Plus près du ciel

Entre raffinement hors norme et confort extrême, les passagers de la Rolls-Royce Ghost seront sur leur petit nuage. Le V12 sait toutefois se montrer orageux.

Yeux écarquillés, membres figés, les badauds stoppent leur promenade, comme s’ils avaient vu un fantôme. Presque: une Rolls-Royce Ghost vient d’apparaître devant eux, sans un bruit. La noble anglaise a beau être imposante (5,55 m de long), elle se déplace comme si elle flottait au-dessus de l’asphalte. Le V12, malgré son double turbo et ses 571 chevaux, a appris à bien se tenir, quand il est en société: son feulement est tout juste audible, à vitesse urbaine. Si la britannique fait l’effet d’un spectre, c’est aussi en raison de la rareté des produits ornés du Spirit of Ecstasy; elles ont été à peine 3756 à quitter les usines de Goodwood en 2020. 

Stop à l’opulence

Aussi étrange que cela puisse paraître, les designers de Rolls-Royce se sont employés à rendre cette deuxième génération de Ghost moins tape-à-l’œil, suivant les vœux de leurs clients. «Nommé ‹post opulence› en interne, le langage esthétique de la Ghost se caractérise par la limitation et la substance, clame le communiqué de presse. Cette philosophie est l’antithèse de la ‹médiocratie premium› (…), un terme désignant les produits recourant à des solutions superficielles, comme des logos surdimensionnés ou, dans le monde automobile, à une surcharge de coutures et à d’autres astuces.» 

Exit donc le suranné et le cliquant, place à un design «limité, intelligent et non intrusif». La Ghost deuxième du nom s’habille ainsi d’une robe aux lignes épurées, privilégiant les surfaces planes, fuyant les détails inutiles. Enfin, tout est relatif: l’immense calandre est illuminée de 20 LED; les «fanons» ont cependant reçu un traitement mat, en vue de contenir les réflexions de lumière. La Ghost évite le piège du bling-bling, mais difficile de parler de discrétion lorsqu’on est face à un engin de 5,55 m de long et 2,15 m de large.

Soin obsessionnel du détail

Le bon goût ne s’est pas arrêté au seuil des portes à ouverture antagoniste. Tirer un ouvrant à la force des bras n’était visiblement pas digne d’un client Rolls-Royce: il suffit de garder le doigt sur la poignée et un moteur électrique écartera la porte. Un raffinement qui se veut une mise en bouche du festin à l’intérieur. «Eblouissant» est le mot qui vient à l’esprit, et ce n’est pas le fait de LED, du rétroéclairage d’écrans ou du laquage des boiseries: pour Rolls-Royce, le luxe ne se vit pas dans l’ostentatoire, mais dans le soin obsessionnel du détail. Quelques exemples? 338 panneaux du cuir surfin tapissent ce cocon digne d’un très exclusif fumoir anglais. Prenons encore l’insert en bois sombre de la planche de bord: la finition mate et satinée de cette pièce suggère le prestige, elle ne le hurle pas. Citons aussi la pièce rétro-illuminée avec l’inscription Ghost, cernée de 850 étoiles, face au passager: en posant les yeux dessus, on pourrait croire à un écran, mais il n’en est rien: il s’agit d’une insert subtilement rétroéclairé. On tombe de notre chaise lorsqu’on apprend que le développement de cette pièce a pris deux ans, cumulant 10 000 heures (!) de travail. Elle fait écho au Starlight Headliner, le célèbre plafond éclairé recréant un ciel étoilé. 152 LED diffusent leur lumière via un guide optique épais de 2 mm et percé au laser de 90 000 trous.

Pas de bassesses

L’obsession pour le détail ne s’arrête pas là. Vous savez sans doute que tous les constructeurs tentent de faire des économies là où ils le peuvent; les quelques centimes grappillés ici et là se transformeront en des centaines de milliers de francs par an, sur une auto produite à large échelle. L’astuce consiste à réserver les matériaux les plus flatteurs aux pièces à portée de main (ou de regard) et à caser les plastiques quelconques pour les parties les moins accessibles. Toutefois, lorsqu’on s’appelle Rolls-Royce, que l’on produit 5000 voitures par an et que le premier prix est fixé à plus de 320 000 francs, on n’a pas besoin de ce genre de bassesse. Même une «vulgaire» bouche d’aération pour les pieds des passagers – une pièce que personne ne voit – reçoit, à l’instar des autres aérateurs de l’habitacle, une finition en acier poli. 

D’autres touches de chrome ont été éparpillées ailleurs dans l’habitacle, sans excès; rarement, nous nous serons autant extasiés devant des molettes pour le réglage de la soufflerie. L’ergonomie ne souffre pas de cette recherche obsessionnelle du soin, bien au contraire: les commandes physiques étant devenues – hélas – un luxe, Rolls-Royce vous en abreuve sans compter. Oh, que les technophiles se rassurent, il y a bien assez d’écrans à l’intérieur de la Ghost. Outre le tableau de bord, nous trouvons trois autres écrans servant à l’infodivertissement: un pour les passagers avant et deux au fond. Ceux-ci s’escamotent électriquement dans le dossier des sièges antérieurs, derrière une élégante tablette en bois. En plus de servir au visionnage de films (des entrées USB et HDMI sont de la partie), les écrans du fond pilotent les systèmes de l’auto, de la radio au GPS. Ecrivez une destination – que ce soit grâce à la molette dans l’accoudoir central ou en tapotant sur l’écran – et le guidage débutera sur l’écran à l’avant du véhicule. Même plus besoin de parler avec votre chauffeur!

Petits faux pas

L’habitacle de la Ghost frise la perfection, mais des faux-pas ternissent cette prestation éclatante. Côté matériaux, quelques intrus – comme les leviers des essuie-glaces et des clignotants – se sont invités à bord. Sans être de mauvaise qualité, les deux comodos détonnent par rapport à l’excellence environnante. 

Plus grave, en dépit de l’empattement de 3,30 m, l’habitabilité des places arrière n’est pas extraordinaire, elle est tout juste correcte pour les personnes mesurant 1,85 m et plus. Pour un carrosse de ce standing, voilà qui est gênant, de nombreux clients passeront le plus clair de leur temps à l’arrière de leur Ghost. Vraiment? Rolls-Royce n’en est pas certain: si les clients asiatiques préfèrent effectivement se prélasser à l’arrière du véhicule, les propriétaires américains et européens de la Ghost aiment se mettre derrière le volant, a remarqué la marque. 

Fort de ce constat, Goodwood a mis le même soin sur les parties huileuses de la Ghost que sur les cuirs Connolly. La noble britannique, même si elle n’est «que» l’entrée de gamme Rolls-Royce, bénéficie de la même plateforme en aluminium que le vaisseau amiral, la Phantom. Chose suffisamment rare pour être soulignée, cette architecture est exclusive à Rolls-Royce, BMW – qui détient la marque depuis 1998 – n’ayant pas contraint Goodwood à trop puiser dans sa banque d’organe. 

Rolls-Royce a réservé aux amoureux de technique une petite exclusivité: un amortisseur sur le triangle supérieur de la suspension avant. Pour mieux absorber les vibrations à haute fréquence – comme une saignée d’autoroute – les ingénieurs ont fixé au triangle supérieur une masse oscillante garnie de butées en caoutchouc. Cette masse inertielle fonctionne sur le même principe que l’amortisseur d’harmoniques, la pièce ancrée au bout du vilebrequin pour en contrer les vibrations. 

Les vibrations à basse fréquence sont, elles, effacées par les amortisseurs pneumatiques de série. Ceux-ci s’adaptent en continu à l’état de la route, grâce aux informations fournies par une caméra qui «lit» l’état de l’asphalte. La suspension arrière à cinq bras reçoit son lot d’améliorations, comme les roues directrices. L’armada technique est complétée par une transmission aux quatre roues, un avantage pour acheminer les 850 Nm de couple maximal au sol, mais qui se paie sur la balance. Malgré l’usage de l’aluminium pour tous les panneaux de carrosserie, la Ghost accuse un poids de 2490 kg à vide. 

Inconcevable

L’inconcevable se produit sur route. Comment une auto si lourde peut se comporter avec une telle légèreté? Le mérite revient bien entendu à la suspension, qui réalise une prestation ahurissante. Déformations, cassures, rails, rebords, nids-de-poule, les passagers de la Ghost ne sauront rien de ce qu’il se trame sous les roues. Bien engoncés dans leur fauteuil chauffant, ventilé et massant, ils seront comme sur un petit nuage. 

Si le confort de la Ghost est si spectaculaire, ce n’est pas juste le mérite des trains roulants. Le V12 biturbo de 6,75 litres apporte aussi à sa contribution à cette ode au bien-être. Et pas qu’un peu! Attendez, direz-vous, comment associer un moteur de 571 chevaux au confort? Eh bien, en raison de la véritable valeur utile dans la conduite quotidienne, celle du couple maximal. Avec 850 Nm disponibles à 1600 tr/min déjà, le douze-cylindres déverse sa force titanesque au moindre chatouillement de l’accélérateur. A 120 km/h, le compteur de réserve de puissance – qui remplace le compte-tour – vous nargue en indiquant que 90% des chevaux sont encore au repos! Des caractéristiques idéales pour un tel palace roulant, cette poigne monumentale, disponible immédiatement, autorise une conduite dans une souplesse remarquable; nul besoin d’aller chercher les hauts régimes, troublant le calme à bord. En revanche, sur mauvais revêtement, des bruits de roulement parviennent à s’inviter à bord, au nez et à la barbe des 100 kg de matériaux phoniques. 

Peu de sensations

Que la Rolls-Royce Ghost est extrêmement confortable, ce n’est pas une surprise; ce que vous voulez véritablement savoir, c’est ce que cette Ghost a dans le ventre, ce qu’il se passe quand on bouscule cette lady. Va-t-elle perdre toute dignité, en s’encoublant dans sa robe des grandes occasions? Au risque de décevoir, la réponse est non. Pied au fond, la Ghost soulève son buste tel un noble destrier et s’élance dans un galop implacable. Le V12 donne enfin de la voix, les feulements versant dans un registre métallique. La vitesse indiquée par l’excellent affichage tête haute s’emballe, mais ce n’est pas le cas des pulsations cardiaques. La fiche technique indique une accélération de 0 à 100 km/h en 4,8 secondes, il faudra bien la croire: impossible de nous fier à nos sensations pour jauger de la poussée de la Ghost, ce cocon ouaté nous isole totalement du monde extérieur. Ce côté détaché de la route, couplé à une direction peu communicative, ne nous invite pas à forcer l’allure dans les virages. La Ghost contient les mouvements de caisse de façon remarquable, mais on ne fait pas de miracles non plus à Goodwood: augmentez la cadence et la suspension saturera sous l’effet du poids, du sous-virage se manifestant. Reste que cette Ghost n’est pas une sportive et ne cherche pas à l’être. Le plaisir qu’elle procure se situe ailleurs, il se trouve dans son raffinement extrême, sans excès. Il est le fruit d’une démarche «sincère», où la substance a été préférée à l’esbroufe. C’est la recette des produits exquis, de ceux qui hanteront longtemps les hautes sphères automobiles.

Vous trouverez le fiche technique de ce modèle dans la version imprimée de la RA et dans le e-paper.

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