Le nom de Tesla n’évoque plus seulement la densité de flux magnétique (T selon le système international d’unités SI). Depuis plus de dix ans, il incarne aussi le nouveau monde de l’électromobilité. Avec des voitures capables d’accélérations époustouflantes et conçues pour la conduite autonome, le fondateur de l’entreprise américaine Elon Musk a réussi à donner un coup de fouet au développement de la voiture électrique. En outre, il s’est constitué une communauté de clients qui, en plus d’être fidèles, vénèrent la marque.
Toutefois, malgré une technologie d’avant-garde, les Tesla restent perfectibles en matière de batteries. Stocker cette énergie dans ces accus est à la fois encombrant, trop lourd et très cher. L’extraction et le traitement des matières premières nécessaires à la fabrication de ces batteries pose aussi de nombreux problèmes environnementaux et humains. De fait, comme il est illusoire de reproduire ce schéma à l’échelle globale, des esprits éclairés réfléchissent à des technologies alternatives, en l’occurrence des concepts hybrides capables de fournir une puissance motrice suffisante à moindre frais, tout en respectant les réglementations sur les émissions de manière durable.
Mais peut-on vraiment imaginer une Tesla à motorisation hybride? Cette idée, bien qu’effrayante pour les disciples de la marque californienne, est à l’origine du système sophistiqué de propulsion hybride rechargeable mis au point par la société d’ingénierie autrichienne Obrist Powertrain. Fondée et présidée par Frank Obrist, cette entreprise installée à Lustenau (à un kilomètre de la frontière suisse) a créé un prototype sur la base d’une Tesla Model 3, doté d’un entraînement hybride que Frank Obrist et le technicien en chef Frank Wolf ont baptisé HyperHybrid. L’hybridation en série est censée offrir l’accélération puissante et linéaire d’un véhicule électrique, sans pour autant en avoir les contraintes, telle la fastidieuse recharge des accus. Le constructeur japonais Nissan mise également sur un tel concept avec l’«e-Power», un système qui combine un moteur électrique de 140 kW, une batterie à haute performance, un moteur à essence, un générateur de courant et un onduleur. Comme le moteur à essence ne sert qu’à produire du courant, il peut toujours fonctionner à une charge et à un régime des plus optimaux.
L’impatience de la découverte
A première vue, la Tesla d’Obrist Powertrain ressemble comme deux gouttes d’eau à une Model 3 normale. Un œil avisé remarque toutefois quelques modifications subtilement intégrées sur la partie avant. On retrouve à l’intérieur l’univers traditionnel de Tesla marqué par un design soigné aux formes simples, des matériaux de belle qualité, une sellerie cuir, un énorme écran tactile et presque aucun bouton. Là aussi, les modifications se font discrètes. La grande différence se situant sous le capot, nous sommes impatients d’effectuer les premiers tours de roues.
Le démarrage est enfantin, puisqu’il suffit de sélectionner le sens de marche et d’appuyer sur l’accélérateur. Jusqu’à 60 km/h, l’HyperHybrid sollicite uniquement la batterie. Le moteur Tesla à aimants permanents et la puissance du système (120 kW) rendent, comme à l’accoutumée, la conduite douce, silencieuse et confortable avec ce couple considérable disponible dès les premiers mètres. Grâce à un allègement (le poids est réduit à 1580 kg avec le petit pack de batteries de 17 KWh), une répartition des masses équilibrée et la propulsion arrière, le comportement est agile et la direction précise.
Sur les routes de campagne, on apprécie le couple disponible sans délai dans n’importe quelle situation. La Tesla «Obrist» se montre aussi très confortable en ville. La récupération d’énergie cinétique, ni trop légère ni trop forte, rend possible la conduite à une seule pédale sur les voies dégagées. A des vitesses plus élevées, le petit moteur à combustion entre en action quand c’est nécessaire, mais son intervention reste peu perceptible, l’entraînement étant exclusivement assuré par le moteur électrique. Jamais gênant, le bicylindre d’un litre de cylindrée n’émet qu’un discret ronronnement pas vraiment assimilable à la sonorité d’un moteur à combustion. Au terme de l’essai, force est d’admettre la bonne prestation de la Tesla autrichienne, qui n’a plus grand-chose à voir avec un prototype. Très aboutie, elle se conduit comme toute voiture électrique de milieu de gamme de puissance respectable.
Petit mais puissant
Selon Frank Wolf, la douceur de fonctionnement est l’un des atouts du petit range extender dénommé ZVG (Zero Vibration Generator), qui sert uniquement à produire du courant. Il tourne toujours sur sa plage de fonctionnement la plus efficace, jusqu’à un régime de 5000 tr/min, et soutient le système hybride à hauteur de 40 kW.
Sa conception est techniquement simple: il s’agit d’un moteur quatre temps à deux soupapes par cylindre, avec deux vilebrequins au sens de rotation contraires et une commande de soupapes peu coûteuse. Un catalyseur des plus standards se charge de dépolluer les gaz d’échappement. Son rendement d’environ 40% est particulièrement élevé pour un moteur essence. A l’avenir, ce moteur pourrait aussi carburer au méthanol, avec un rendement de près de 50%. Aucun pot d’échappement n’est visible, car les gaz d’échappement sortent au niveau du centre du plancher de l’HyperHybrid.
Les mesures effectuées dans le trafic réel révèlent une consommation moyenne aux 100 kilomètres de 2 litres d’essence (95 octane) et 7,3 kWh d’électricité. Sur le banc d’essai, le ZVG a également démontré que lorsqu’il fonctionne au méthanol (114 Octane), il parvient à tourner avec un mélange très pauvre après sa montée en température jusqu’à Lambda 1,6 et ne produit ensuite quasiment plus d’oxydes d’azote (NOx). Il respecte ainsi les normes Euro 6d même sans système de post-traitement. Le démarrage à froid s’opère à Lambda 1, afin que les gaz d’échappement soient parfaitement traités par le pot catalytique. Un filtre à particules est requis pour un fonctionnement à l’essence alors qu’avec le méthanol, ce type d’émissions devient pratiquement indécelable.
Vers une production en série
A propos d’une éventuelle entrée en production de l’HyperHybrid, Frank Obrist déclare: «Nous sommes actuellement en tractation avec un important preneur de licence. Si tout va bien, la production pourrait débuter en 2025.» L’entrepreneur s’efforce maintenant de trouver de nouveaux partenaires. «Bien sûr, en tant que petite entreprise du Vorarlberg qui emploie 45 personnes, nous ne pouvons pas lancer seuls la production en série. Mais nous avons montré ce dont nous sommes capables, en développant un moteur industrialisable et en réalisant une voiture fonctionnelle. Nous attirons ainsi de plus en plus l’attention du public et nous voulons promouvoir une technologie performante et accessible au plus grand nombre».
Outre les performances du groupe motopropulseur, le prix final du véhicule est aussi l’une des considérations prioritaires d’Obrist Powertrain. Un modèle inspiré de la Tesla HyperHybrid actuelle devrait pouvoir se vendre aux alentours de 18 000 euros (soit près de 19 900 francs), dans le monde entier. Pour les clients au pouvoir d’achat plus important, la puissance des divers éléments qui composent ce système seraient revus à la hausse. Pour une meilleure autonomie, le ZVG pourrait alors fournir jusqu’à 85 kW, les moteurs électriques produiraient jusqu’à 450 kW sur les deux essieux et la capacité de batterie pourrait grimper à 25 kWh.
Chez Obrist Powertrain, la Tesla hybride ne représente que la partie émergée de l’iceberg. L’entreprise autrichienne recèle d’idées encore bien plus ambitieuses. Au lieu de tirer l’énergie motrice d’une batterie pesant 500 kilos voire plus, l’objectif est de maintenir le poids et le prix de l’unité de stockage au plus bas et chercher une solution de remplacement, comme «l’électricité liquide» sous forme de méthanol synthétique.
Frank Obrist développe dans ce sens des projets concrets pour la production d’e-méthanol et a déjà déposé un grand nombre de brevets. Selon lui, le carburant synthétique doit être produit dans d’immenses centrales électriques situées dans des régions ensoleillées et directement au bord de la mer. Ces usines fabriqueraient l’alcool méthylique avec de l’hydrogène et du CO2 issus de sources renouvelables, à l’exemple des forêts et de la photosynthèse végétale.
Une «forêt moderne» pourrait être 20 à 30 fois plus efficace qu’une forêt naturelle aux dires de l’entrepreneur autrichien. «L’e-méthanol est le meilleur vecteur d’hydrogène et une source énergétique utilisable dans le monde entier», explique ce dernier. «De plus, ce combustible est facile à stocker et à transporter. En termes de densité énergétique, il surpasse nettement la batterie, mais aussi l’hydrogène stocké sous pression ou sous forme liquide».
Les plans de Frank Obrist pour une telle usine, envisagée comme une «forêt moderne», consistent en un réseau de panneaux solaires géants, une usine de traitement de l’eau, une station d’électrolyse, une installation de captation du CO2 de l’air et une usine qui synthétisera l’e-méthanol. Un tel site pourrait produire 1 kg de ce carburant et 1,5 kg d’oxygène à partir de 2 kg d’eau de mer, 12 kWh d’énergie solaire et 3370 kg d’air. L’important est de trouver un endroit où l’eau et l’énergie solaire sont disponibles en abondance. Ainsi, la notion d’efficacité revêt une importance secondaire.
Les différentes étapes du processus sont toutes connues, mais il manque une perspective globale. Or, pour réaliser un tel projet, Frank Obrist et Frank Wolf souhaiteraient collaborer avec des maîtres d’œuvre financièrement solides et prêts à prendre des risques, du calibre des Américains Bill Gates ou, sait-on jamais, d’Elon Musk.