconte que Wim Ouboter, alors banquier à Zurich, trouvaient les saucisses vendues du «Sternen Grill» absolument fabuleuses. Situé à quelques encablures de son lieu de travail, le restaurant était trop éloigné à son goût pour s’y rendre à pied, mais trop proche pour sortir son vélo. Lui vient alors une idée: combler le trou existant entre ces deux moyens de transport. La suite? Elle est connue: des dizaines de millions de trottinettes vendues au travers de 80 pays.
Jamais à court d’initiatives, Wim, entre-temps rejoint par ses deux fils Oliver et Merlin, a une nouvelle idée au milieu des années 2010: combler un autre fossé, celui existant entre les deux-roues (motorisés ou pas) et les voitures. Pour ce projet, l’entreprise suisse s’inspire d’un modèle emblématique de l’histoire de l’automobile, l’Isetta des années 1950. Célèbre pour avoir été, entre autres, assemblée sous licence par BMW, l’Isetta est, avec les Messerschmitt KR, l’une des micro-citadines les plus populaires de la période d’après-guerre. Parée d’un moteur électrique en lieu et place de la petite unité thermique de jadis, la voiturette suisse sera homologuée en tant que quadricycle à moteur dont le poids à vide n’excède pas 550 kg, afin de rentrer dans la catégorie B1.
Polar industriel
Une fois les grandes lignes du projet Microlino tracées, il fallait dénicher un partenaire pour développer le concept. L’école des Sciences appliquées de Zurich ayant été choisie pour le développement, il restait à trouver l’entreprise pour la fabrication. Pour cela, c’est l’italien Tazzari qui est retenu. L’histoire débute sous de bons auspices, en 2016, lors de la 86e édition du Salon de Genève, quand la famille Ouboter lève le voile sur la Microlino.
Mais le conte de fées ne dure pas. En novembre 2019, coup de théâtre; l’industriel allemand Klaus Frers rachète l’usine italienne où la Microlino était censée débuter sa production, et ce sans que les Ouboter ne puissent faire quoi que ce soit: «La ligne de production mise sur pied par Tazzari en Italie ainsi que les premiers exemplaires de la Microlino ont tous été envoyés par camions d’Italie en Allemagne, chez Artega», explique Oliver Ouboter. L’Allemand s’autorise cette méthode pour le moins douteuse, car il n’existe dans le contrat liant Tazzari à Microlino aucune clause concernant un éventuel rachat. Bien entendu, l’idée de Klaus Frers, c’est de commercialiser sa propre version de la Microlino, une voiture qu’il renommera Karolino, et puis Karo, après l’avoir «améliorée sur plus de 150 points», assure-t-il.
Une fin heureuse
S’ensuit alors des procédures devant les tribunaux, qui se concluront de manière plutôt positive pour le clan Ouboter: «Je peux vous dire que nous sommes globalement satisfaits des termes de cet accord, même s’il stipule qu’Artega peut continuer à assembler la Karo. Nous n’avons plus rien à voir avec eux et eux n’ont plus rien à voir avec nous, ce qui est une bonne chose», confie Oliver Ouboter.
Fort de l’expérience acquise lors de ce coup dur, Microlino est revenue à la charge l’année passée, en dévoilant un concept 2.0 (voir ici) décrit par ses concepteurs comme plus qualitatif que le premier. Aujourd’hui, ce prototype est à deux doigts d’accoucher d’un modèle de série, comme nous l’a confirmé Merlin Ouboter: «Le démarrage de la production est toujours prévu pour 2021.» Autrement dit, sauf nouveau report (le véhicule était initialement prévu pour 2019), les Microlino suisses évolueront parmi nous avant la fin de l’année! N’est-ce pas excitant? «La voiture s’attaquera en premier lieu aux marchés suisse et allemand avant de s’étendre au reste du continent», s’enthousiasment les frères Ouboter.
Suisse, mais d’origine italienne
Produite à La Loggia, près de Turin, la voiturette sera assemblée dans les locaux d’un nouveau partenaire, l’entreprise italienne Cecomp. Un choix mûrement réfléchi pour Oliver Ouboter: «Cecomp dispose d’un long héritage en matière d’assemblage automobile, puisqu’ils se sont, par exemple, occupés de la production de la Bolloré Bluecar, une voiture électrique conçue pour l’autopartage.»
Quant au tarif demandé, il sera toujours de 13 500 francs, confirmait son frère Merlin. Avant de s’empresser d’ajouter, emballé: «Par rapport au modèle 2.0 dévoilé l’année passée, la Microlino disposera de nouvelles fonctionnalités très intéressantes. Par exemple, la barre de feux avant et arrière à LED sera proposée en série. Et à l’intérieur, le tableau de bord profitera désormais de deux écrans! Le premier sera disposé derrière le volant et servira aux informations nécessaires à la navigation. Plus petit mais tactile, le second écran servira à contrôler des fonctions comme la climatisation.» Ce dernier remplacera les commutateurs et autres boutons initialement présents sur la colonne centrale. Selon l’enseigne, cela donne plus de flexibilité dans l’ajout de nouvelles fonctions. A noter également que la sélection des vitesses (D, N et R) sera située sur le côté gauche et s’opérera par le biais d’un bouton rotatif.
Un châssis optimisé
Techniquement, la biplace à porte frontale a largement évolué par rapport au protype de 2016 et, donc, à la Karo d’Artega. Par exemple, la voiture est assemblée sur un châssis complètement repensé, puisque désormais composé de pièces en acier embouti. Côtés trains roulants, la Microlino repose sur des suspensions indépendantes, gage d’un meilleur agrément routier, en plus d’un meilleur dynamisme. A noter également que la voie arrière est plus importante que sur le prototype de 2016, et ce afin d’améliorer la stabilité de l’auto à plus vive allure. Justement, la vitesse maximale de l’engin serait de 89 km/h si l’on en croit les informations de Micro, qui ne dit encore rien des valeurs d’accélération. En revanche, Micro est plus loquace quant aux données relatives à la puissance: la machine électrique développe 11 kW (15 ch).
Quant aux batteries qui lui fourniront son énergie, Micro garde le silence sur leur capacité ou leur autonomie, «parce que la voiture a encore besoin d’être testée», relève Merlin Ouboter. Autant d’améliorations techniques qui profiteront très certainement à la petite lilliputienne, plus que jamais parée pour affronter la concurrence, y compris une certaine Karo. Cela serait une belle revanche, n’est-ce pas?
Pourquoi la Microlino a-t-elle toutes les chances de briller?
Dans un pays friand de produits «home made», la Microlino a de beaux arguments pour séduire, en particulier dans les villes, où la mobilité est en proie à une révolution – c’est rien de le dire. A ce jeu-là, les microvoitures pourraient bien tirer leur épingle du jeu. D’ailleurs, c’est aussi l’avis de PSA qui a récemment lancé la petite Ami via sa marque Citroën (voir ici l’essai). A l’instar de cette dernière, la Microlino se pare d’indiscutables atouts comme, par exemple, une capacité à se garer dans un mouchoir de poche. Pensée par ses concepteurs comme une seconde voiture, la Microlino pourrait pourtant bel et bien s’imposer comme le véhicule le plus important – et sympathique! – du foyer. Le succès commercial de la microcar semble d’ailleurs assuré: «A ce jour, nous avons déjà reçu plus de 17 000 précommandes», explique Oliver Ouboter. Voilà qui devrait déjà assurer au moins deux années de production, les deux frères souhaitant écouler entre 6000 et 10 000 véhicules par an.
Qu’est ce qui pourrait bien entraver son succès?
Les mentalités. Une voiture de quelques centaines de kilos souffrant d’une habitabilité limitée et d’une sécurité précaire pourrait bien être boudée par la clientèle toujours plus friande de véhicules rehaussés et volumineux. Les frères Ouboter en semblent d’ailleurs pleinement conscients: «J’espère que nous parviendrons à modifier l’état d’esprit des consommateurs. Aujourd’hui, une voiture neuve sur trois est un SUV et cela avec un profil d’utilisation inchangé de 35 km par jour pour une occupation moyenne de 1,2 personne par véhicule. Qu’il s’agisse d’un moteur à combustion ou d’un SUV électrique, il est tout simplement insensé de transporter autant de poids.» Les potentiels clients pourraient également râler sur la provenance du véhicule; bien que de conception suisse, la Microlino ne profitera pas d’un assemblage «swiss made», puisque la voiture est assemblée en Italie, seul moyen pour conserver le prix sous la barre des 14 000 francs.
Et après la Microlino?
Secret d’entreprise oblige, les frères Ouboter ne sont pas forcément loquaces sur les projets d’avenir, quoique: «Nous avons encore quelques idées passionnantes en réserve et la Microletta (ndlr: un scooter électrique à trois roues commercialisé avec un permis de voiture) n’est que l’une d’entre elles. A long terme, nous voulons être le fournisseur de véhicules de micromobilité électrique de qualité supérieure. Cela va de la trottinette électrique à la Microlino en passant par des scooters, voire des vélos électriques. En revanche, vous ne verrez donc certainement jamais un e-SUV signé de notre marque.» Le ton est donné.
Constructeurs Automobiles Suisses: partie 2
Dans le cadre de sa série dédiée aux constructeurs automobiles suisses, la Revue Automobile se penchera dans un deuxième temps sur l’entreprise Kyburz. Très connue pour les véhicules utiliés par la Poste, la firme produit également plusieurs véhicules parmi lesquels l’eRod. Petit roadster électrique, celui-ci a tout pour conquérir le cœur des amateurs de conduites sportive. Lisez la deuxième partie de notre série consacrée aux constructeurs automobiles suisse dans la RA n° 7 du 18 février 2020.