Les boîtiers de la vérité

Les enregistreurs de données en cas d’accident, aussi désignés «boîtes noires», devront être couplés à une interface dès cet été. Comment ces dispositifs fonctionnent-ils?

D’aucuns l’ignorent, mais l’ESP, les airbags ou encore le troisième feu stop font partie d’une longue liste d’équipements imposés par l’Union européenne. A compter de juillet 2022, les constructeurs automobiles seront tenus de respecter une nouvelle loi. En l’occurrence, leur «enregistreur de données en cas d’accident», autrement dit, leur boîte noire, devra obligatoirement disposer d’une interface capable de communiquer ses données à des intervenants extérieurs. Un nouveau règlement qui n’a pas manqué de faire couler beaucoup d’encre dans la presse généraliste, laquelle s’insurge de ces mouchards qui espionnent l’automobiliste en prenant place sous le capot des véhicules.

Mais, pour les spécialistes, ce ramdam n’a plus vraiment lieu d’être. Et pour cause, la technologie est déjà présente sous le capot de nombreuses automobiles depuis plusieurs décennies maintenant: «Dans les années 1990, General Motors avait déjà élaboré un dispositif capable de récolter des données en cas d’accident», raconte André Blanc, le directeur adjoint du bureau des analyses d’accidents au DTC (Dynamic Test Center) de Vauffelin (BE). A l’époque, ce dispositif permettait surtout au constructeur de se protéger, lorsqu’un client souhaitait se retourner contre la marque, après un accident par exemple. Avec les années, le dispositif s’est répandu au sein des firmes automobiles, à tel point que l’IIHS (Insurance Institute for Highway Safety), l’institut américain pour la sécurité automobile, avait demandé d’harmoniser les procédures d’enregistrement à la fin des années 2000. Et, en 2012, le gouvernement américain avait promulgué une loi visant à apporter un cadre légal aux procédures d’enregistrement. «Attention, cette loi ne force pas les constructeurs à enregistrer les données mesurées par leurs véhicules. Elle les contraint simplement à suivre une certaine procédure dans le cas où ils décident de les enregistrer», affirme André Blanc.

L’obligation de communiquer

S’inspirant de la loi américaine, les autorités européennes ont créé un cadre légal autour des boîtes noires: «Le dispositif fait partie d’une nouvelle série d’exigences pour l’homologation de nouveaux types de véhicules dans l’Union européenne, que la Suisse reprend en raison des accords bilatéraux», explique Marina Kaempf, porte-parole à l’Ofrou. «Les exigences européennes sont les mêmes que les conditions américaines. Autrement dit, cela ne signifie pas que les nouveaux véhicules devront obligatoirement disposer d’un enregistreur de données en cas d’accident. En revanche, s’ils en ont un, ils devront obligatoirement se doter d’une interface, une fiche, capable de communiquer les données à un utilisateur extérieur», rajoute André Blanc. Autrement dit, contrairement aux informations diffusées par de nombreux médias, l’industrie automobile pourrait bel et bien continuer à produire de voitures dénuées de boîte noire.

Dès cet été, la nouvelle obligation s’étendra à tous les nouveaux modèles des constructeurs. Et, en 2024, elle sera valable pour toutes les nouvelles immatriculations. Néanmoins, dans les faits, cela ne changera rien. Et pour cause, «la quasi-totalité des véhicules du parc automobile suisse est déjà équipée d’un enregistreur de données en cas d’accident», assure André Blanc. Qui continue: «Je me souviens d’avoir lu un rapport en 2006 qui expliquait que 95% des véhicules commercialisés sur le marché cette année-là disposait déjà d’un enregistreur de données en cas d’accident.»

Une boîte noire? Pas vraiment

Mais, en quoi consiste-t-elle cette fameuse boîte noire? «Tout d’abord, on essaie d’éviter de parler de boîte noire», précise André Blanc d’entrée de jeu. Il s’explique: «Les systèmes d’enregistrement installés dans les véhicules ne sont pas tout à fait identiques aux boîtes noires présentes dans les avions. Dans le domaine aéronautique, les enregistrements fonctionnent en continu, indépendamment d’un événement qui pourrait advenir ou non. Au contraire, un dispositif EDR («Event Data Recorder», soit littéralement «Enregistreur de données d’événements» en anglais) ne consigne les données que si un événement se produit. Enfin, ce n’est pas tout à fait exact: «En vérité, l’EDR enregistre, lui aussi, en continu, mais ces données sont tout de suite effacées si aucun événement n’est constaté», précise Blanc. 

Cela semble logique: lorsqu’un incident survient, le boîtier doit non seulement être capable de restituer les données mesurées en aval de l’incident, mais aussi celles en amont. En l’occurrence, l’EDR enregistre ce qu’il se passe durant les 250 millisecondes (0,25 seconde) qui suivent l’accident et les 5 secondes qui les précèdent. Pour les experts, ces 5 secondes-là sont les plus importantes. Car, elles leur permettent de lire l’accident, de comprendre le déroulé, et de suivre ce qu’il s’est exactement passé. Quant à l’événement en question, il peut s’agir du déclenchement d’un airbag, de l’activation d’un prétensionneur de ceintures ou encore d’une décélération importante du véhicule: «L’EDR se déclenche aussi lorsque la voiture mesure une perte de vitesse de plus 8 km/h sur un laps de temps inférieur à 150 millisecondes. Ce qui signifie aussi qu’un accident avec un piéton par exemple n’est pas forcément suffisant pour déclencher l’EDR», explique l’expert du DTC.

La notion de traces digitales

Dans le jargon, les données emmagasinées par l’Event Data Recorder sont référencées en tant que traces digitales, des termes qui font référence aux traces de pneumatiques que mesuraient les accidentologues il y a trente ans, lorsque les voitures ne disposaient pas encore d’ABS. Evidemment, aujourd’hui, l’EDR dispose de bien plus de données que la seule vitesse du véhicule: «Sur l’EDR sont enregistrées de nombreuses données comme la position des pédales d’accélérateur et de frein à tout moment, l’instant précis où les airbags se sont déclenchés, l’angle de braquage des roues ou encore la vitesse du véhicule avant et après l’accident. Et ce n’est pas tout, il permet également de savoir si, oui ou non, les occupants du véhicule portaient leur ceinture de sécurité (ndlr: une liste plus complète mais non exhaustive figure ci-dessous)», détaille André Blanc. Techniquement, l’EDR n’est pas un boîtier standardisé. Il est spécifique à chaque constructeur automobile, ou du moins à l’équipementier auquel il a délégué le développement, les tests et la construction de l’EDR. Connectées au BUS de données CAN du véhicule, le dispositif EDR prend habituellement place dans le boîtier de commande des airbags, «tout simplement parce que ce boîtier concentre déjà toutes les technologies de sécurité», explique André Blanc.

Les différentes contraintes

Pour analyser les données d’un EDR, il y a d’abord une contrainte technique; en l’occurrence, lire les données nécessite une interface adéquate: «Hormis Kia et Hyundai, tous les constructeurs automobiles travaillent avec le dispositif Bosch CDR, CDR signifiant ‹Crash Data Retrieval› (ndlr: voir grande photo)», précise Blanc. Celui-ci se connecte au boîtier EDR via la fiche EOBD (European on-board diagnostics), située sous le tableau de bord, ou directement sur le boîtier, lorsque la fiche EOBD est trop abîmée, en cas d’incendie par exemple. 

Hormis l’aspect technique, il y a également l’aspect légal: «Sauf avec le mandat d’un procureur, aucun expert ne peut accéder aux données de l’EDR sans l’autorisation du propriétaire de la voiture. Il en va de même pour les assurances», détaille Blanc. Jusqu’il y a quelques années, les données enregistrées par l’EDR étaient réservées à l’usage strict des constructeurs, ceux-ci ne permettant pas techniquement qu’une tierce personne puisse les lire. Mais, depuis ces dernières années, les choses ont évolué, aussi parce que les constructeurs s’attendaient au vote de la nouvelle loi: «Le groupe Volkswagen, par exemple, a ‹ouvert› son dispositif en 2018, BMW, en 2020. En fait, aujourd’hui, Mercedes est le tout dernier constructeur allemand à continuer à bloquer l’accès à l’EDR», explique André Blanc. Evidemment, la firme de Stuttgart sera contrainte de modifier son approche d’ici à l’été. Une contrainte davantage morale que technique pour cette grande enseigne.

Liste non exhaustive des données enregistrées par l’EDR

– Vitesse du véhicule: La vitesse du véhicule est mesurée avant et après l’accident via les capteurs ABS, qui se trouvent derrière chacune des quatre roues. Une disposition qui ne manque de soulever des problèmes lors de l’interprétation des données. En effet, dans certains cas, les roues d’une voiture peuvent s’emballer après avoir quitté le sol (en cas de tonneaux par exemple), ce qui fait d’ailleurs dire à de nombreuses personnes que la voiture était en excès de vitesse lors de l’accident. D’où l’importance de faire intervenir des experts dans le processus d’analyse des données.

– Position du papillon des gaz: Le boîtier EDR enregistre les besoins en énergie demandés par le conducteur juste avant et après un accident. Ces données sont mesurées par le capteur de position du papillon des gaz et s’exprime en pourcents par rapport à la position complètement ouverte. Les deux boîtiers communiquent entre eux via le BUS de données CAN.

– Pédale de frein engagée ou désengagée: Là encore, le capteur de frein communique avec l’EDR via le BUS de données CAN. Pour les experts, cela permet de déterminer si oui ou non le conducteur était en train de freiner lors de l’accident.

– Répétition d’événements: Il peut arriver que l’accident soit composé de plusieurs collisions. Lesquelles sont enregistrées sur l’EDR. Malheureusement, si le premier incident survient plus de 5 secondes avant le dernier, tous les événements ne seront pas retenus sur le boîtier.

– Déclenchement des airbags: Installé dans le boîtier de commande des airbags, car ce dernier concentre déjà toutes les technologies, l’EDR communique directement avec eux. Pour les experts, il permet d’établir à quel moment exactement les airbags se sont déclenchés durant l’accident.

– Différence de vitesse longitudinale: Elle désigne la variation cumulée de la vitesse le long de l’axe longitudinal. Mesurée jusqu’à 300 millisecondes avant l’accident et jusqu’à 250 millisecondes (0,25 seconde) après, cette valeur est enregistrée toutes les 0,01 seconde.

– Port de la ceinture de sécurité: Un capteur situé dans l’anneau de verrouillage de la ceinture de sécurité permet de dire aux experts si oui ou non tel ou tel occupant avait bouclé sa ceinture de sécurité lors de l’accident.

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