Auteur: Dave Schneider
En aéronautique, la technologie dite «steer-by-wire», ou direction électrique, s’est imposée depuis longtemps. Il y a belle lurette que les longs câbles reliant le manche aux volets correspondants sur les ailes des avions ont été remplacés par des servomoteurs dépourvus de toute liaison mécanique avec le cockpit. Celle-ci fait tout au plus office de dispositif de secours. La direction électrique a également trouvé quelques applications dans le domaine de l’automobile. C’est notamment le cas dans des véhicules transformés à l’intention de conducteurs handicapés, quand le volant est remplacé par un joystick ou toute autre commande électronique. Mais elle ne s’est pas encore imposée dans la production automobile de grande série.
Bien qu’il existe des modèles de série équipés de la fonction steer-by-wire depuis un certain temps déjà – comme les Infiniti Q50 et Q60 (qui ne sont plus importées en Europe) –, ils constituent l’exception absolue. La marque premium de Nissan a opté dès 2013 pour ce système qu’aucun autre constructeur automobile n’a voulu adopter à ce jour. Mais ce n’est pas pour des raisons de sécurité, car les systèmes steer-by-wire d’Infiniti ou des équipementiers automobiles tels que Schaeffler, Thyssen-Krupp, Nexteer ou encore Mando sont assez similaires. Trois unités de commande distinctes fonctionnent en parallèle pour assurer la sécurité, et un coupleur établit automatiquement une connexion mécanique avec la timonerie de direction en cas d’urgence absolue. Donc pas de quoi s’affoler!
Réduire l’effort musculaire
Le mode de fonctionnement du système steer-by-wire est facile à expliquer. Quel que soit le type d’assistance – hydraulique ou électrique –, le but est de réduire l’effort musculaire fourni par le conducteur. Dans le cas d’une direction conventionnelle, c’est une liaison mécanique qui permet au conducteur d’orienter les roues. Les mouvements du volant sont transmis via la colonne de direction, le boîtier de direction et les biellettes aux porte-fusées qui soutiennent les roues. Dans le cas d’une direction purement électrique, en revanche, les actions exercées sur le volant sont mesurées par un capteur. Les unités de contrôle transmettent ces valeurs à un servomoteur qui oriente les roues en conséquence. Un autre moteur électrique simule le retour d’informations dans le volant. Tout cela se passe en quelques millisecondes, donc sans délai notable pour le conducteur.
La technologie steer-by-wire offre divers avantages. Outre le gain d’espace et de poids – un critère cependant décisif en aéronautique – une direction de voiture totalement électronique permet au conducteur d’en déterminer lui-même le rapport de démultiplication et les retours d’information. Elle peut aussi prendre en charge les fonctions de correction et d’assistance liées aux aides à la conduite tels l’évitement automatique d’obstacles ou le maintien dans la voie de circulation. Toutefois, l’intention première d’Infiniti était de doter la Q50 d’une direction plus réactive. «Le système steer-by-wire transmet les ordres du conducteur plus rapidement aux roues qu’un système mécanique et nécessite moins de corrections, car il peut effectuer mille ajustements par seconde», avait vanté le constructeur lors du lancement du modèle il y a huit ans. Le steer-by-wire améliore le ressenti de la direction en transmettant rapidement et intelligemment au conducteur des informations sur la surface de la route et le comportement des trains roulants. «Cela procure un sentiment de sécurité et de confiance au volant, sans effets de couple ni vibrations inutiles.»
Plus de quarante ans d’expérience
Les systèmes steer-by-wire sont largement utilisés depuis longtemps. Pas seulement en aéronautique, mais notamment sur des véhicules spéciaux affectés aux transports lourds, par exemple ceux utilisés pour tracter des avions. On les retrouve aussi sur des engins agricoles tels que les moissonneuses-batteuses, ainsi que dans le secteur militaire ou la construction. Cette technologie est également utilisée dans toutes les applications où plusieurs essieux doivent être dirigés selon une certaine géométrie les uns par rapport aux autres, ou lorsque la force pour diriger l’engin est trop élevée pour être prise en charge par une direction classique.
Approuvé par les pros
Les puristes opposent à cela qu’on ne peut obtenir de véritable retour d’informations de la route qu’avec une direction mécanique, précisément parce qu’un système steer-by-wire élimine toutes les vibrations. Il est intéressant de noter que les pilotes professionnels qui ont testé un tel système ne cachent pas leur enthousiasme pour ce système. Le champion du monde de Formule 1 Nico Rosberg, par exemple, ne tarit pas d’éloges. En effet, voici ce qu’il a déclaré après un essai de l’Audi R8 LMS GT3 sur la boucle nord du Nürburgring: «Je n’ai pas ressenti le moindre inconvénient, même les vibreurs et les petites imperfections étaient perceptibles.» Très impressionné par le ressenti, mais aussi par les possibilités offertes par ce système, le Monégasque d’adoption poursuit: «Cette technologie jouera un rôle important dans le développement des véhicules futurs. Sans colonne de direction, on gagne énormément d’espace et l’habitacle peut être aménagé plus librement.»
Du circuit à la route
C’est grâce à l’équipementier allemand Schaeffler que le steer-by-wire a pu être testé en course. L’entreprise de Franconie centrale a développé une direction électrique appelée Space Drive, sous la marque Schaeffler Paravan. Et comme elle est présente en sport automobile par le biais de plusieurs teams, notamment en DTM et en Formule E, il était logique que les tests se fassent sur circuit. «Le DTM est un terrain d’essai idéal pour poursuivre le développement du Space Drive 3 en vue d’une production à grande échelle», explique Roland Arnold, le PDG de Schaeffler Paravan Technologie. Actuellement, trois teams de DTM (Rowe Racing, Mücke Motorsports et Abt Sportsline) font courir des voitures équipées de Space Drive. Elles sont pilotées notamment par l’ex-pilote de Formule 1 Timo Glock sur une BMW M6 GT3, par Sophia Flörsch sur une Audi R8 GT3 et le double champion de DTM Gary Paffet. Soit dit en passant, le système a été inauguré le 22 juin 2019 lors des 24 Heures du Nürburgring. Avec la pilote suisse Rahel Frey au volant.
La technologie steer-by-wire n’est qu’un élément du système Space Drive de Schaeffler. Celui-ci ne contrôle pas que la direction, mais aussi les freins et la boîte de vitesses de manière entièrement électronique. Et l’équipementier automobile ne vise pas seulement le sport automobile avec ce produit qui a déjà été soumis à plus d’un milliard de kilomètres de tests sur route, sans aucun accident. «C’est une technologie-clé pour la conduite autonome», on en est convaincu chez Schaeffler. De nombreux constructeurs automobiles, équipementiers et instituts de recherche y auraient déjà recours pour des tests de véhicules et de prototypes affectés à la conduite autonome. Avec l’objectif clair de lancer bientôt le steer-by-wire sur des véhicules de grande série.
Un préalable à la conduite autonome
D’innombrables études décrivant l’automobile de demain ont toutes une chose en commun: l’absence de la colonne de direction. C’est compréhensible dans le cas de concept cars qui ne sont appelés à rouler réellement que rarement, surtout parce que cela offre aux designers beaucoup plus d’espace pour créer un habitacle accueillant et futuriste. Mais il y a aussi une autre raison, technique celle-là: si la conduite autonome s’impose un jour, il sera plus logique que la direction soit prise en charge par un système purement électrique. «Le steer-by-wire joue un rôle primordial dans la mise en œuvre des tendances majeures de l’industrie automobile que sont l’électrification et la conduite autonome», certifie Alan David, qui dirige le développement de cette technologie chez l’équipementier américain Nexteer. Mais la direction électrique est aussi un préalable indispensable à une autre caractéristique que Nexteer souhaite faire accepter par les constructeurs automobiles, à savoir la console de direction escamotable. «Cela nous ouvre de nouvelles perspectives en matière de conception d’habitacles flexibles», déclare avec conviction Rick Nash, responsable du développement. C’est particulièrement vrai pour la conduite autonome, mais la direction escamotable pourrait offrir des avantages même aujourd’hui. Par exemple plus d’espace pour travailler ou se reposer quand la voiture est stationnée.