L’électromobilité redistribuant les cartes au sein de la branche, certaines entreprises suisses semblent particulièrement bien placées dans la course à l’électrification que se livrent les constructeurs automobiles. Voilà pourquoi la Revue Automobile a décidé de les mettre à l’honneur dans une nouvelle série d’articles. Après s’être penché sur Micro Mobility Systems et sa déjà célèbre Microlino (lire RA n°5/2021), place à Kyburz. Née en 1991, Kyburz célèbre cette année ses trente ans d’existence. Une bonne occasion pour se pencher sur cette entreprise qui a débuté son existence en assemblant de simples fauteuils pour personnes âgées, et qui réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires annuel de plus de 50 millions de francs!
Tout comme les géants de la tech’ que sont Amazon, Apple, Microsoft et Google, Kyburz est aussi née dans un garage: «Après tout, un jeune homme qui cherche à créer quelque chose n’a pas vraiment d’autre solution que de s’installer là où il y a de la place, explique, amusé, Daniel Honegger, employé chez Kyburz depuis plus de 20 ans. Voilà pourquoi l’entreprise a débuté dans un box, en l’occurrence celui des parents de Martin.» Martin, c’est Martin Kyburz, le fondateur et actuel PDG de l’entreprise. «En tant que mécanicien de machines et ingénieur électricien de formation, j’ai toujours été intéressé par la mobilité. A mes débuts, des dizaines de milliers d’ingénieurs travaillaient déjà sur des véhicules diesel et à essence à l’époque, et je ne voulais pas en faire partie. Je me suis lancé dans la construction de véhicules électriques», explique le patron à l’heure de parler de ses motivations.
Martin Kyburz, ce précurseur
Et pourtant, «au début des années 1990, les questions environnementales n’étaient pas aussi présentes qu’aujourd’hui. Néanmoins, elles commençaient déjà à apparaître», se souvient Daniel Honegger. En corollaire de ces préoccupations écologiques apparaissent des épreuves dites vertes comme le «Tour de Sol», un rallye suisse dédié aux véhicules à énergie solaire (le premier du genre au monde). Il a eu lieu chaque année de 1985 à 1993 entre le lac de Constance et Genève. «A l’époque, Martin avait pris part à cette épreuve avec un véhicule qu’il avait lui-même construit. Avec, à la clé, un beau succès, puisque cela lui avait permis de remporter pas mal de prix», raconte Honegger.
Bien entendu, une simple voiture solaire ne suffisait pas à faire tourner une entreprise. Voilà pourquoi le fondateur de Kyburz se lance rapidement dans un autre projet: «En 1994, Martin a l’idée de construire des véhicules électriques dédiés aux personnes agées.» Ainsi naît le Kyburz Classic, un tricyle électrique dédié aux seniors. Un credo qui constituera le principal revenu de la compagnie durant ses dix premières années d’existence. Améliorés en permanence, ces véhicules sont rapidement devenus très performants: «Certaines personnes nous ont expliqué que nos machines étaient trop évoluées, que les personnes agées n’avaient pas besoin de tant de technologies. Ce qui nous a fait réaliser que nos petits véhicules pouvaient être dédiés à d’autres usages.»
Record de vitesse
En 2002, alors qu’elle compte une bonne quinzaine de personnes, Kyburz rencontre un problème. «Nous devions faire parler de nous. Mais, à l’époque, la pub coûtait très chère et on ne disposait pas d’un budget marketing astronomique. L’idée folle est venue un midi, durant notre temps de table: en utilisant un tricylcle doté de la même machine électrique que celle d’un simple modèle de série, mais caractérisé par une tension trois à quatre fois plus importante, nous avons eu l’idée de créer le fauteuil roulant électrique le plus rapide au monde». S’il était essentiel pour les employés de Kyburz de conserver le moteur de série, ils repassent, en revanche, sur le système de freinage, ainsi que la fourche, qui est reprise d’une moto. En outre, ils abaissent le siège et rallongent le châssis, et ce afin de disposer d’un meilleur centre de gravité et d’une meilleure maniabilité. Résultat, «nous avons atteint 117 km/h. Non seulement nous étions dans tous les journaux, mais nous étions également dans le Livre Guinness des records», s’exclame Daniel Honegger.
Mais ce n’est qu’au début des années 2010, lorsque, grâce au DXP, Kyburz décroche son premier contrat avec La Poste suisse que l’entreprise suisse commence vraiment à faire parler d’elle: «Les facteurs qui ont testé les machines dans la neige de Grindelwald, se sont dits ravis des performances du véhicule. Ensuite, la compagnie a vraiment explosé», raconte Daniel Honegger, nostalgique.
Un fleuron au top
Aujourd’hui, l’entreprise est au sommet de sa forme: «L’année dernière, nous avons battu notre record de vente, annonce fièrement Daniel Honegger. Jamais, depuis 30 ans, nous avions vendu tant de véhicules, puisque nous avons produit à peu près 3200 modèles en 2020. Mieux, entre 2019 et 2020, la société Kyburz est passée de 90 à 160 employés.» Parmi les véhicules vendus, il y avait des modèles pour La Poste mais, aussi, pour les personnes âgées et, bien sûr, des eRod, le premier «vrai» véhicule de l’enseigne suisse. Ce chiffre de production, Kyburz l’a atteint en décrochant l’année passée de nombreuses commandes auprès de plusieurs grandes entreprises: «Sur ces 3200 véhicules, 40% restent en Suisse et 60% partent pour l’étranger.» C’est essentiellement l’Australie qui s’accapare la plus grande partie de ces commandes, puisque la poste de ce pays a demandé 1000 exemplaires. Le reste de la production est parti en Hollande, en Finlande, en Norvège, en Allemagne et en Islande.
Si les pièces ne sont pas toutes produites en Suisse, l’assemblage est, quant à lui, totalement réalisé en interne, au sein de l’ancienne filature Blumer à Freienstein, dans le canton de Zurich: «Certes, la batterie vient de Chine, le châssis de République Tchèque, le moteur d’Allemagne, et une partie de l’électronique d’Angleterre, mais tous les véhicules sont assemblés en Suisse, même ceux destinés à l’Australie», continue fièrement Daniel Honegger.
De l’importance du «Swiss made»
Sans conteste, le «Swiss made» est le point fort de Kyburz, comme l’explique Daniel Honegger: «L’assemblage dans le pays est l’une de nos principales forces. En plus, on travaille tous ensemble sur le même site, ce qui facilite énormément les échanges. Chez Kyburz, on dit toujours que le diable se cache dans les détails. En tant que compagnie suisse, nos clients sont prêts à dépenser un peu plus de sous, mais veulent, en contrepartie, un produit de très bonne qualité.» Cette recherche de la perfection permet aux produits Kyburz de tenir dans le temps. En Suisse, certains véhicules utilisés quotidiennement par La Poste sont en service depuis neuf ans déjà. «Comparativement, les vélomoteurs et scooters utilisés précédemment par La Poste tenaient beaucoup moins longtemps», explique Daniel Honegger. Evidemment, pour les clients, les coûts d’amortissement permettent d’êtres étalés sur bien plus longtemps. Des propos confirmés par Thomas Baur, ancien responsable de la distribution du courrier et désormais à la tête de réseau postal: «Depuis que nous utilisons le Kyburz DXP (ndlr: un engin doté d’une autonomie de 115 km), nous avons considérablement gagné en productivité: les tournées avec lui durent moins longtemps, et la remorque nous permet de transporter de plus grandes quantités de courrier avec, à la clé, moins de rechargement. Au final, malgré un coût d’acquisition nettement plus élevé, c’est un véhicule économique.»
De leur côté, les postiers se disent très satisfaits du DXP: «Tout d’abord, les facteurs ont déclaré qu’ils ne pourraient jamais prendre place sur ces «véhicules pour handicapés», explique Thomas Baur. Mais Kyburz AG a alors transformé le «Classic DX» en «DXP», un véhicule plus grand et ressemblant davantage à une «Harley». «Le DXP est le seul véhicule qui a plu à l’ensemble de nos 16 000 facteurs et factrices dès le départ. Nous n’avons pas eu la moindre réclamation. Du jamais vu!», continue Thomas Baur. Cela n’est pas vraiment étonnant: avec les anciens scooters, il fallait systématiquement mettre et enlever la béquille, ce qui n’est pas le cas avec le DXP, qui reste parfaitement stable, même dans les pentes. C’est là un formidable avantage, notamment en hiver.»
L’eRod
Mais, dans tout ça, le «vrai» Kyburz à quatre roues, l’eRod, comment se débrouille-t-il? «L’eRod est un produit intéressant. Quand on l’a présenté, les journalistes et les autres entreprises nous ont dit qu’on en vendrait une vingtaine avant de voir les ventes s’essouffler. Au final, ce n’est pas comme ça que ça se passe. On continue à en vendre régulièrement, mais il est vrai que ce ne sont pas de grands chiffres, aux alentours de 10 et 20 par année. La clientèle de l’eRod est fascinée par la mobilité électrique. Ce n’est pas un véhicule pour se déplacer au quotidien, c’est un véhicule plaisir», explique Daniel Honegger. Caractérisé par un poids de 600 kg, il embarque des batteries de 19,2 kWh pour une autonomie théorique de 183 km. Quant à sa machine électrique de 45 kW et 140 Nm, elle permet de franches accélérations et une vitesse de 120 km/h.
Si l’eRod se vend plutôt bien en Suisse, il est également commercialisé en France, en Allemagne et en Belgique. A noter que la petite biplace n’est pas seulement achetée par des privés, mais également par des entreprises comme des hôtels ou des garages. «Leur idée, c’est de proposer à leurs clients une offre un peu spéciale». Quant à l’eRod offroad, qui avait été dévoilé à Genève en 2018, il en est resté au stade de prototype, puisqu’il n’a jamais été homologué.
Bien installé dans un secteur de niche, Kyburz entend bien conforter sa position, sans se stresser.
Pourquoi Kyburz a-t-elle toutes les chances de continuer à briller dans le futur?
Kyburz est un as de la mobilité électrique. A ce titre, il a toutes les chances de continuer à briller dans un domaine qu’il connaît très bien, comme l’explique Daniel Honegger: «La mobilité électrique représente l’avenir de la branche. Chez Kyburz, il est très clair que l’on va persévérer dans ce domaine. Pour le moment, nous œuvrons dans un segment de niche et nous nous y plaisons énormément. Nous sommes convaincus que se développer vers des voitures plus grandes et plus lourdes n’a aucun sens.» Quant à la qualité et le «Swiss made», il n’est visiblement pas question d’y toucher: «Nous sommes les meilleurs au monde en matière de qualité et de performance», s’enorgueillit Martin Kyburz lui-même.
Qu’est ce qui pourrait entraver son succès?
Peut-être la concurrence. Certains véhicules produits dans des régions moins riches coûtent beaucoup moins cher, comme l’expique Daniel Honegger: «Kyburz est un producteur suisse et, de facto, ses produits valent un certain prix, qui serait inenvisageables dans certaines régions du monde.» Des propos confirmés par Martin Kyburz: «Le grand défi, c’est le prix de nos produits.»
Et après?
L’objectif de Kyburz est de continuer à faire ce qu’il sait faire: «C’est pas l’année prochaine que nous nous lancerons dans la production d’un camion électrique. Nous ne faisons pas partie d’un grand groupe. C’est nous qui payons notre développement, alors ce qu’on investit en R&D, c’est l’argent que l’on a gagné en vendant nos propres produits. Autrement dit, on avance pas à pas. Mais il est clair que nous avons beaucoup d’idées qui n’attendent que d’être réalisées. D’ailleurs, Kyburz dispose de 15 à 20 personnes qui sont toujours en train de travailler sur de nouveaux produits. En outre, on a développé une machine capable de réaliser le triage des matériaux de la batterie, sans processus chimique ou thermique. Mais, pour le moment, cette machine est inutilisée, car la plupart de nos batteries servent encore», continue Daniel Honegger.
Avec de tels savoir-faire techniques, il est certain que Kyburz est très bien placé pour répondre aux nouveaux besoins de mobilité, laquelle – faut-il encore le rappeler? – est en pleine mutation.
Constructeurs Automobiles Suisses: partie 3
Dans le cadre de sa série dédiée aux constructeurs automobiles suisse, la REVUE AUTOMOBILE se penchera dans un troisième temps sur l’entreprise Rinspeed, créée en 1979 par Frank Rinderknecht. Retrouvez cette troisième partie dans la RA n°9 du 5 mars 2021.