Elle n’a jamais vraiment eu le droit d’être meilleure que sa grande sœur. La Cayman dispose pourtant de tout l’attirail théorique pour tailler des croupières à la 911: taille compacte, empattement plus court, poids contenu et, surtout, moteur en position centrale. Alors que la 911 est condamnée, pour des raisons de tradition, à se traîner un anachronique propulseur arrière, la Cayman jouit d’un moteur à la meilleure place, au centre.
Comme si elle était consciente des avantages intrinsèques de la Cayman, Zuffenhausen semblait la tenir en laisse, pour qu’elle ne vienne pas faire de l’ombre à l’intouchable grenouille. C’était avant l’arrivée de la GT4 RS, qui pourrait bien bousculer l’ordre établi chez Porsche. Zuffenhausen lui a enfin concédé le bijou de sa gamme des moteurs, le six-à-plat 4 litres de 500 ch. Les connaisseurs auront reconnu le propulseur qui anime la plus convoitée des 911, la GT3, mais avec dix chevaux de moins. Une Cayman avec un moteur central de 911 GT3? Voilà qui ressemble à l’affiche d’un blockbuster hollywoodien alignant les noms des stars. Espérons cependant que nous soyons en présence d’un Pulp Fiction plutôt que d’un Batman & Robin. Et ne voyons pas dans le fagotage «à la batmobile» de la GT4 RS un mauvais présage!
En effet, la plus féroce des Cayman se présente avec un accoutrement aérodynamique spectaculaire; le regard cherche, au milieu de cette kyrielle d’ailerons, lames et ouïes, la trappe pour les lance-missiles. L’élément le plus tapageur de cette armada est, bien sûr, l’aileron réglable sur quatre positions, avec fixations en col de cygne. Porsche nous explique que ce type de support par le haut, déjà vu sur la GT3, facilite l’écoulement de l’air sous l’aileron, accroissant la déportance. Zuffenhausen ne dit rien du gain concret généré par cette trouvaille, pas plus qu’il ne révèle le nombre de kilos qui plaquent la berlinette au sol.
Le regard s’arrête aussi sur les «branchies», appelées «louvers», qui sectionnent les ailes. Ces ouvertures évitent la surpression d’air provoquée par la rotation des roues, un phénomène qui soulève le train avant à haute vitesse. Signalons encore, dans la panoplie aérodynamique, les quatre entrées d’air NACA, même si vous n’en verrez que deux sur les photos. Deux se terrent dans le soubassement de l’auto et visent à refroidir le filtre à particules du moteur essence; les deux autres, enchâssées un peu grossièrement sur le capot en carbone, servent au refroidissement des freins. Une bouffée d’air bienvenue pour des disques qui ont gagné en taille (+28 mm) et s’étendent sur 408 mm de diamètre. Ce sera même 410 mm, si vous optez pour les disques en carbone-céramique, qui arracheront 9620 francs de votre compte en banque; à réserver uniquement aux adeptes des sorties sur circuits. La même recommandation s’applique au Pack Weissach – 19 200 Fr. – ou aux roues de 20″ en magnésium. Ces jantes spéciales allègeront l’auto de 10 kg et votre portemonnaie de 18 080 francs. Jamais le rebord d’un trottoir n’aura semblé aussi «assassin»!
Rides à l’intérieur
En continuant le tour du propriétaire (on rêve…) de la GT4 RS, nous nous arrêtons aussi sur les vitres latérales arrière… qui n’en sont pas: elles ont été remplacées par des écopes acheminant l’air vers une énorme boîte à air en carbone, bien visible au travers de la lunette arrière. Elle jouxte ainsi les oreilles des deux occupants, aux premières loges pour entendre les bruits de succion du flat-six, bien calés dans les excellents sièges baquets. La position de conduite est pour ainsi dire parfaite, l’alignement entre le siège, les pédales et les volants est idéal; on peut suffisamment tirer le cerceau à soi et l’assise frôle le bitume, 25 cm à peine séparent le fessier de l’asphalte.
Le conducteur a ainsi une vue imprenable sur les «rides» du cockpit. Porsche a bien essayé d’injecter du «botox» en garnissant cette planche de bord d’Alcantara et de carbone, mais certains plastiques et la myriade de boutons du tunnel central trahit l’âge de cette Cayman. La planche émane de l’ancienne philosophie de Porsche, à savoir «une touche, une fonction», désormais disparue du reste de la gamme. Le tableau de bord dispense aussi une ambiance d’autrefois, avec ses cadrans analogiques cohabitant avec un écran aux pixels fatigués. En l’espèce, ce côté «rétro» n’a rien de démodé, la GT4 RS se veut la star des plaisirs authentiques, autant avoir des aiguilles réelles. Le volant, dénué de boutons et autres distractions, le confirme également à sa façon. Nous aurions toutefois apprécié une caractérisation plus marquée pour cette RS, l’habitacle étant à peu de choses identique à celui de la GT4. Considérant l’écart de prix entre les deux versions – près de 50 000 francs – cela aurait été un minimum.
Plus civilisée qu’il n’y paraît
Trêve de jérémiades, nous insérons la clé – autre «vieillerie» – sur la gauche du tableau de bord et tirons le six-à-plat hors de son sommeil. Tonnerre, fracas, il est de mauvaise humeur, il nous hurle dans les oreilles, il est prêt à en découdre. Nous tirons le levier de la boîte à double embrayage sept rapports – seule transmission disponible – vers nous, un «clonk» signale l’engagement du premier rapport. Le ton est donné, la GT4 RS ne filtrera rien de ses états d’âme, nous nous attendons à être secoués à la moindre fêlure de l’asphalte. Porsche a surbaissé l’assiette de la Cayman GT4 RS de 30 mm et élargi les voies six millimètres à l’avant, huit à l’arrière. Contre toute attente, la GT4 RS ne provoquera pas un tassement des vertèbres à chaque irrégularité de la route; c’est dur, c’est sec, mais cela reste vivable. La situation change notablement en activant le mode «sport», qui risque de déloger quelques plombages de dents. Des gouttes de sueur s’écouleront à l’approche des gendarmes couchés, en pensant à la proéminente lame avant. Un système de levage du train avant – spécifique à cette GT4 RS (+ 3610 Fr.) – permet d’enjamber sans heurts les ralentisseurs trop insidieux.
Bien que cette Cayman de l’extrême sache déjouer les pièges d’une ville et soit capable de «se tenir» – aucun soubresaut d’humeur de l’ensemble boîte-moteur n’est à déplorer –, nous la sentons en train de dévorer son frein. Une impatience partagée, nous aussi nous ne demandons qu’à chahuter l’allemande. Partons vite en quête d’un asphalte lisse et tortueux!
Tintamarre à la limite du supportable
Le circuit est le terrain de jeu favori de la GT4 RS, comme nous avons déjà pu le constater (lire RA 12/2022); nous n’aurons, cette fois, qu’une magnifique route de col pour lui dégourdir – prudemment – les jambes. Oui, mais la GT4 RS veut courir, foncer: passé un léger creux initial, le propulseur entame ensuite un frénétique crescendo. Un premier coup de semonce intervient vers 4000 tr/min, où les vocalises rauques et gutturales deviennent plus métalliques. Les bruits d’aspiration, bien audibles à bas régimes, sont rapidement couverts par le fracas entonné par les six-cylindres, un tintamarre qui finit sur une explosion stridente à 9000 tr/min. Le charivari causé par le propulseur est assourdissant, à la limite du supportable – et nous sommes pourtant très tolérants en la matière. Pour tenir le choc de ces régimes de rotation extrêmes, les soupapes sont actionnées par des culbuteurs rigides, qui dispensent de l’usage d’un système de compensation hydraulique du jeu des soupapes.
La poussée n’a pas la brutalité typique d’un propulseur turbo, elle s’intensifie inexorablement à mesure que les pièces mécaniques se démènent. La puissance est ainsi plus gérable, plus naturelle, la moindre oscillation de la pédale d’accélération se traduit par une réaction nette mais proportionnée du monstre de 500 chevaux. Nous relèverons 4 secondes sur le 0-à-100 km/h sur une piste mouillée, les 3,4 s déclarées semblent réalistes sur un asphalte sec. C’est le mérite d’un launch control efficace et d’une transmission foudroyante, qui permet au moteur d’exprimer son plein potentiel. Le problème d’étagement trop long des rapports, qui affecte la GT4 «tout court» est ici pratiquement annulé, grâce à la présence d’un septième rapport.
Récital dynamique
Aussi fantastique que soit l’ensemble boîte-moteur, il passe au second plan en comparaison avec le comportement routier procuré par la suspension réglable (pincement, carrossage). Et ce, même si la réduction du poids est plutôt décevante, avec 35 kg de moins en comparaison avec la GT4. Fixez la trajectoire du regard, la Cayman GT4 RS se précipite vers le point de corde avec une fébrilité ahurissante, obéissant aux injonctions d’une direction finement aiguisée. Le train arrière apporte sa contribution à ce récital dynamique, grâce au différentiel autobloquant: à l’inscription en courbe, le différentiel freine légèrement la roue arrière intérieure au virage, provoquant un léger survirage; cet effet de balancier aide l’auto à «enrouler» la courbe. Dans la pratique, l’action est imperceptible, tout ce qu’on sait, c’est que l’auto braque comme une furie. Les agissements du différentiel à la réaccélération sont tout aussi exquis, en intervenant ce qu’il faut pour refermer le virage, puis à s’en extraire. Ou dériver, si l’on veut se faire plaisir! L’équilibre est phénoménal, le comportement prévisible, naturel; le conducteur est en confiance, en symbiose avec sa monture, il se sent pilote. C’est la marque des sportives de la catégorie supérieure, comme la 911 GT3. D’ailleurs, le prix d’une Cayman GT4 RS la propulse dans la cour de sa grande sœur – notre modèle d’essai dépassant les 210 000 francs. C’est une énorme somme d’argent pour une Cayman, mais l’équipe d’essayeurs de la RA est unanime: la GT4 RS est plus désirable que la 911 GT3. Voilà la Cayman GT4 RS devenue, de facto, la plus désirable des Porsche. La petite sœur, enfin libérée, est sortie de l’ombre de son aînée.
Résultats
Note de la rédaction 85/100
moteur-boîte
La poussée des 500 chevaux est continue, le crescendo poignant. La boîte PDK n’a pas l’agrément d’une transmission manuelle, mais tirera toujours le meilleur du moteur.
trains roulants
La réduction de poids est modeste et décevante, mais la tenue de route est ahurissante, l’équilibre est phénoménal, les réactions toujours naturelles et prévisibles.
Habitacle
Le cockpit ne peut pas cacher son âge certain et il manque de caractérisations propres à la RS. La position de conduite est parfaite, ce qui est le plus important.
Sécurité
Les aides à la conduite sont réduites à leur strict minimum, Porsche préfère la sécurité active procurée par les énormes et très efficaces freins.
Budget
L’écart de prix avec la GT4 «tout court» s’élève à près de 50 000 francs; la GT4 RS coûte pratiquement autant qu’une 911 GT3. Voilà qui paraît déraisonnable, mais la prestation mérite le sacrifice.
Verdict
Elle était très attendue, elle n’a pas déçu: la Cayman GT4 RS est à tous points de vue une sportive fantastique, qui se permet même de faire l’ombre à la 911 GT3. Son prix paraît exorbitant – et il l’est – mais c’est le ticket à payer pour s’offrir ce qui est certainement la plus désirable et la plus amusante des Porsche routières.
Vous trouverez le fiche technique de ce modèle et les mesures effectuées par la RA dans la version imprimée et dans le e-paper.