Lamborghini a endossé, dès ses débuts, le rôle du constructeur qui se joue des limites, taquinant l’excentricité, voire le délirant. Cela commence par les robes de ces créatures, dont l’extravagance reflète les performances absurdes. Un design flamboyant qui vaudra à la Countach – et à d’autres supercars de Sant’Agata – de trôner sur les murs des chambres de nombreux adolescents.
Depuis quelques décennies, toutefois, le style des «Lambo’» s’est assagi. Bien sûr, tout est relatif: grâce à leurs proportions spectaculaires et leurs arêtes tranchantes, les Lamborghini de l’ère Audi (Ingolstadt contrôle la marque depuis 1998) gardent une présence scénique ahurissante. Les italiennes avaient cependant perdu ce petit grain de folie si distinctif. C’est là qu’entre en scène la Huracán STO, avec fracas, pour dérégler des pendules trop bien ajustées. La «baby Lambo’» avait – déjà dans sa version de base – un visage de sale gosse avec son regard torve. Elle devient intimidante dans cette version Super Trofeo Omologata, le nom donné par Lamborghini aux versions «dérivées de la course».
Mue spectaculaire
La mue subie par l’Huracán, en devenant STO, est spectaculaire. Deux énormes «naseaux» ont ainsi été creusés sur le capot avant, afin d’évacuer l’air chaud des radiateurs. Plus encore que ces cratères, c’est le «périscope» trônant sur le toit qui magnétise le regard. Oui, cette prise d’air, gavant le V10 de 640 ch en oxygène, a la discrétion des couvre-chefs portés par les dames aux concours hippiques.
Le taureau a étendu le festival des excentricités avec un aileron de requin, qui évoque celui des prototypes du championnat du Monde d’Endurance (WEC). Cette plaque en carbone canalise l’air jusqu’au gigantesque spoiler arrière, en évitant la formation de turbulences; en résulte un train arrière davantage «planté» au sol, plus stable en courbe et au freinage, réprimant les mouvements de lacet. S’il faut encore gagner en stabilité, un réglage (manuel) du spoiler arrière permet d’augmenter l’appui de 13%; ce sont alors 420 kg qui plaqueraient le taureau contre le sol à 280 km/h!
Néanmoins, la transformation ne serait pas complète, si l’Huracán STO n’avait pas laissé le poids inutile à l’usine. Lamborghini a, pour cela, recouru à la bonne vieille recette, le carbone. Grâce à ce «matériau miracle», utilisé en masse (capot arrière, aileron), la STO se débarrasse de 43 kg, par rapport à la Performante. Un allègement peu spectaculaire mais, avec 1339 kg à sec, la «baby Lambo’» est la plus légère de la gamme. Elle serait toutefois plus lourde qu’une McLaren 600LT, qui revendique 1365 kg à vide.
En pénétrant dans l’habitacle, un constat s’impose: Lamborghini n’a pas voulu pousser la traque aux kilogrammes trop loin, le cockpit n’a rien d’une prison japonaise. Nous retrouvons du carbone pour les panneaux de porte, les buses d’aération et les coques des sièges baquets, mais c’est surtout l’Alcantara, l’autre matériau incontournable de la chasse au kg, qui règne en maître. Si la position de conduite est bien meilleure que sur sa cousine, l’Audi R8, l’Huracán STO reste loin derrière l’allemande en matière de confort et raffinement. Ne parlons même pas de l’ergonomie, inutilement compliquée sur l’Huracán: la plupart des fonctions sont recluses dans un écran tactile, au fonctionnement peu intuitif. Cependant, parmi les excentricités de l’ergonomie, il y en a une qui réveille le gamin qui est en vous et augmente l’excitation d’un cran: le bouton «start» caché derrière un petit volet rabattable, et qui évoque la commande des missiles sur un avion de chasse.
Elle ne pardonne pas
Clac, on presse le bouton. Le démarreur pousse une longue complainte, un frisson nous parcours de part en part. Le V10 de 5,2 l s’éveille dans un grondement sourd et fort, très fort. L’excitation est à son comble, mais nous ne lâcherons pas immédiatement les 640 ch sur la route; nous nous ferons d’abord «la main» sur une piste enneigée, à Cervinia, une station sur le versant italien du Cervin. C’est là que nous avons été conviés pour faire quelques dérives à bord des Huracán Evo (4×4) et STO.
Premier constat: en comparaison avec l’Huracán Evo, la STO ne pardonne rien. Exagérez un chouïa avec les gaz, contrebraquez un dixième de seconde trop tard et c’est le tête-à-queue assuré. Une fois le mode d’emploi assimilé, les dérives s’étendent toujours plus, tout comme le sourire sur le visage. Surtout, ces tours sur piste enneigée donneront un aperçu des principales caractéristiques de la STO, à savoir une réactivité extrême à tous les niveaux, entre accélérateur, direction et châssis. Nous le vérifierons peu après sur asphalte, à la descente de Cervinia. Dans les lacets, malgré le mauvais revêtement, l’Huracán STO se rue avec frénésie à la corde des virages, à la moindre impulsion du volant. L’italienne, une fois lancée dans la courbe, s’accroche fermement à sa trajectoire, comme un chien affamé qui ne lâcherait plus son os. L’osmose entre le conducteur et la machine est totale, tant le taureau retranscrit à son matador l’état de route, sans le moindre filtre. Et, malgré ce caractère furieux, l’Huracán sait mettre en confiance son conducteur: la stabilité de la STO est exceptionnelle, aussi bien en courbe qu’au freinage. Sur les décélérations à haute vitesse, l’Huracán STO se plante dans le sol et reste parfaitement en ligne, le train arrière n’ayant aucune volonté de «passer devant». L’attaque de la pédale de frein – disques en carbone-céramique oblige – requiert un brin d’habitude, à froid, mais, une fois les galettes à la bonne température, le dispositif dispense un feeling très naturel, à la puissance parfaitement dosable.
Récital mécanique
La bonne nouvelle, c’est que le V10 se montre à la hauteur de l’excellence du châssis. L’immédiateté de la réponse à l’accélérateur nous rappelle que nous sommes en présence d’un moteur atmosphérique, tout comme l’allonge, interminable. Si la poussée est pleine dès les bas régimes, elle connaît un premier accès de colère vers 3500 tr/min, quand les clapets de l’échappement laissent les dix cylindres s’exprimer librement. Les vocalises métalliques passent alors aux aboiements enragés, alors que le corps est plaqué contre le siège, coupant un instant la respiration. Pas le temps de reprendre son souffle, le V10 poursuit sa ruade insensée, dans un tohu-bohu assourdissant; à 6500 tr/min, c’est la seconde déflagration, quand les 565 Nm de couple maximum assènent leur uppercut. Fort de ce deuxième souffle, le 5,2-litres se déchaîne dans un élan féroce et implacable jusqu’à la zone rouge, située à 8500 tr/min. Le niveau sonore est à la limite du supportable, mais peu importe: tel un junkie, on tire la palette de droite, pour repartir pour un tour, encore et encore.
Bien sûr, il faudra vérifier ce premier verdict sur circuit, mais, sur les lacets d’un col de montagne et sur les autoroutes italiennes, l’Huracán STO s’est démontrée d’une homogénéité époustouflante, tant l’harmonie entre châssis, direction et propulseur est totale. Cette fabuleuse machine à sensations se pose sans doute comme la Lamborghini la plus désirable de la gamme actuelle. Elle mérite de trôner fièrement sur les murs des chambres de jeunes et… moins jeunes!