Révolutionnaire. Triomphe d’ingénierie. Dans la brochure promotionnelle et dans les publicités de Pontiac, aucun mot n’est trop fort pour le décrire. Qui? Lui, le tout-nouveau six-cylindres en ligne à arbre à cames en tête (OHC, soit Over Head Cam). Il faut dire que lorsqu’il apparaît, ce moteur a beaucoup fait parler de lui. En effet, dans le paysage automobile américain d’alors, le moteur culbuté prédominait très largement et son hégémonie durera encore longtemps.
Un moteur innovant, exotique et osé
L’instigateur de ce courageux projet avant-gardiste n’est autre que John Z. DeLorean, arrivé en 1956 chez Pontiac et promu ingénieur en chef en 1961, puis directeur de la marque en 1965. Débordant d’idées, il est à l’origine de nombreuses innovations, dont l’arbre de transmission flexible de la Tempest. Quand il s’est agi de développer un six-cylindres moderne pour remplacer le 4-cylindres qui propulsait les modèles les plus compacts de la marque (il n’y avait plus que des V8 entre 1955 et 1964), il a réfléchi en ingénieur, et non pas en financier. Il a toutefois réussi à «vendre» un moteur particulièrement exotique aux accents européens aux pontes de General Motors.
Avec son 6-cylindres OHC de 3,0 l, Mercedes semble avoir inspiré DeLorean. Jaguar et Alfa Romeo proposaient également des moteurs à arbres à cames en tête à cette époque. Mais Pontiac allait pousser le bouchon un peu plus loin, en ne se contentant pas d’utiliser une chaîne comme ses homologues, mais une courroie crantée, faite de néoprène et renforcée avec de la fibre de verre. Cette solution présentait plusieurs avantages, dont un gain de poids et une réduction du bruit.
Concernant le reste du moteur, il se base en grande partie sur le bloc Chevrolet de 230 cui (3,8 l). Mais, grâce au traitement de choc du docteur DeLorean, il développe 25 ch de plus, soit 167 ch à 4700 tr/min. Parce qu’il est libéré de certaines pièces en mouvement entraînant une inertie (comme les tiges de culbuteurs), il peut tourner à de plus hauts régimes. Mais ce n’est pas tout: une version Sprint optionnelle permet d’en tirer 209 ch à 5200 tours et 309 Nm à 3800 tr/min grâce à un carburateur Rochester à quatre corps, un arbre à cames plus pointu, des doubles ressorts de soupapes, une pipe d’admission revue, un collecteur d’échappement améliorant l’évacuation des gaz et un taux de compression plus élevé. Dès 1967, la puissance de la Sprint passe à 218 ch et en 1968, la cylindrée augmente à 250 cui (4,1 l). Un an plus tard, dernier millésime de ce moteur, elle atteindra les 232 ch, soit un peu moins que le V8 de base (le 5,7 l produisait 268 ch). Toutefois, malgré le fait que Pontiac avait mis au point l’un des six-cylindres les plus puissants du marché américain, cela n’a pas suffi à convaincre: au cours de la période 67-69 (première génération de Firebird), seules 13 851 Sprint ont trouvé preneur, dont 4005 coupés pour le millésime 68. C’est l’un de ces rares exemplaires que nous avons eu le privilège d’essayer. Direction le garage d’Armin Bühler, le patron de Buzz SA à Toffen (BE).
L’américaine aux accents européens
Impossible de se tromper, la Firebird est bien une américaine, mais avec une mécanique faisant référence aux européennes, une boîte manuelle et un design élégant et discret. En ouvrant la portière, c’est Hollywood. Pour notre plus grand bonheur, le premier propriétaire a jugé bon de cocher la case «habitacle rouge vif du sol au plafond», comme seuls les Américains savent le faire. Parmi les rares éléments d’une autre couleur figurent la console centrale recouverte du faux bois typique, les ceintures (inconfortables au possible, car la sangle passant par la poitrine est attachée telle quelle au plafond, ce qui n’autorise aucun mouvement) et… les parties décolorées. Après 53 ans, le plastique entourant la poignée intérieure a viré au rose pâle, tandis que la partie centrale des sièges en vinyle tissé (il faut le voir pour le croire!) s’est assombrie. Détail amusant sur cette voiture importée neuve en Suisse, la vitesse maximale annonce 320 km/h! Ah, voilà à quoi servaient les ceintures!
Une fois que l’on s’est remis de ses émotions, le forcené qui sera prêt à pousser cette machine à des vitesses inavouables peut prendre place au volant. La position de conduite est très agréable (les sièges sont aussi moelleux que des marshmallows); les jambes sont allongées et le volant se trouve juste là où il faut. Il ne manque plus que de régler l’étrange rétro gauche Zanetti «Swiss made» (dont la partie convexe se trouve vers l’intérieur…), de mettre le contact et de voir ce que ce 6-cylindres OHC a dans le ventre. Premier constat, au ralenti, il fait preuve de discrétion. Les glougloutements bien gras des big blocks, ce n’est pas le genre de cette monture qui veut donner à son pilote la sensation d’être aux commandes d’une machine européenne. A propos de commandes, la direction fait preuve d’une certaine fermeté, mais pas autant que la pédale de freins, qui demande d’avoir une jambe droite digne de celle d’un maillot jaune dopé aux anabolisants. Quant à celle de gauche, pas besoin de la muscler, car l’embrayage se montre étonnamment doux.
Nous entamons une côte faite de multiples virages pour atteindre un lieu où la vue sur les Alpes vaut le détour. La force que prodigue le 4,1 l permet de rester en 3e voire en 4e. Sur ce dernier rapport, le cruising se passe dans un silence appréciable quand on retrouve une piste plus horizontale. Toutefois, pour y arriver plus vite, il convient d’envoyer la sauce et de tomber la 2e. On saisit la boule du levier Hurst, on la tire vers soi avec conviction et on enfonce le pied droit. La montée en puissance est linéaire et la bande-son, un puissant grondement, ravit les oreilles, même si l’on est loin des tonalités dramatiques d’un V8 lancé à plein régime. Cela suffit pourtant à faire crisser les pneus arrière et à s’arracher de la courbe avec vélocité. La suspension, ferme mais pardonnant assez bien les défauts de l’asphalte, doit faire avec la tonne et demi du gracieux oiseau. Arrivé sur la ligne droite, on colle une dernière fois la pédale des gaz au plancher pour atteindre les 5200 tr/min promis par le compte-tours situé sur le capot (un affichage tête haute avant l’heure!). Le levier de vitesses se braque et se colle contre la grille que l’on devine sous le cache en simili, le bec pointu de la Firebird se lève vers le ciel et l’on s’apprête à prendre son envol. Juste avant d’atteindre la zone jaune (et non rouge!), on relâche la pression et on va chercher la 3e là-bas, au loin à droite. La création de DeLorean a montré sa vigueur dans les hauts régimes avec brio! Toutefois, c’est à partir des 3500 tours environ qu’elle commence à exprimer toute sa force. Notons aussi qu’à très basse allure, il ne vient pas à l’idée de la brave bête de brouter, ce qui la rend tout à fait utilisable en ville. La boîte entièrement synchronisée facilite aussi la conduite, bien que le guidage du levier ne soit pas des plus précis. D’ailleurs, pour passer la marche arrière, il faut avoir de la chance et user d’une bonne dose de violence pour enquiller la vitesse.
On sait aujourd’hui que ce moteur n’a pas rencontré le succès qu’il aurait mérité. En effet, bien qu’il dispose de plusieurs avantages, ils n’ont pas fait le poids à l’époque face au V8, à la fois moins cher que la version Sprint et plus performant. L’essence ne coûtait rien et le client ne voyait donc pas l’intérêt de se priver de deux cylindres. Le fait d’imiter les «sports machines» européennes sophistiquées (selon les termes de Pontiac), dont la puissance est à aller chercher dans les tours, n’a donc pas été un argument suffisant. D’autant que, malgré sa bonne fiabilité, il nécessitait davantage d’entretien qu’un rustaud V8 pour la conserver. En particulier, la lubrification de l’arbre à cames situé tout en haut du moteur pouvait poser problème en cas de manque de vidange régulière. Le OHC ne survivra pas au départ de DeLorean de Pontiac en 1969. Avec le recul, on se dit qu’il aurait pu connaître le succès lors des chocs pétroliers des années 70. Mais, c’est surtout de nos jours qu’il est bon de redécouvrir ces Pontiac ainsi motorisées. Il faut les apprécier comme des raretés qui permettent de se démarquer dans les concentrations – une fois le capot relevé. A l’heure où la vitesse est limitée et les voitures ne tournent plus qu’avec trois cylindres, la Sprint prouve que l’on peut prendre son pied sans avoir besoin du 400 Ram Air de 335 bhp. Certes, c’est une autre philosophie, mais qu’importe, tant qu’il reste l’ivresse!
Un grand merci à Armin Bühler du garage Buzz AG à Toffen pour le prêt de cette Firebird actuellement à la vente: buzz.ch