«Prenez votre élan! Si vous êtes trop lent, vous aurez du mal à sortir des ornières. Ce n’est qu’un prototype, les blocages de différentiels ne sont pas encore opérationnels sur ce véhicule», avertit un ingénieur, assis sur le siège passager de «notre» modèle d’essai. Nous nous apprêtons en effet à attaquer la pente la plus escarpée de tout le parcours de franchissement, situé à proximité de l’usine de Hambach (F), où est assemblé le Grenadier. Il a plu ces derniers jours, la piste est donc détrempée, marécageuse et difficile à franchir. Pourtant, le 4×4 franchit fossés, pentes et gués avec autant d’aisance qu’une citadine se promène en ville.
C’est la première fois que le constructeur anglais Ineos autorise des journalistes à prendre le volant de son Grenadier. Autant dire que l’engouement autour de ce descendant spirituel du Land Rover Defender, né dans un pub anglais, est énorme: «En matière de précommandes du véhicule, la Suisse figure au troisième rang mondial, juste derrière l’Allemagne et la Grande-Bretagne», dit le directeur du marketing, Klaus Hartmann. A bien y réfléchir, cela n’a rien d’étonnant: après tout, la Suisse n’était-elle pas la terre promise pour l’ancien Defender, où les amateurs du modèle sont nombreux? «En outre, en Suisse, le terme ‹Grenadier› a une signification toute particulière», rigole Hartmann, qui fait allusion au corps d’infanterie militaire portant le même nom. Le cliché typique des «grenadiers», valeureux guerriers, que rien n’arrête, conservant toujours leur mission à l’esprit: voilà qui sied parfaitement à l’image que souhaite véhiculer Ineos.
D’une grande robustesse
Ineos l’assure, le prototype que nous avons conduit est très proche du modèle de série; seuls quelques détails changeront d’ici au lancement de la production, prévue pour le mois de juin. Au contraire du nouveau Land Rover Defender, le Grenadier est assemblé sur un châssis échelle en acier, fabriqué par Gestamp, à Bielefeld, en Allemagne. La différence de philosophie entre le nouveau Def’ et le Grenadier est flagrante: ici règnent en maître la simplicité et la robustesse. A l’avant et à l’arrière, on trouve des essieux rigides, fournis par Carraro. Quant aux suspensions, elles ne sont pas pneumatiques, mais bien en acier. Moins susceptibles de tomber en panne, elles se passent d’entretien. Et quand bien même elles venaient à lâcher, elles seraient faciles à remplacer. Bref, le Grenadier n’est pas un véhicule de parade; il a pour vocation de partir à l’aventure. Capable de résister aux pires conditions de roulage de la planète, il serait bien malheureux s’il devait se contenter de faire le beau sur le pont du Mont-Blanc, à Genève. Pourtant, c’est probablement le destin qui attend la grande majorité des exemplaires.
Mais est-ce vraiment un problème? A bien y réfléchir, utiliser le Grenadier pour un usage quotidien n’a rien d’incongru; pratique et habitable, le véhicule profite, en outre, d’un bel agrément. Pour l’heure composé de pièces de présérie – la plupart des accastillages proviennent d’une imprimante 3D –, l’habitacle du Grenadier fait la part belle à la praticité. Il n’est donc pas luxueux.
Exit le tactile, la plupart des commandes s’effectuent par le biais de «véritables» boutons physiques, qui peuvent être manipulés à l’aveugle, par -20° et avec des gants. Réduit à sa plus simple expression, le combiné d’instrumentation demande une certaine accoutumance. Plus grand, l’écran central d’infodivertissement réunit nombre d’accessoires parmi lesquels l’autoradio ou des paramètres de tout terrain.
Conduite «à l’ancienne»
La position de conduite élevée et les angles bien visibles du véhicule permettent de bien s’orienter sur le terrain, où il est impératif de savoir en permanence où la voiture commence et où elle se termine. Au contraire du nouveau Defender, qui embarque tout un tas de dispositifs d’assistance électroniques, utiles tant sur l’asphalte qu’en tout terrain, l’Ineos, lui, en demande bien plus à son conducteur. Certes, la version finale sera, elle aussi, équipée de fioritures comme le «Hill Descent Control» (contrôle de descente). Mais en fait, la conduite de l’Ineos se veut «à l’ancienne». D’autant que la ribambelle de profils de conduite destinés à chaque type de revêtements ne fonctionne pas encore sur le véhicule essayé ici. En fait, la seule et unique fonction disponible concerne la démultiplication en tout terrain. La boîte de transfert est le fruit de l’équipementier américain Tremec. Faisant son travail sans défaillir, elle permet de franchir des obstacles aisément.
A l’heure de construire sa chaîne cinématique, le constructeur britannique a opté pour le fin du fin. A la vue du sélecteur, les initiés sauront immédiatement que la boîte de vitesses est semblable à celle d’une BMW. En l’occurence, la solution retenue par Ineos est une boîte automatique à convertisseur de couple. Dotée de huit rapports, elle est l’œuvre de l’équipementier allemand ZF. Evidemment, si c’est celle-ci qui a été choisie, ce n’est pas fortuit, puisque les moteurs livrés à Hambach viennent tout droit de Munich. Ainsi a-t-on le choix entre deux six-cylindres en ligne, un diesel et un essence. Le diesel développe 183 kW (249 ch) pour un couple de 550 Nm.
Un peu plus puissant, son homologue à essence est, en revanche, un peu moins coupleux: 210 kW (285 ch) et 450 Nm. Installé dans le véhicule essayé dans ces lignes, il s’est montré suffisamment véloce pour s’attaquer à tous les obstacles auxquels il a été soumis. Evidemment, les conducteurs habitués à tracter une remorque (jusqu’à un poids maximal de 3,5 tonnes), ou à s’aventurer régulièrement loin de la civilisation opteront plutôt pour le diesel au couple plus abondant.
Dans l’ombre du Defender
Avec un poids à vide frôlant les 2,5 t et une longueur de 5 m, le Grenadier n’a rien d’une citadine. En ce qui concerne les capacités de franchissement, l’Ineos est un peu dans l’ombre du Def’. Il peut franchir des gués profonds de 800 mm (900 mm pour le Defender 110), est capable de s’attaquer à des pentes de 35,5 ° (38°) à l’avant et 36,1 ° (40°) à l’arrière. L’angle ventral, lui, s’élève à 28,1 ° (28°). En l’occurrence, ces chiffres sont ceux de la version à cinq places et à empattement standard. Deux versions à petit et long empattement suivront plus tard. Cette dernière servira de base à la version pick-up du Grenadier. Il y aura également une version à sept places et une autre à trois portes à empattement court. On vous le disait, le Grenadier se veut un clone contemporain du Defender.
Ineos n’a pas encore révélé officiellement le prix de son 4×4. Selon nos informations, il devrait coûter approximativement la moitié d’un Mercedes-Benz Classe G. A noter qu’il est d’ores et déjà possible de passer une précommande en versant un acompte de 450 euros, soit 460 francs. A noter que la production des six premiers mois est déjà réservée. A bon entendeur.
De «Smartville» à l’usine Ineos
Il y a tout juste 25 ans, dans la ville alsacienne de Hambach, en France voisine, Daimler inaugurait, sous le nom «Smartville», l’usine chargée de l’assemblage de la Smart Fortwo. Daimler ayant prévu de délocaliser la production de cette dernière en Chine en 2023, le site d’Hambach avait envisagé un temps de fabriquer la Mercedes-Benz EQB. Mais c’est finalement la Hongrie qui en a eu la charge. Saisissant cette occasion unique de réengager rapidement du personnel qualifié, Ineos a sorti le chéquier afin de s’acheter «Smartville». Désormais, à la place de la petite Smart, ce seront de gigantesques Grenadier qui seront assemblés sur le site français. S’il a fallu réadapter complètement certains secteurs, comme l’atelier de tôlerie par exemple, où 80 robots permettent désormais un montage complètement automatisé de la carrosserie, d’autres ont pu être adaptés sans modifications notables. Aussi parce que Mercedes avait déjà commencé à préparer son usine à la production de l’EQB électrique. Ainsi, malgré sa masse de 2,5 t, le Grenadier ne pose pas de problème aux chaînes de production. En milieu d’année, la cadence de production du site augmentera à 32 000 unités par an.