Le courant passera-t-il?

Si le succès des véhicules électriques n’est plus à prouver, il reste à régler certaines questions, comme la provenance de l’électricité.

Le 21 mai 2017, le peuple suisse acceptait la révision de la loi sur l’énergie. Celle-ci vise à réduire la consommation d’énergie, à améliorer l’efficacité énergétique et à promouvoir les énergies renouvelables. En outre, la construction de nouvelles centrales nucléaires est désormais prohibée. Mais, avec le boom de l’électromobilité, les besoins en énergie s’annoncent bien plus importants qu’auparavant. En Suisse, un ménage-type, qui comporte entre deux et trois personnes, consomme chaque année entre 3000 et 4000 kWh d’électricité (non compris l’électricité pour l’eau chaude sanitaire et le chauffage), selon les informations d’Energie-environnement. Cela signifie donc qu’un ménage parcourant 15 000 km par an avec une ou plusieurs (cela n’a aucune importance dans notre calcul) voitures consommant 20 kWh/100 km, augmenterait sa consommation de 3000 kWh, soit le double des valeurs actuelles! 

Ce constat soulève de nombreuses interrogations. A commencer par celle-ci: comment la Suisse compte-t-elle, d’une part, fermer ses centrales et, de l’autre, répondre aux besoins énergétiques grandissant de la population? «La Stratégie énergétique 2050 est établie sur la base de scénarios qui intègrent l’électrification du parc automobile. Il est prévu que l’approvisionnement soit équilibré entre l’augmentation de la capacité suisse de production à base de renouvelable, les économies d’énergie et un éventuel recours aux importations», affirment Laurent Mineau, responsable des marchés de Romande Énergie, le premier fournisseur d’électricité en Suisse francophone.

Un réseau suisse très fort

Mais encore, plus concrètement, combien de véhicules électriques (VE) les sites de production pourront-ils couvrir, autrement dit recharger, sans risquer de «sauter»? «A priori, très largement plus que les prévisions d’adoption des VE les plus optimistes n’envisagent», rassure Laurent Mineau de Romande Énergie, car «l’ensemble du parc de VE ne sera jamais en recharge au même moment, de même que tous les véhicules thermiques ne font pas le plein en même temps», affirme-t-il. Des propos que réfutent Christian Bach, chef de laboratoire à l’Empa: «Il faut comprendre que le marché de l’électricité sera confronté à d’énormes défis une fois que les centrales nucléaires, à gaz et au charbon seront arrêtées en Suisse et en Europe. Malheureusement, les sources d’énergie renouvelable ne produiront pas suffisamment de courant pour pallier la fermeture de ces centrales, qui plus est en hiver. En effet, à cette époque-là de l’année, la demande est à son apogée, tout le contraire des capacités de production.»

Pour répondre à ces besoins plus importants, la Suisse se laisse malgré tout l’opportunité de faire appel aux pays étrangers, comme l’explique Marie-Claude Debons, en charge de la communication chez Swissgrid: «Le maillage serré avec le réseau européen – la Suisse compte 41 lignes transfrontalières – contribue également à la stabilité de notre réseau.» Malgré le postulat de base, il semble donc évident que les autorités suisses comptent sur l’apport d’électricité étrangère pour subvenir aux besoins du réseau de notre pays, surtout lors de pics de demande. Sachant que le nucléaire représente près de trois quarts de la production d’énergie totale en France, on se dit que le problème n’est que déplacé. Mais, il y a peut-être une autre solution: «La Suisse dispose aussi de plusieurs centrales de pompage-turbinage qui peuvent jouer un rôle important lors de pics de demande en électricité», explique Fabien Lüthi, attaché de presse à l’Office fédéral de l’énergie (OFEN).

L’avantage du renouvelable

Surtout, «la loi sur l’énergie vise également à promouvoir les énergies renouvelables indigènes. Sont comprises là-dedans aussi bien l’énergie hydraulique traditionnelle que les «nouvelles» énergies renouvelables comme le solaire, le bois, la biomasse, l’éolien et la géothermie», continue Fabien Lüthi. Avec, à la clé, l’avantage d’être indépendant sur le plan énergétique: «Plus la quantité d’énergies renouvelables disponibles est importante, moins la Suisse dépend des importations d’énergies fossiles», développe Fabien Lüthi. Un avantage de taille sur lequel mise l’OFEN dans son scénario net zéro (ZÉRO), qui voit la Suisse devenir neutre en carbone d’ici 2050, tout en garantissant un approvisionnement énergétique sûr. A noter que plusieurs variantes de ce scénario sont envisagées par l’OFEN. Ces projections se différencient par la combinaison de technologies et la vitesse de développement des énergies renouvelables dans le secteur de l’électricité.

L’infrastructure, le véritable problème

La question de la provenance de l’électricité semblant entendue, reste à connaître la capacité du réseau suisse à résister aux pics de demande: «De manière générale, on peut dire que le réseau de transport suisse de l’électricité est l’un des plus stables et des plus sûrs au monde», assure Marie-Claude Debons, en charge de la communication chez Swissgrid, la société suisse responsable de l’exploitation du réseau à très haute tension. En fait, le vrai problème vient davantage de l’infrastructure de recharge, comme s’en inquiète Christian Bach, de l’EMPA: «La question de l’infrastructure est centrale. Lorsque l’on parle de voiture électrique, l’infrastructure sera le facteur limitant. Pas pour les besoins quotidiens, qui pourront être assurés à la maison, via une wallbox, financièrement plus intéressante. Le problème se manifestera pour le trafic aux heures de pointe; si tout le monde traverse le pays, en direction du Sud par exemple, l’infrastructure risque de poser un gros problème.» D’autan plus que l’autonomie diminue en fonction de la charge emmenée: «Imaginez que chaque vacancier roule en voiture électrique, il faudra installer un nombre invraisemblable de stations de recharge rapides pour couvrir ce pic de demande», continue Christian Bach. 

Le TCS n’est pas d’accord avec ce point de vue: «Il existe suffisamment de bornes de recharge en Suisse», affirme le club suisse, qui a mené une enquête en septembre 2020. Il en ressort que «les 18 opérateurs de réseaux de recharge considérés totalisent 4958 bornes de recharge en Suisse. Pour un parc de 28 716 véhicules tout électriques (BEV), cela correspond à 1,7 borne de recharge pour 10 voitures électriques, autrement dit 5,8 véhicules par borne. Cela signifie qu’il existe aujourd’hui en Suisse près de deux fois plus de bornes de recharge à disposition pour 10 véhicules électriques que ce qui est recommandé par l’UE (ndlr: au moins une borne pour 10 véhicules électriques)», conclut le TCS.

Encore quelques problèmes à résoudre

Ainsi donc, il n’y aurait plus de frein à l’expansion massive du parc automobile électrique. Aux deux problèmes suivants près: «Le souci réside dans le transfert d’énergie. Avec du diesel ou de l’essence, on peut transférer énormément d’énergie en peu de temps. Pour atteindre le même résultat avec de l’électricité, cela coûte très cher. Il suffit d’observer le prix du kWh aux stations de recharge rapide, il est 4 à 5 fois plus élevé qu’à la maison. Si on s’arrête seulement aux stations de recharge rapide, une voiture électrique peut même être plus chère qu’une voiture à essence», prévient Christian Bach de l’Empa. Qui met également en garde contre l’accessibilité aux bornes de recharge: «Il faudra offrir la possibilité aux personnes de recharger à la maison, même lorsqu’ils vivent en appartement. Si on ne peut pas recharger à la maison, une voiture électrique est plus compliquée qu’une voiture à moteur thermique; je ne crois pas que les gens le feront…» Exception faite des mordus de voitures électriques sans doute. Lesquels sont toujours plus nombreux.

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