La CVT, prête à passer la seconde?

Boudée par les européens, la boîte à variation continue (CVT) pourrait bien s’offrir une seconde jeunesse grâce à l’électrification.

Si la boîte de vitesses à variation continue (CVT, acronyme des termes anglais Continuously Variable Transmission) n’est pas souvent utilisée par les constructeurs européens, elle est, en revanche, monnaie courante aux Etats-Unis et au Japon, où des firmes comme Ford, Toyota, Honda ou encore Nissan y ont fréquemment recours afin de concevoir les chaînes cinématiques de leurs véhicules. Ce succès commercial s’explique par les trois qualités principales de ce type de boîte: dénuée des à-coups propres aux changements de rapports des boîtes de vitesses automatiques standards, la CVT profite, du fait de sa conception (lire encadré), d’un excellent confort de fonctionnement. En outre, capable de faire fonctionner le moteur à son régime de rendement maximal, elle permet à celui-ci d’afficher – en théorie – une moindre consommation. Enfin, elle profite d’un faible coût de production et d’entretien. Un avantage de taille pour les petites voitures, sur lesquelles les coûts de production font l’objet de la plus grande attention.

Forte de tous ces atouts, la boîte CVT pourrait bien faire son grand come-back en Europe. Non pas au sein d’automobiles thermiques, mais bien dans les véhicules électriques. C’est, en tout cas, l’idée qu’a eue un grand nom de l’industrie automobile: Bosch. Plus précisément, il s’agit de Bosch Transmission Technology B.V., une filiale néerlandaise de Bosch. Basée à Tilburg, cette société est spécialisée dans le développement et la production en série de courroies et de chaînes utilisées dans les boîtes CVT.

CVT: comment ça marche?

Techniquement, une transmission automatique à variation continue (CVT) s’article autour de trois pièces mécaniques principales, deux poulies variables et une courroie, faite de caoutchouc (tracteurs ou cyclomoteurs) ou de métal (automobile). Chacune des deux poulies se compose d’un côté mobile en forme de cône. Selon l’utilisation requise, ce cône peut s’approcher ou s’éloigner afin de modifier la position de la courroie. En fonction de l’écartement des parois des poulies, la courroie pénètre plus ou moins près du centre, et modifie ainsi le rapport de vitesse de la boîte. A noter que ladite courroie est assemblée en V afin de bien épouser la forme de la poulie et ainsi permettre le maximum d’adhérence. La poulie dite motrice est rattachée au moteur. Quant à l’autre, la réceptrice, elle est reliée plus ou moins directement aux roues.

Sur le principe, une boîte CVT fonctionne de la même manière qu’une transmission de bicyclette dans laquelle la poulie motrice correspondrait aux trois plateaux de la cassette du pédalier, et la poulie réceptrice aux sept pignons de la cassette accolée à la roue arrière. Ainsi, en montée, à faible vitesse, c’est le diamètre le plus petit au pédalier qui sera sélectionné, tandis qu’à l’arrière, il faudra engager le plus grand disque. Et vice versa en descente, à haute vitesse. Evidemment, dans le cas du vélo, ce sont des roues dentées qui sont utilisées. Voilà pourquoi il est clairement possible d’établir un nombre de vitesses. En l’occurrence, le vélo de notre exemple dénombre 21 vitesses (3×7). Mais, dans le cas de la CVT, la courroie peut se positionner pratiquement n’importe où sur les cônes. Voilà qui explique pourquoi l’on parle de boîte à variation continue et d’un nombre infini de rapports.

Une CVT, pour quoi faire?

Mais, au fait, quel intérêt auraient les véhicules électriques, habituellement équipés d’un unique rapport de transmission, à s’équiper d’une boîte à variation continue? Eh bien, la raison est assez simple: bien qu’il soit souvent dit que le couple maximal des voitures électriques est disponible quel que soit leur régime moteur, cela n’est pas tout à fait exact. En effet, s’il est vrai que les machines électriques ont un couple maximal disponible sur une très grande partie de leur plage de fonctionnement, il finit néanmoins par décroître à haute vitesse. De plus, la totalité de la puissance d’une machine électrique n’est pas toujours disponible dès les premiers tours/minute; il faut parfois que le rotor tourne à une certaine vitesse pour pouvoir profiter de l’entièreté de la puissance du moteur. Quant à leur efficience, si elle est effectivement très bonne sur une large plage de fonctionnement, il n’en reste pas moins qu’elle n’est pas complètement invariable.

Corollaire de l’efficience, l’autonomie des véhicules électriques est l’une des principales préoccupations des constructeurs automobiles, à l’heure actuelle. Voilà qui explique pourquoi une entreprise comme le Groupe Volkswagen a, par exemple, développé une boîte de vitesses à deux rapports pour ses Audi e-tron GT et autres Porsche Taycan (lire RA n°22/2021). Mais cette solution ne serait pas sans défaut, si l’on en croit les propos de Gert-Jan van Spijk, responsable de l’ingénierie CVT chez Bosch: «Les transmissions à deux vitesses permettent, certes, d’optimiser le couple, la puissance et l’efficience du moteur, mais la coupure induite par le changement de rapport engendre des perturbations au niveau du couple, de l’accélération et du confort», explique-t-il en substance à SAE International, une publication spécialisée. Une tare que nous avions effectivement constatée dans notre essai de la Porsche Taycan 4S (lire RA n°1-2/2021): «La boîte de vitesses à deux rapports du train arrière dispense un désagréable à-coup lors de son unique changement de rapport», écrivions-nous. Aussi, pour Gert-Jan van Spijk, «la boîte à variation continue représente une association plus logique, car elle est non seulement capable d’améliorer le rendement du moteur électrique, mais aussi de conserver une accélération fluide, propre aux machines électriques.» Effectivement, à faible vitesse, la CVT permettrait, selon son concepteur, d’améliorer les performances d’accélération, voire les capacités de franchissement d’un véhicule off-road. En outre, elle fournirait un couple accru en cas de remorquage, tout en consommant moins d’énergie. Et à vitesses plus élevées, elle permettrait d’optimiser l’efficience de la machine tout en augmentant sa vitesse de pointe.

Des améliorations notables

Cherchant à prouver ses dires, l’équipementier a installé sa solution dans une compacte de segment C, en l’occurrence une Volkswagen Golf de septième génération dont la puissance est de 150 kW (201 ch). Premières constations: la boîte à variation continue serait impossible à distinguer d’une transmission à rapport unique. En outre, elle permettrait de réduire la vitesse de rotation de la machine électrique, ce qui améliorerait le confort. Plus précisément, les tests effectués par Bosch auraient révélé une réduction de 3% de l’accélération de 0 à 100 km/h, une baisse de 13% de l’accélération de 80 à 120 km/h et une augmentation de 11% de la vitesse maximale. Quant au gain d’autonomie, Bosch ne dit rien, mais précise tout de même qu’une augmentation d’efficacité allant jusqu’à 4% pourrait être envisagée sur un véhicule du segment D.

Techniquement, la solution proposée par Bosch se compose d’un module CVT4EV, d’un onduleur, d’une machine électrique et d’un essieu moteur dont le rapport est spécifique au véhicule. Elle convient à une grande variété d’applications, allant des voitures de taille moyenne aux voitures de sport en passant par les véhicules utilitaires légers. A noter que le module CVT4EV peut fonctionner sous une programmation spécifique, permettant de proposer différents modes de conduite pour différents types de véhicules. De quoi permettre aux constructeurs de se démarquer de la concurrence en offrant un comportement spécifique. A noter que la CVT4EV peut également être installée dans les voitures électriques disposant de deux moteurs (transmission intégrale).

Des défauts inhérents

Sur le papier, la CVT électrique développée par Bosch aurait donc tout pour séduire les constructeurs de véhicules électriques. Néanmoins, dans les faits, ce type de boîte souffre d’un gros problème, comme l’explique Frederic Vizzini, Expert Project Manager chez AW Europe/Aisin, filiale du Groupe Toyota spécialisée dans la conception de boîtes de vitesse: «Certes, une boîte CVT permettra à la machine électrique de travailler en permanence à son régime d’efficience maximal, mais il n’en reste pas moins que l’unité CVT, en tant que telle, est bien plus énergivore qu’une simple boîte de vitesses à rapport unique», explique-t-il à la Revue Automobile. Ainsi, le principal avantage permis par la CVT serait, en fait, gommé par une conception plus compliquée, la boîte étant constituée d’une courroie (ou d’une chaîne), de plusieurs actionneurs et d’un système hydraulique. Une architecture complexe qui nous amène d’ailleurs à l’autre gros problème de la CVT: son coût. Certes moindre que celui d’une boîte de vitesses automatique à huit rapports, le prix d’une CVT reste néanmoins plus élevé que celui d’une transmission à rapport unique, comme le développe Vizzini: «Cela va à l’encontre de la philosophie des voitures électriques. L’un des principaux avantages de l’électrification est qu’elle permet de simplifier les choses et ainsi de diminuer les coûts de production. Ce qui est essentiel, car, sur un véhicule électrique, la batterie coûte déjà énormément d’argent. Et il est important de compenser cela par une chaîne cinématique simplifiée. Autrement, il faudrait vraiment que le gain d’efficience en vaille la peine. Mais, je ne pense pas que cela soit le cas avec une CVT. Certes, les boîtes à variation continue avaient toute leur raison d’être dans les véhicules thermiques, puisque la zone de rendement maximal du moteur est très restreinte. Mais, dans le cas d’une machine électrique, où cette zone est bien plus vaste, la CVT a beaucoup moins de sens, les gains d’efficience potentiels étant bien moins prometteurs.»

ZF du même avis qu’Aisin

Le même son de cloche est constaté du côté de l’équipementier allemand ZF: «Après avoir investigué et réalisé des études de marché concernant le développement d’une boîte CVT dédiée aux véhicules électriques, nous sommes arrivés à la conclusion qu’une telle solution ne méritait pas d’être développée, celle-ci n’ayant un sens que dans certaines applications spécifiques», explique le Dr. Michael Ebenhoch, Senior Vice President Electrified Powertrain Technology (Head of engineering) chez ZF. Les raisons évoquées par l’expert? Elles sont toujours les mêmes: le spectre d’efficience maximal plus large des machines électriques ainsi qu’une conception plus complexe.

L’électrification laissait présager une certaine uniformisation du marché automobile. Mais les divergences d’opinion constatées entre les magnats de l’industrie que sont, d’un côté, le géant allemand Bosch et, de l’autre, des firmes aussi réputées que ZF et Aisin devraient finalement accoucher de solutions plutôt variées. Ce qui fait plaisir à constater, tant un retour de la diversité semble primordial pour la branche.

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