Passer du rêve à la réalité

Nul besoin d’être richissime pour avoir une luxueuse sportive dans son garage... à condition de savoir bricoler. Marcel Jenny restaure la sienne chez lui.

Rive gauche du lac de Zurich, dans un quartier pavillonnaire typique des années 1970. Les petites rues nous mènent devant un box individuel dont la porte ouverte donne sur la carrosserie jaune vif d’une voiture de sport. Pas de doute, nous sommes à la bonne adresse. Il règne dans cet antre pas très spacieux une certaine anarchie, du moins en apparence. C’est ici que Marcel Jenny travaille pour remettre la voiture de ses rêves sur roues avant de lui faire reprendre la route. Les étapes du projets sont inscrites sur un tableau accroché à l’entrée du garage. L’objectif ultime figure tout en haut: «expertise en avril». Le calendrier apparaît ambitieux si l’on en juge l’état de la voiture, désossée. Mais pas irréaliste pour autant. 

La voiture en question est une De Tomaso Pantera, modèle 1971. Cette sculpturale italo-américaine est le modèle emblématique de la marque fondée par Alejandro de Tomaso, ancien pilote italo-argentin devenu entrepreneur. Dessiné chez Ghia par Tom Tjaarda, ce coupé à moteur central était initialement construit chez Vignale. Son moteur V8 américain Ford Cleveland de 5,8 litres développe entre 250 et 300 ch, selon les sources. Le projet était né de la volonté de Ford d’opposer à la Corvette une vraie voiture de sport, de préférence italienne. La firme à l’ovale bleu, qui ne voulait pas entendre parler de sport automobile une décennie auparavant, cherchait à combler tous les créneaux possibles dans sa nouvelle stratégie de compétition à outrance, notamment après l’échec de la reprise de Ferrari. Avec de Tomaso comme partenaire, la firme de Dearborn pensait avoir trouvé la solution idéale. 

Un deal avec Ford pour mieux démarrer

Retirée tardivement du marché en 1993, la Pantera a été produite officiellement à 7260 exemplaires, dont le plus grand nombre (6380 unités) entre 1970 et 1974, soit la période de collaboration avec Ford. Les Américains allaient par la suite renoncer à certaines extravagances en raison des normes plus strictes en matière de sécurité et d’émissions. Et aussi à cause de problèmes de qualité flagrants. La crise pétrolière avait aussi un effet dévastateur sur le marché des voitures de sport.

Marcel Jenny a choisi un modèle précoce de l’ère Ford pour des raisons de disponibilité et  d’approvisionnement en pièces détachées. Sa recherche s’est d’abord orientée vers les Etats-Unis, où se trouve le gros de l’offre. Outre leur silhouette pure et très excitante, les premiers millésimes de Pantera présentent d’autres atouts, comme l’absence d’éléments en plastique, hormis le capot arrière en fibre de verre. Même les ouïes noires derrière les vitres latérales sont en métal moulé sous pression. Certains éléments proviennent de modèles de grande série, à l’instar des feux arrière d’Alfa Romeo Berlina des années 1968 à 1977. 

C’est aussi le cas du moteur, un pur produit américain largement diffusé et facile à entretenir. Peu exigeant, le gros 5,8 litres n’a aucune peine à mouvoir la De Tomaso relativement légère. Quant aux pièces de ce V8 Cleveland 351, leur prix reste tout à fait modéré encore aujourd’hui.

Notons que la construction de base de la Pantera se prête bien à un projet de restauration avec un budget modeste. En effet, la carrosserie autoporteuse en tôle d’acier exige moins de compétences particulières que l’aluminium – totalement absent ici, même pour les ouvrants. Ce choix conceptuel était lié au fait que les voitures destinées aux Etats-Unis étaient vendues dans le réseau Lincoln et Mercury, qui devait aussi pouvoir les entretenir.

Faire les choses simplement

En achetant une voiture aux Etats-Unis, Marcel Jenny s’était préparé à quelques déconvenues et il a eu raison. Les suspensions de la Pantera étaient cassées, sa peinture abîmée, son faisceau électrique bricolé et sa carrosserie était un peu rouillée, même si la voiture était immatriculée dans le Sud. Néanmoins, elle n’avait jamais été retapée et elle dévoilait ouvertement ses faiblesses. «Cette auto ne faisait pas de fausses promesses. Il était clair qu’elle nécessiterait beaucoup d’investissement, et c’est ce que je cherchais pour mon projet», explique le mécanicien automobile de formation. 

Marcel Jenny possède la fibre du bricolage depuis son plus jeune âge. Il est notamment connu dans la région pour avoir construit un kart de ses mains. Il était donc convaincu de pouvoir remettre en état une voiture de l’acabit de la De Tomaso avec un minimum de moyens. Il nous montre un bloc de bois sorti d’une des nombreuses boîtes en plastique rangées sous une table. «Cet élément s’adapte aussi bien à gauche qu’à droite; il y a passablement de corrosion», fait-il remarquer en désignant la découpe inférieure de la porte. Une fois poncé, ce coin en contreplaqué est devenu une forme profilée en négatif. «Bien sûr, deux ou trois tentatives ont été nécessaires. Mais la tôle a des propriétés merveilleuses lorsqu’on la frappe. Elle devient malléable et il n’est pas nécessaire de la marteler comme un fou. Mais, contrairement à la fibre de verre, elle est très résistante», s’enthousiasme notre passionné, qui n’a pas plus d’un mètre d’espace pour se mouvoir à côté de sa voiture. 

Tous les points de rouille sont maintenant éliminés. Marcel Jenny a même refait la partie inférieure avant de la voiture; les trous oblongs dans la tôle ont été sciés au Dremel et les bords ont été façonnés grâce à une deuxième forme en bois. Bien que l’homme ne soit pas carrossier, le résultat est remarquable. De plus, l’élément a été optimisé pour empêcher l’eau de stagner, comme c’était le cas à l’origine.

Les suspensions, puis la mécanique

Entièrement démontées, refaites et vernies, les suspensions – des doubles triangles superposés à l’avant et à l’arrière – sont prêtes à être remontées. Le travail pourra avancer plus vite lorsque la voiture sera à nouveau sur ses roues. Mais, dans l’intervalle, Marcel Jenny a déjà contrôlé l’état de fonctionnement du groupe motopropulseur de la Pantera. Il tourne, c’est une bonne nouvelle. Le restaurateur reste donc relativement serein par rapport à son calendrier. «Je parviens à consacrer environ huit heures par semaine à la voiture; c’est déjà beaucoup pour un père de famille qui travaille à plein temps!» Une fois que la Pantera sera redevenue une vraie automobile, le chantier sur le moteur pourra débuter. Mais il faut aussi examiner à la loupe des périphériques comme les essuie-glaces ou le compteur de vitesse. Ce dernier indique encore la vitesse en «miles per hour», preuve de ses origines états-uniennes. 

L’objectif de Marcel Jenny n’est pas de créer un showcar, mais une voiture classique utilisable qui assume la patine des années. Il hésite encore entre conserver la peinture craquelée d’origine sous une forme ou sous une autre ou la refaire intégralement. Il faut aussi considérer certains arguments financiers, qui inciteraient à redonner à cette De Tomaso un aspect tout proche du neuf. En effet, dans le canton de Zurich, l’impôt qui s’applique à un véhicule classé «vétéran» est plafonné à 400 francs. Or, sans ce statut, l’italienne au V8 de 5,8 litres lui coûterait bien plus cher. Et sans une peinture impeccable, il n’est pas dit qu’un expert puisse octroyer la carte FIVA à cette Pantera.

Redonner vie aux lèves-vitres

La question reste toutefois en suspens, le temps de régler d’autres détails comme les lève-vitres électriques, qui n’ont certainement plus été actionnés depuis des décennies. Un gros démontage-nettoyage pourrait peut-être suffire à leur faire reprendre vie. Les jantes fraîchement sablées et repeintes ont retrouvé tout leur lustre. Les logos des cache moyeux sont nouveaux; ils sont imprimés sur un film autocollant. Mais Marcel Jenny les a placés au dos de ceux-ci. Ainsi, en les retournant, il est possible de retrouver leur aspect d’origine.

Une telle restauration est-elle facile à faire? Certainement pas. Et encore moins dans les délais assez serrés que s’est fixé Marcel Jenny. Il a l’avantage de connaître très bien le domaine des voitures, même s’il n’exerce plus depuis des années son métier de base. Son optimisme et son organisation très minutieuse lui donnent aussi de bonnes chances de réussir, quitte à passer encore de très nombreuses heures dans son petit garage!

Vous pouvez suivre l’état actuel du projet sur www.zublii.com
Découvrez toute l’histoire de la marque De Tomaso sur le site www.detomaso-automobili.com

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