A Maranello, nous avions rendez-vous avec l’histoire. En voilà une accroche pompeuse, direz-vous. Pourtant, nous l’entendons dans son sens littéral: Ferrari nous a donné rendez-vous dans son département Classiche – en charge de la restauration des modèles historiques – pour la conférence de presse de la 812 Competizione. En contemplant les bijoux qui ont forgé la légende du Cavallino rampante, nous hésitons entre l’admiration et l’amertume: les cris d’orfraie des défenseurs du climat sont en train de réduire au silence les orgues de l’automobile. Le V12 pourrait bien, sous le capot de la 812 Competizione, connaître son expression ultime… mais également son ultime expression, sans trace d’électrification. Interrogés sur ce point, les porte-paroles de la marque répondent que Ferrari maintiendra les 12-cylindres «aussi longtemps que possible», une formulation engageant à pas grand-chose. Alors, plutôt que de nous inquiéter de l’avenir, profitons du présent. Oui, car ce V12 de 6,5 litres est un véritable cadeau, pour les fins connaisseurs et amoureux de l’automobile.
Un cœur revu en profondeur
Pour lui faire cracher 30 chevaux supplémentaires, les ingénieurs n’ont pas pu augmenter la pression du turbo, car le F140 HB (son nom de code) représente l’aristocratie mécanique. Il n’a pas recours à ce «vil» truc de moteur roturier pour dégoter des canassons. Le V12 «respire» naturellement, et mieux encore sur cette évolution, grâce à un collecteur d’aspiration aux conduites raccourcies. La puissance à haut régime s’en trouve augmentée, tandis que, pour les basses rotations, le système (à géométrie variable) est capable d’allonger les tubulures.
Les motoristes ont également plongé leur nez dans les cylindres. Le titane a été préféré à l’acier pour les bielles, car 40% plus léger. Cet allègement a nécessité le rééquilibrage du vilebrequin et, tant qu’à faire, les techniciens de Maranello en ont profité pour le «dégraisser» de 3% au passage.
Pour la distribution, les motoristes ont regardé sur la copie de leurs collègues de la F1: ils ont ainsi ajouté des poussoirs en acier agissant sur les soupapes. «Ce doigt mécanique évite l’entrée en résonnance des ressorts de soupape à très haut régime», explique Ruggero Cevolani, responsable de projets au département moteurs de Ferrari. Oui, car le F140 HB peut tourner vite, extrêmement vite: il frappe le rupteur à 9500 tr/min, un record pour un V12 routier signé Ferrari. Un chiffre à donner le tournis, tout comme la puissance, qui culmine désormais à 830 ch ou le couple, de 692 Nm.
Le truc en plus
Si le propulseur a fait l’objet de toutes les attentions, l’aérodynamique (lire l’encadré) et les trains roulants n’ont pas été oubliés. Dans l’armada de dispositifs électromécaniques, le système des roues arrière directrices mérite le détour. A basse vitesse, les roues arrière braquent dans le sens opposé de l’essieu avant; à vive allure, le train arrière imite les roues avant, en s’inclinant jusqu’à 1,5°. Il n’y a pas de quoi en faire un foin, direz-vous, la concurrence fait pareil depuis des années. Oui, mais Ferrari a amené sa touche personnelle. Contrairement aux systèmes concurrents, les roues arrière de la 812 Competizione s’inclinent de façon indépendante, l’une pouvant adopter un angle différent de l’autre. «Pour compenser la charge plus élevée sur la roue extérieure au virage, nous augmentons l’angle de pincement uniquement sur celle-ci», explique Stefano Varisco, en charge de la dynamique du véhicule. Quant à la roue intérieure à la courbe, si elle s’incline moins, c’est pour «se jeter» plus rapidement de l’autre côté, en vue du virage suivant. Lors des freinages, les deux roues convergeront vers l’intérieur pour stabiliser le missile.
L’appui plutôt que la vitesse de pointe
De la haute voltige, pour plaquer la voiture au sol. Ainsi pourrait-on résumer les efforts réalisés par les aérodynamiciens de Maranello sur la 812 Competizione. L’élément le plus spectaculaire est certainement les générateurs de vortex situés sur la «vitre» arrière. Des guillemets de rigueur car, à la place de la lunette arrière, nous retrouvons un élément de carrosserie; la rétrovision est assurée par une caméra. Les six ailettes en carbone qui y sont fixées répliquent les déviateurs du fond de la voiture. Le flux de l’air, en se heurtant à cet élément, s’entortillera en vortex, qui appuiera davantage sur l’aileron arrière. Sans avancer de chiffre absolu, Ferrari soutient que l’ensemble des mesures aérodynamiques – qui a coûté quelques km/h en vitesse de pointe – a permis d’augmenter l’appui de 80 kg à 250 km/h.
Ça tombe bien, la piste «maison» de Ferrari, Fiorano, se trouve à un saut de puce de là. Il n’y a toutefois pas une seconde à perdre: le ciel est menaçant ce matin sur le circuit, la pluie pourrait transformer le rock’n’roll de virages en un ballet incontrôlable. Même les tours de chauffe seront menés à vitesse grand V, mais heureusement, cette bête féroce sait vite vous mettre à l’aise. La direction semble lire vos intentions avec une fidélité troublante; regardez le point de corde, et le train avant – délicieusement précis – s’y jettera au millimètre près. La 812 Competizione enroule ensuite le virage avec une déconcertante stabilité, grâce à un essieu avant rivé au sol et l’assise donnée par ce fameux train arrière directeur. L’action braquante est particulièrement sensible dans le virage qui mène au pont, en légère montée.
Poussée frénétique
Toutefois, nous sentons bien que là-dessous, un véritable volcan peut entrer en éruption à l’écrasement de la pédale. Montrons, dans cette phase d’apprivoisement, du respect pour cette machine de guerre. Nous réaccélérons avec un rapport plus élevé, afin d’éviter des ruades non désirées du train arrière. Peuh, le 12-cylindres se rit de ce «truc» de journaliste prudent: avec sa force titanesque, il repart à l’assaut de la zone rouge avec légèreté, 80% du couple maximal étant déjà disponible à 2500 tr/min. La mécanique s’emballe, les hurlements du V12 passent du métallique au strident à mesure que l’aiguille fonce vers la zone rouge et un frisson nous parcours l’échine. A 7000 tr/min, alors que les moteurs turbo ont déjà craché leurs poumons, le F140 HB retrouve un second souffle. C’est à cet instant qu’il délivre son effort maximal (692 Nm) et reprend sa cavalcade oppressante jusqu’au rupteur. Il jettera l’éponge à 9250 tr/min, dans un hurlement déchirant. Nous tirons sur la palette droite pour monter un rapport et espérer reprendre notre souffle. C’est peine perdue, la boîte de vitesses à double embrayage 7 rapports remet le V12 dans sa zone de frénésie.
En chiffres, cela se traduit par un 0 à 100 km/h atomisé en 2,9 s et, plus impressionnant encore, 0 à 200 km/h en 7,5 s. Une telle sauvagerie exige du respect et un pilotage «académique», cette tigresse étant prête à vous arracher la tête à la moindre incartade. Aussi, parce que le poids, 1487 kg à sec, est sensible en appui. Ferrari n’a pas cherché à créer l’engin ultime de circuit, un instrument pour partir à la chasse aux millièmes de secondes, tour après tour. Après tout, le gain en poids, s’élevant à 38 kg à peine, est modeste. Le Cavallino rampante a mis au monde une sportive utilisable au quotidien, mais avec des réactions – et, finalement, une personnalité – bien à elle, sur circuit. Prenez le temps de l’apprivoiser, et la 812 Competizione vous le rendra au centuple en termes de plaisir. A cet égard, la Grand Tourisme, limitée à 999 coupés et 549 cabriolets (tous vendus), se montre un formidable écrin pour ce fabuleux V12; un hommage dont on se souviendra longtemps, en espérant qu’il ne s’agisse pas d’un testament.
Vous trouverez le fiche technique de ce modèle dans la version imprimée de la RA et dans le e-paper.