Tout juste débarrassé de son voile de présentation, le Maserati Grecale s’est jeté sur la route. Une précipitation qui lui vaudrait de se prendre les pieds dans la couverture? Non, car le SUV italien est fin prêt depuis des mois: il rongeait son frein dans l’attente d’un moment plus propice qu’une pandémie doublée d’une crise industrielle pour son lancement. Hélas, Vladimir Poutine viendra jouer les trouble-fête, mais la marque ne pouvait plus patienter: Maserati a un ambitieux plan de relance à accomplir. La supercar MC20, lancée sur le marché en 2021, incarnait la pointe la plus acérée du Trident dans cette offensive. Le Grecale, lui, représente plutôt l’arme lourde. Nous ne référons pas au poids du SUV italien, compris entre 1870 kg (GT) et 2027 kg (Trofeo), mais à ses ambitions: le Trident souhaite enfourcher le très juteux marché des SUV de segment D, là où le Porsche Macan – le rival le plus direct du Grecale – s’est vendu à 88 362 unités en 2021. En comparaison, Maserati a livré 24 269 autos. La production du SUV de Zuffenhausen correspond ainsi à elle seule à 3,6 fois celle de Maserati, tous modèles confondus.
Que le Grecale s’inscrive en droite lignée de la MC20, cela se remarque au premier coup d’œil: les projecteurs verticaux séparés de la calandre proéminente sont repris de la supercar modénaise. Les volumes, eux, sont doux et les surfaces immaculées de toute «scarification» (comprendre, une surcharge de traits): «La tendance actuelle est à l’accumulation de lignes, nous explique Marco Tencone, responsable du design pour Maserati. Nous, nous avons décidé de suivre notre voie, sans nous laisser influencer par les tendances, en dessinant un volume central très épuré.» Comparé avec les traits agressifs de son grand frère, le Levante, le Grecale paraît nettement plus consensuel: «C’est vrai que le design du Levante a tout de suite séduit avec sa face avant plus agressive, sans doute plus masculine. Ici, nous avons cherché à faire un design plus élégant. Le Grecale représente aussi un achat plus équilibré, plus pondéré», continue Marco Tencone.
Absence de boutons
Le Grecale arbore un visage aussi rajeuni à l’intérieur, sans «rides», purifié de toute boursouflure ou bouton: le sélecteur de vitesses a disparu du tunnel central, tandis que les commandes ont migré dans deux écrans tactiles – une solution déjà vue sur les Audi haut de gamme. Même la platine pour l’allumage des phares a disparu; à l’usage, ce n’est pas un écueil, puisque les projecteurs s’allument automatiquement, rares sont les cas où l’on doit allumer soi-même les phares. Nous sommes, en revanche, plus critiques concernant le réglage de la température, du flux d’air, du chauffage des sièges, qui passe obligatoirement par l’écran tactile inférieur: même si la lucarne est très réactive et précise, cette solution exige de détourner le regard trop longtemps de la route. Nettement plus réjouissante, la sensation de solidité et de raffinement qui se dégage du cockpit: si l’on exclut quelques faux pas – les plastiques du sélecteur de modes de conduite ou des buses d’aération – la qualité des matériaux est parmi les plus élevées du segment. Le Grecale fait même mieux que le Levante en la matière et égale son grand frère pour l’habitabilité. Deux adultes de 1,85 m seront confortablement installés sur les places du fond, car tête, épaules et genoux ne seront pas trop vite comprimés. Le coffre – entre 535 et 570 l (Trofeo) – s’incline devant le compartiment de stockage du Levante (580 l), mais de peu; il tient aisément, en revanche, la comparaison avec ses rivaux de classe, dont les volumes oscillent entre 488 litres (Macan) et 650 l (Jaguar F-Pace).
Vigoureux, pas agressif
Bien plus que la capacité de chargement, c’est le comportement routier du Grecale que nous voulions vérifier, en nous rendant à Milan. Comme on pouvait s’y attendre, la mouture Trofeo – animée par le V6 Nettuno de 530 ch – est celle qui attise les convoitises de tous nos confrères sur place. Nous devrons passer notre tour: nous aurons cette fois droit au 2-litres essence à hybridation légère de 300 (GT) et 330 chevaux (Modena).
En l’absence de diesel, c’est ce bloc qui reprend le rôle de «coureur de fond» de la gamme, en étant le plus économe en carburant; malheureusement, il en a aussi repris les claquements typiques, à froid. A mesure que le Grecale s’échauffe, ces notes «agricoles» s’estompent et nous nous réjouissons de la souplesse avec laquelle le propulseur grimpe en régime. Non seulement il ne souffre pratiquement pas de retard de turbo – la turbine est activée électriquement –, mais il compte sur une très confortable réserve de couple. Le 2-litres délivre, en effet, 450 Nm entre 2000 tr/min et 5000 tr/min sur la version 330 ch, conduite en premier. Face à ce bel entrain à monter en régime, nous éprouvons de la frustration face à l’intervention du limiteur: celui-ci vient siffler la fin de la partie à 5000 tr/min, voire 6000 tr/min, si vraiment vous insistez (pied au plancher). S’il manque de caractère aérien, le Grecale n’est pas sous-motorisé, comme en atteste le 0 à 100 km/h abattu en 5,3 s. Il faudra 3 dixièmes de plus à la déclinaison 300 chevaux, conduite dans l’enfilade; l’absence des 30 chevaux se fera sentir à haut régime, où la brillance s’étiolera quelque peu. Dans les deux cas, le 2-litres turbo – fluide et à la poigne ferme – semble à la hauteur de la tâche, mais il n’aura pas vraiment le zeste d’agressivité attendu d’une Maserati.
Sur le mauvais asphalte milanais, la suspension adaptative – pneumatique, en option – gomme bien les aspérités les moins grossières. En revanche, elle ne peut réprimer quelques oscillations de la caisse sur les grosses déformations; les mouvements de caisse en virage paraissent aussi moins bien contenus que ceux d’un Porsche Macan, en conduite sportive. Les suspensions pneumatiques, testées ultérieurement, ne changent pas fondamentalement la donne; les tourments de l’asphalte sont mieux filtrés, mais on ne peut pas affirmer que la différence est énorme, quel que soit le mode de conduite adopté. Il faut préciser que Maserati a choisi, sur ces versions moins belliqueuses, un tarage de suspension plus tourné vers le confort. Le dynamisme paie un petit tribut à ce choix, mais le SUV italien n’est, de loin, pas ridicule: le Grecale obéira diligemment aux injonctions d’une direction très franche. Le mordant du train avant à l’attaque en virage reste flatteur, pour une auto de ce gabarit et de ce poids. Et, en réaccélérant brutalement en sortie de courbe, l’arrière-train gratifiera l’amateur de sensations de subtiles ruades. Nous apprécions aussi la sensation à la pédale de freins, nettement plus naturelle que celle de l’Alfa Romeo Stelvio – dont le Grecale reprend la plateforme Giorgio. Bien qu’il soit moins agile que son cousin milanais, le Grecale reprend la main sur l’insonorisation, excellente, et le raffinement intérieur. Le système d’infodivertissement de nouvelle génération marque un progrès par rapport à ceux utilisés dans le groupe Stellantis. De façon générale, le Grecale paraît à tous points de vue un pas en avant par rapport aux productions actuelles du Trident et pourrait même faire de l’ombre à son grand frère, le Levante, qui semble à la traîne dans de nombreux domaines. Des premières impressions à confirmer lors d’un test approfondi, avec des modèles de production, sur nos routes. Il faudra, pour cela, patienter quelques mois, puisque les premières livraisons du Grecale sont attendues pour cet été. Les prix débuteront dès 86 600 Fr.