Des automobiles douées de la vision

Alors que la plupart des constructeurs misent sur le LiDAR pour développer la conduite autonome, Elon Musk, lui, se refuse à suivre cette voie. Qui a raison?

Une fois n’est pas coutume, la polémique a été déclenchée suite aux propos tenus par l’excentrique Elon Musk, non pas sur Twitter – comme  c’est souvent le cas –, mais bien lors d’une conférence de presse consacrée aux véhicules autonomes: «Tout constructeur se fiant au LiDAR est condamné. Condamné! Utiliser des capteurs comme les LiDAR, qui sont incapables de lire des panneaux de signalisation, n’a aucun sens. C’est cher, moche et cela augmente irrémédiablement le coût du véhicule.» Ce n’est pas la première fois que le milliardaire critiquait cette technologie; auparavant, il avait déjà pointé du doigt le LiDAR, le comparant à une «béquille». Laquelle n’aurait comme autre conséquence que d’engluer les constructeurs dans «un confort duquel ils auront du mal à s’extraire», avait-il dit, clôturant ainsi le débat quant à la pertinence de la technologie.

Venant de quelqu’un n’ayant pas déjà révolutionné le paysage automobile, ces propos auraient sans doute fait rire. Mais, étant donné qu’ils sont tenus par le fondateur de Tesla qui, en plus d’être le pionnier de la voiture électrique, est également précurseur de la technologie autonome, ils valent la peine d’être pris en compte. Jusqu’ici, la société de l’entrepreneur américain s’est contentée de caméras et de radars pour faire de la conduite autonome une réalité. Ce n’est pas le cas des autres constructeurs, qui paraissent toujours plus nombreux à miser sur ces fameux LiDAR. Mais qui a raison? Le pionnier brillantissime ou les constructeurs majoritaires?

Valeo, un acteur essentiel

Pour répondre à cette interrogation, il est nécessaire d’en revenir aux fondations de la technologie: déjà, qu’est-ce que c’est, un LiDAR? Cette question, nous l’avons posée à un spécialiste maîtrisant aussi bien les caméras, technologies employées par Musk, que les LiDAR, décriés par l’homme d’affaires fantasque. Non, il ne s’agit pas d’un constructeur automobile, mais bien d’un équipementier: Valeo. Fournissant entre autres les LiDAR d’Audi et ceux d’Honda, l’entreprise française est l’un des principaux acteurs de la technologie, puisqu’elle est la seule à assembler des LiDAR en série pour l’automobile, comme l’explique Clément Nouvel, «LiDAR Technical Product Line Director» chez Valeo: «Depuis 2017, nous avons produit sur notre site de Wemding, en Allemagne, plus de 130 000 LiDAR.»

Et Clément Nouvel d’embrayer sur le fonctionnement de la technologie: «LiDAR signifie ‹Light Detection and Ranging›, autrement dit, en français, ‹détection et estimation de la distance par la lumière›. Le principe de la technologie est d’envoyer des rayons laser qui vont se réfléchir sur des objets avant de revenir à la source. En mesurant le temps de vol de ces rayons, on peut calculer très précisément à quelle distance se situent les objets.» Balayant l’ensemble de l’environnement situé en face de lui, le capteur permet de créer une vue en trois dimensions: «Ainsi, on obtient une vision complète du paysage sous forme de points. C’est ce que l’on appelle le nuage de points (ndlr: voir image ci-contre à droite).»

Avantages et inconvénients du LiDAR

Bien entendu, cette perception très élaborée de l’environnement permet d’énormes avantages, notamment sur le plan de la sécurité: «A l’instar des autres capteurs comme les caméras et les radars, Les LiDAR permettent, avant tout, d’anticiper et ainsi d’éviter les accidents. Le second objectif du LiDAR est de permettre la conduite autonome en dirigeant la voiture là où il faut, à la place du conducteur.»

Pour Clément Nouvel, il ne fait aucun doute que les «qualités des LiDAR dépassent de très loin leurs éventuelles limites», développe-t-il. Ainsi, leur première limite concerne le «bruit» de fond, c’est-à-dire la lumière provenant de sources autres que le faisceau du LiDAR, comme le soleil ou les lumières artificielles vives. «Les LiDAR fonctionnent très bien de nuit, puisqu’aucune lumière ne vient les perturber», détaille Clément Nouvel. En revanche, le jour, le LiDAR doit différencier ses propres infrarouges de ceux qui sont émis par le soleil. Un savoir que Valeo maîtrise déjà «grâce, entre autres, à différents filtres placés devant le capteur», précise Clément Nouvel.

La question de la réflectivité

En revanche, «l’un des défis majeurs du LiDAR, c’est la faible réflectivité de certains objets», continue Clément Nouvel. Etant donné que le LiDAR émet de la lumière tout en détectant la réflexion de cette lumière, la réflectivité de la surface d’un objet, autrement dit la proportion d’énergie électromagnétique (lumière) réfléchie à la surface d’un matériau, est un facteur clé de performance et de fiabilité du LiDAR. Exprimée en pourcents, la réflectivité est le rapport entre l’énergie transmise par l’émetteur du LiDAR et celle revenant au récepteur. Plus la réflectivité est faible, moins il y a de lumière qui revient, et plus il est difficile de détecter l’objet avec précision. La peinture blanche est généralement réfléchissante à 80%, mais la peinture noire peut être réfléchissante à moins de 1%. Evidemment, plus un capteur LiDAR est capable de détecter des objets à faible réflectivité, plus ses performances sont bonnes. Ce qui fait dire à Clément Nouvel: «Chez Valeo, nous avons parfaitement relevé le défi de la réflectivité.» A noter qu’un objet blanc dans la nuit profite d’une très bonne réflectivité, puisqu’il est «éclairé» par les infrarouges (lumière invisible pour l’humain) émis par le LiDAR.

Clément Nouvel est «LiDAR Technical Product Line Director» chez Valeo.

Quel LiDAR choisir?

Bien que toutes les énergies électromagnétiques du LiDAR soient bel et bien émises dans le domaine de l’infrarouge, il existe plusieurs longueurs d’ondes différentes. Dans les applications automobiles, les deux longueurs d’onde de LiDAR les plus courantes sont 905 nanomètres (nm) et 1550 nm. Tandis que les premières sont utilisées pour détecter des objets dans l’environnement immédiat du véhicule, même à quelques centimètres de distance, les secondes servent davantage à détecter des objets à des distances de plus de 200 mètres. Primordial pour les constructeurs, le choix de la longueur d’onde est naturellement spécifique à l’application; plus la longueur d’onde est petite, plus elle sera dédiée à la sécurité. A contrario, plus sa portée sera importante, plus le véhicule autonome disposera de temps pour détecter les objets. Et pour confirmer, prédire et réagir de manière adéquate.

Indépendamment de la longueur d’ondes, il existe deux types de LiDAR: ceux à balayage et ceux à flash. Celui à balayage déplace rapidement les faisceaux laser et les détecteurs sur l’ensemble du champ de vision du capteur. Quant au LiDAR flash, il utilise des dispositifs sans mouvement et sans balayage qui baignent une zone de lumière laser, comme un projecteur.

Musk acculé

A la lumière de ces informations, on peut objectivement se demander en quoi ajouter un troisième capteur, autrement dit, un troisième ange gardien, peut-il être néfaste pour l’automobile, comme Musk semble le prétendre? Les optimisations en matière de sécurité et de conduite autonome que permet le LiDAR font de lui une technologie inéluctable pour la branche, comme l’explique Clément Nouvel: «Depuis un certain nombre d’années déjà, la plus grande majorité des acteurs de la branche convergent vers l’idée d’une triple redondance dans laquelle la caméra, le radar et le LiDAR travailleraient ensemble, et ce afin de garantir un niveau de sécurité maximale.» Quant au problème de prix évoqué par Musk lors de sa conférence de presse, il va sans dire que la technologie ne cesse de se démocratiser. De près de 55 000 francs il y a une dizaine d’années, un équipementier comme Valeo est aujourd’hui capable de proposer un LiDAR à moins de 1000 francs. Par conséquent, la question n’est pas tant de savoir si le LiDAR se généralisera au sein la branche, mais plutôt quand ce sera le cas. On s’interroge aussi sur ce qu’il permettra comme évolutions. Pour compléter l’information sur le sujet, nous avons également rencontré le Prof. Edoardo Charbon, qui dirige à l’EPFL un laboratoire spécialisé dans la technologie LiDAR. Voici ce qu’il prédit pour l’avenir: «Dans un futur plus ou moins proche, on peut imaginer que les véhicules puissent se communiquer leur nuage de points entre eux.» De telle manière, il serait ainsi possible de recréer un environnement virtuel de la réalité. Partagé entre les différents acteurs de la circulation mais aussi avec les autorités, il permettrait d’incroyables – ou d’inquiétantes, c’est selon – perspectives, notamment en matière de sécurité.

Edoardo Charbon dirige à l’EPFL un laboratoire spécialisé en LiDAR.

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