L’électromobilité est-elle une menace pour les garages tels que nous les connaissons? Les concepts de maintenance et de réparation des constructeurs mettent-ils en danger les micro-entreprises? La société Autef, à Reiden (LU), prouve que les petits garages peuvent tirer leur épingle du jeu.
La méthode de l’échange standard appliquée par les constructeurs, notamment en cas de pompe à diesel ou de boîte à double embrayage défectueuses, a incité Bernward Limacher et Fredy Heinzler à fonder leur propre entreprise en 2005, à la suite de leur licenciement de chez Fiat pour cause de restructuration. Jusqu’alors, ils occupaient la fonction de responsables de la formation pour les entreprises du groupe. Aujourd’hui, leur entreprise est en première ligne en tant que lieu de formation et de conseil pour le diagnostic et la réparation de véhicules électriques.
Bernward Limacher nous accueille avec Markus Roth, son associé actuel, et Fabienne von Flüe, sa collaboratrice. Il résume la situation: «Les formations doivent être pratiques, car la meilleure façon de s’exercer à poser des diagnostics et résoudre les problèmes est de le faire avec des cas concrets.» Une Nissan Leaf et une Toyota Prius se trouvent dans l’atelier. Comme la plupart des autos qui finissent chez Autef, leur cas a été considéré comme désespéré (les coûts de réparation élevés n’en valaient pas la peine). Soit elles sont impossibles à sauver et serviront de cobaye pour la formation, soit elles retrouvent une nouvelle jeunesse.
Réparer au lieu de remplacer
Que les éléments soient soudés, rivetés ou scellés, rien n’empêche Autef d’aller rechercher la cause des problèmes. Ici on ouvre, on perce, on connecte et on mesure. On le fait, certes, aussi, par curiosité. Mais une analyse approfondie du métier de garagiste, du développement technologique et des options commerciales a amené Bernward Limacher et ses partenaires à la conclusion que même l’électromobilité pouvait offrir des opportunités à de petits garages. Là où on prend encore le temps d’analyser et de réparer plutôt que de simplement remplacer l’unité complète.
Comme l’expliquent Bernward Limacher et Markus Roth, il y a parfois de grands écarts entre les directives du constructeur et les possibilités techniques réelles pour résoudre le problème. Pour nous mettre dans l’ambiance, Markus Roth nous montre d’abord une boîte automatique à double embrayage (DSG) de Volkswagen, avec l’unité de commande correspondante: «Dans d’autres pays – par exemple en Pologne – où les pièces de rechange sont disponibles, ces boîtes de vitesses sont réparées au lieu d’être remplacées. Pour un petit garage indépendant, cela représente une chance de proposer à ses clients une réparation bien moins chère qu’un remplacement de la boîte effectué par le concessionnaire de la marque.» Bernward Limacher cite également l’exemple de la vidange d’une boîte de vitesses dont l’huile n’aurait pas besoin d’être changée selon le constructeur. Or, cela peut prolonger considérablement sa durée de vie, ce qui permet au garagiste indépendant de se distinguer du garage officiel. Mais revenons à l’électrique.
Voyage marquant
Pour Autef, la visite de l’atelier de l’expert en haute tension Craig Van Batenburg à Worchester, dans le Massachusetts (USA), a été une grande source d’inspiration. «Il ne se gênait pas de démonter une batterie, selon la devise: quand nous réparons, nous comprenons. Le ‹right to repair› est une chose admise. Etonnamment, les Américains sont plus ouverts sur ce point. La divulgation des données de diagnostic est spécialement réglementée selon la norme SAE J 2534», raconte Markus Roth.
Pour ce dernier, il y a eu un autre moment-clé: «Chez Amag, où je travaillais, personne ne voulait toucher une VW e-Golf abandonnée dans l’atelier. Cela m’a ouvert les yeux. La formation était effectivement plus axée sur la vente que sur la technique. L’idée que l’on se faisait des voitures électriques reposait davantage sur un monde imaginaire que sur de vraies expériences issues de la pratique.»
Détendu face à la haute tension
Incontestablement, le fait de savoir «comment ça marche» aide à comprendre. «Nous avons déjà réparé une Nissan Leaf présentée comme un cas désespéré, en remplaçant simplement une pièce qui coûtait 5,40 Fr. dans la partie haute tension», sourit Bernward Limacher. Mais le cas inverse existe également: «Une différence de tension de 50 mV entre les différents modules d’une batterie peut suffire pour provoquer des dysfonctionnements», poursuit-il devant une fourgonnette chinoise Maxus. Limacher dévisse le couvercle du moteur de l’utilitaire et montre une platine qui comporte un petit circuit intégré. Le coût du remplacement de ce dernier s’élevait à 45 centimes, même si le temps consacré à la réparation aura été plutôt long et, donc, assez coûteux. Limacher fait néanmoins remarquer que c’est le fabricant lui-même qui avait recommandé de contrôler les éléments de la platine, plutôt que de remplacer l’unité entière.
Les voitures électriques à batterie ne sont cependant pas les seules à susciter l’intérêt à Reiden. Lors de notre visite, les deux épais réservoirs à H2 d’un Hyundai iX 35 Fuel Cell se trouvaient dans l’atelier. Ils étaient vides et un testeur de gaz mesurait la teneur en hydrogène de l’air. Dans une salle de formation, nous découvrons la pile à combustible démontée, ainsi que la batterie auxiliaire et le groupe propulseur du même véhicule. Pour Autef, c’est un objet d’étude parfait. Là encore, il est clair qu’à Reiden, on ne veut pas s’arrêter là où se situe généralement la limite fixée par les directives du constructeur. Le savoir-faire spécialisé d’Autef est également apprécié par les entreprises de sauvetage, les pompiers et la police, mais aussi par les assurances. Le guide de l’Ofrou sur les opérations de sauvetage impliquant des véhicules électriques a d’ailleurs été élaboré avec leur aide.
La recherche de solutions hors des schémas de pensée habituels reste un moteur important de l’entreprise. Pour prendre un exemple, Bernward Limacher désigne un moteur électrique de Hyundai et fait référence à une pratique critiquable de l’industrie automobile. Dans le cas précis, il s’agit de roulements du moteur dont le diamètre extérieur diffère d’un millimètre de celui d’un roulement standard: «La réponse du fournisseur de roulements a été aussi simple que pertinente, il fallait simplement essayer d’insérer une douille entre le boîtier et le roulement neuf du commerce. Et ça a marché», dit l’expert en rigolant.
Partenariat avec eGarage
Autef se charge également de la formation continue de eGarage. Celui-ci représente un réseau de plus de 120 garages indépendants, gérés pour la plupart par leurs propriétaires. Et si, à Reiden, l’accent est mis sur les technologies de propulsion électriques, les spécialistes savent tout aussi bien s’occuper de moteurs à combustion interne. L’approche reste, en effet, la même: on exige le libre accès à toutes les données, on cherche des solutions allant au-delà des directives du constructeur et on se réserve, dans tous les cas, le droit d’examiner de plus près les composants apparemment irréparables et de rechercher des solutions. L’objectif n’est pas seulement de trouver une utilisation plus durable des ressources, mais également de faire progresser un modèle commercial. Un modèle qui représente une véritable opportunité pour les petites et moyennes entreprises, dans une industrie automobile en pleine mutation et de plus en plus dominée par les constructeurs et les grands importateurs.
A la fin de notre visite, Bernward Limacher nous montre le moteur d’une Audi e-tron. Un petit récipient en plastique a été placé sous un palier de roulement: «La bague d’étanchéité de l’arbre laisse fuiter une faible quantité de liquide de refroidissement, explique-t-il. Le récipient recueille ce liquide, mais s’il déborde parce qu’il n’a pas été vidé dans le cadre de l’entretien ordinaire, le moteur risque de subir des dommages.» Les personnes formées chez Autef connaissent désormais cette particularité et elles ne l’oublieront sans doute jamais. Et le client les en remerciera sans doute un jour.
Si vous souhaitez vous initier à la réparation, l’un des cours d’Autef s’intitule ««Haute tension détendue». Les spécialistes y enseignent leur savoir-faire en cinq jours de cours.