Le projet de loi était attendu, le voici désormais acté: le 15 juillet dernier, la Commission européenne élaborait une loi visant à stopper les ventes de voitures neuves dotées d’un moteur thermique, et ce à l’échéance 2035. Si ce projet, qui vise également à abolir l’usage des motorisations hybrides (rechargeables ou non) doit encore être discuté et approuvé par le Parlement européen et le Conseil des ministres, il est une chose qui se révèle pour le moins certaine: les jours du moteur thermique sont plus que jamais comptés.
Face à cette terrible perspective, les constructeurs européens sont toujours plus nombreux à renoncer au développement des moteurs thermiques, et ce au profit de machines électriques. Parmi eux, le Groupe Daimler, qui a déjà fait de Smart un constructeur tout électrique, s’est engagé à faire de même pour sa marque premium: «Mercedes-Benz se prépare à passer au tout-électrique d’ici la fin de la décennie. Et, à partir de 2025, les clients pourront choisir une alternative entièrement électrique pour chaque modèle de l’entreprise», annonçait la firme à l’étoile il y a deux semaines. Oui, vous lisez bien, le constructeur au fabuleux V12, au V8 tonitruant, au 6-cylindres en ligne de plus de 400 ch et au 4-cylindres de série le plus puissant de la planète tirera définitivement un trait sur tout cela d’ici 2030.
40 milliards d’investissement dans les VE
Reste un épineux détail à régler: comment un constructeur premium comme Mercedes-Benz s’y prendra-t-il pour continuer à convaincre ses clients de payer plus cher pour une voiture équipée d’un moteur électrique semblable à ce que propose la concurrence généraliste? Eh bien, la réponse à cette question tient en un seul mot: technologies. Effectivement, pour continuer à convaincre, une jolie plastique et un habitacle bien fini ne suffiront probablement pas; les constructeurs haut de gamme devront continuer à se démarquer sur le plan mécanique. C’est sans doute pour cette raison que Mercedes-Benz prévoit d’injecter une somme colossale dans le développement de la technologie des VE: «Au total, sur l’exercice 2022 – 2030, les investissements dans les véhicules électriques à batterie s’élèveront à plus de 40 milliards d’euros», clame Daimler. Ce substantiel montant visera, entre autres, à développer une nouvelle plateforme modulaire dédiée aux véhicules électriques. Pour l’heure simplement désignée EA, elle sera utilisée tant par les véhicules de taille moyenne et grande que par les véhicules utilitaires légers. Autrement dit, l’EA sera à Daimler ce que la MEB est au Groupe Volkswagen ou l’E-GMP à Hyundai et Kia.
Parallèlement au développement de cette nouvelle plateforme, Mercedes-Benz mise également sur le développement d’un système d’exploitation baptisé MB.OS (pour Mercedes-Benz Operating System). Pour mener à bien ce projet, 3000 nouveaux emplois d’ingénieurs logiciels seront créés de par le monde. Et ce n’est pas tout. Toujours dans l’optique de se démarquer de la concurrence, le Groupe Daimler a également fait l’acquisition de l’entreprise Yasa. Basée au Royaume-Uni, fondée en 2009 par Tim Woolmer et spécialisée dans la conception de machines électriques, Yasa (pour «Yokeless And Segmented Armature») permettra à Mercedes-Benz d’accéder à une technologie inédite, celle des machines électriques à flux axial. Voilà qui devrait permettre au fleuron allemand de se démarquer aussi sous le capot de ses productions.
Des différences techniques
Dans une machine électrique standard, autrement dit dans un moteur à flux radial, le rotor, mobile, en forme de tube, composé d’aimants, tourne à l’intérieur d’un stator, fixe, muni de bobines électromagnétiques. Entre eux, de petits espaces d’air. Les bobines électromagnétiques fonctionnent comme des pôles magnétiques alternatifs. Ces pôles interagissent avec le flux magnétique alternatif des bobines du stator, ce qui produit une rotation du rotor et donc du moteur.
Une machine électrique à flux axial présente une géométrie bien différente de celle d’une machine «radiale», puisque le moteur «axial» se distingue par son disque de stator pris en sandwich entre deux disques de rotor. Avec, là encore, des interstices entre ces deux éléments. Voilà qui permet de comprendre pourquoi la machine électrique à flux axial ressemble davantage à une crêpe, tandis que la technologie à flux radial s’apparente davantage à une saucisse. Techniquement, tout se joue au niveau de la direction qu’emprunte le flux électromagnétique: il circule parallèlement à l’axe de rotation du moteur dans une machine à flux axial, contrairement aux moteurs à flux radial, où il se déplace selon un rayon qui pointe vers l’extérieur, perpendiculairement à l’axe de rotation donc.
De nombreux points forts
Cette configuration offre un certain nombre d’avantages au moteur «axial», à commencer par un trajet de flux nettement plus court. En outre, les aimants permanents sont plus éloignés de l’axe, ce qui permet d’obtenir un meilleur rendement et un meilleur effet de levier autour de l’axe central, autrement dit, un couple plus important. Ce sont ces avantages-là qui confèrent au «moteur-crêpe» une densité énergétique bien supérieure à celle des moteurs à flux radial, jusqu’à 2,5 fois plus importante selon certains modèles. A noter également que 100% des enroulements en cuivre du moteur à flux axial sont actifs, alors que les machines à flux radial peuvent parfois avoir jusqu’à 50% de leur cuivre inactif, ce qui ajoute une résistance supplémentaire et provoque de facto une accumulation de chaleur.
Autre avantage du moteur à flux axial, le rotor profite d’un plus grand diamètre, car il tourne le long du stator, plutôt qu’à l’intérieur. Le couple étant égal à la force multipliée par le rayon (pour mémoire, le couple est égal à une force multipliée par une distance), le couple d’un moteur à flux axial est plus important que celui d’un moteur «radial» classique. Autrement dit, pour une force (un courant) identique, le moteur «axial» permet d’obtenir un couple plus important. Cet aspect de la conception des moteurs à flux axial offre généralement un avantage de 30% en matière de densité de couple par rapport à un moteur «radial» classique.
Une technologie vieille de 150 ans
S’il est indéniable que les machines électriques actuelles, autrement dit les moteurs à flux radial, se sont imposées dans l’industrie automobile ces dernières années, l’histoire des machines électriques indique pourtant que les premiers moteurs électriques étaient bel et bien des machines à flux axial, l’invention de celles-ci remontant à 1831, date à laquelle Michael Faraday avait réalisé toute une série d’expériences qui forment aujourd’hui la base de la technologie électromagnétique moderne. Dès lors, pourquoi donc avoir abandonné cette technologie? Eh bien, à l’époque, les difficultés et les coûts élevés de fabrication avaient signé son arrêt de mort.
Ironie du sort, aujourd’hui, c’est bien la machine électrique classique «radiale» qui est menacée. Et ce pour la simple et bonne raison que sa marge de progression, en matière de rendement et de performance, arrive à son terme; aujourd’hui, la technologie est à ce point mature que les évolutions majeures de la branche touchent davantage les batteries, voire les accessoires (climatisation et chauffage) que le moteur en tant que tel.
D’un rendement de 96% actuellement, la machine électrique à flux axial de Yasa ne manque pas d’arguments: «J’avais entamé mon doctorat à l’Université d’Oxford depuis cinq semaines lorsque j’ai soudain réalisé qu’il existait une bien meilleure façon de construire une machine électrique, à savoir un moteur à flux axial torique. J’ai compris qu’en supprimant la culasse du stator du moteur et en la divisant en segments, nous pouvions réduire le poids du moteur tout en améliorant son couple, sa densité de puissance, son efficacité et sa facilité de fabrication, ce qui pourrait transformer l’industrie de l’électrification, alors naissante», raconte Tim Woolmer, directeur technique et fondateur de Yasa. Cette supression a permis à Yasa de réduire substantiellement la masse de son moteur. Ainsi, «cette innovation offre un avantage de plus de 30% en matière de densité de puissance et jusqu’à 5% d’autonomie par rapport aux moteurs électriques standards», n’hésite pas à affirmer l’équipementier britannique.
Des puissances plus importantes
En outre, selon les informations communiquées par Yasa, la solution de refroidissement par huile, mise au point par les ingénieurs, autorise des puissances continues plus importantes: «Un moteur électrique à flux radial de 200 kW de puissance maximale donnera typiquement 50% de sa puissance en fonctionnement continu, soit 100 kW. En revanche, un moteur Yasa de 200 kW fonctionne en continu à 150 kW grâce à un système de refroidissement très perfectionné», promet le constructeur. Voilà qui devrait représenter un avantage significatif dans le segment du haut de gamme.
Destinés à prendre place dans les futures déclinaisons sportives de l’enseigne (on parle bien entendu des variantes AMG), les machines électriques Yasa n’ont pas seulement convaincu Daimler; Ferrari a également jeté son dévolu sur l’entreprise à l’heure d’élaborer sa nouvelle SF90, une supercar hybride dont la puissance cumulée ne vaut rien de moins que 1000 ch (780 ch «thermiques» et 220 ch «électriques»). Voilà qui en dit long sur les performances des futures AMG électriques. Mais cela sera-t-il suffisant pour faire oublier les incroyables blocs thermiques de l’enseigne?