Les Français ont toujours préféré les automobiles pratiques. Dans l’après-guerre, toutes les voitures iconiques de l’Hexagone possédaient quatre portes, même les plus petites comme la «motte de beurre» (Renault 4CV) et l’incontournable Citroën 2CV. La Régie Nationale des Usines Renault a poursuivi sur cette voie en sortant la R4L en 1961. Pourtant, en janvier 1972, la marque au losange change son fusil d’épaule lorsqu’elle lance une citadine à 3 portes aux couleurs chatoyantes. Avant de devenir la Renault 5, ce modèle innovant à quatre vitres latérales se fait appeler Coach et génère un certain scepticisme chez les concessionnaires. Côté pratique, la nouveauté n’est toutefois pas si mal lotie avec son grand hayon, qui offre une excellente accessibilité au coffre, ce dernier disposant d’un volume raisonnable. Mélange technique de Renault 4L et de Renault 6, la nouvelle venue se montre aussi suffisamment spacieuse. Néanmoins, pour des raisons de coûts, elle reste fidèle à un ensemble moteur-boîte daté, positionné longitudinalement. Grâce à leur mécanique transversale, les concurrentes d’alors – Simca 1100 et Peugeot 204 – se montrent plus accueillantes. Au moins le positionnement de la boîte de vitesses à l’avant du moteur permet-il de dégager un espace sous le capot pour la roue de secours, comme sur la grande Renault 16. Pas vraiment à la pointe sur le plan mécanique, l’inédite française compense par une esthétique captivante. Les pare-chocs en plastique, intégrés pour la première fois dans la carrosserie, font sensation. Le designer de la Renault 5, Michel Boué, avait signé deux premières esquisses d’une deux-portes ultramoderne le 26 avril. L’ébauche était destinée au projet 122, qui devait orienter Renault vers la société des loisirs, étant donné que les besoins de la nouvelle génération n’étaient plus ceux de l’après-guerre. Le quotidien des gens avait changé; chaque ménage disposait désormais d’un réfrigérateur et d’une machine à laver. Le coffre de la voiture devait correspondre au volume d’un chariot de supermarché. La large palette de couleurs, quant à elle, visait la gent féminine. Un groupe cible en pleine émancipation qui, grâce à la pilule et à la révolution sexuelle, renonçait au seul statut de mère au foyer.
Deux sages versions pour commencer
A sa sortie, la Renault 5 est proposée en deux versions: le modèle d’entrée de gamme R5 L à moteur 782 cm3 de 34 chevaux (4 chevaux fiscaux selon le barème français) et la R5 TL de 1108 cm3 développant 45 chevaux (5 chevaux fiscaux). Les deux versions conservaient un levier de vitesse articulé horizontalement, hérité de la Renault 4. Cela constituait sans doute la caractéristique la plus démodée de cette voiture résolument moderne. C’est le cas de le dire, car la Renault 5 peut être considérée aujourd’hui comme une pionnière, notamment par son style et sa carrosserie dépourvue de tout chrome. Les couleurs flashy étaient de mise, mais l’intérieur se voulait, lui aussi, très moderne.
La merveille orange
La Renault 5 TL de 1974 présentée ci-contre arbore une couleur orange très «seventies». Difficile de faire un orange plus pétant d’ailleurs! Dix coloris étaient proposés au lancement en 1972, dont sept couleurs vives en plus du blanc, du gris et du noir. Et il y avait aussi un vaste choix pour l’intérieur; l’exemplaire de notre rencontre est habillé de similicuir orange lui aussi.
On remarque qu’il n’y a rien de superflu à bord, et cette quête de l’essentiel est même assez frappante. On cherche en vain l’allume-cigare, absence fort étonnante au pays des philosophes fumeurs de Gitane et de Gauloise! La sensation d’espace est manifeste, et la commande des vitesses à coulisse se montre plutôt précise. Une gageure sachant qu’elle commande directement la boîte, accolée au moteur loin devant. Accusant seulement 730 kilos sur la balance, la Renault 5 est environ 20 kilos plus légère qu’une Volkswagen Coccinelle. A sa sortie, elle renvoie la voiture de Wolfsburg au rang de pièce de musée. Aujourd’hui, ce sentiment de légèreté omniprésent surprend. Les 45 chevaux ne font certainement pas des étincelles, mais la petite française se montre vaillante. Voire un peu bringuebalante. Effectivement, sans stabilisateurs transversaux, la 5 s’incline dans les virages comme si elle voulait singer la 2CV! La Renault 5 se montre toutefois beaucoup plus raffinée que la Citroën. Malgré l’absence de portières à l’arrière, elle a vite séduit les Français. La part de marché de la Renault 5 a grimpé jusqu’à 16%, un record jamais égalé depuis lors.
Une carrière à rallonge
Après les L et TL, de nouvelles déclinaisons apparaissent. Renault réagit à la crise pétrolière avec la 5 GTL, au concept peu conventionnel: au lieu d’optimiser le plus petit moteur, les ingénieurs implantent un gros treize-cents dans leur best-seller. Issu de la Renault 8, ce bloc est dégonflé à 44 ch et propose plus de couple. Surtout, il est attaché à une boîte à cinq vitesses, chose encore assez rare à l’époque. La consommation s’établit alors à 4,5 l de super aux 100 km, à une vitesse stabilisée de 90 km/h. A l’autre bout de l’échelle des performances, Renault conçoit la sémillante 5 Alpine, équipée d’un moteur 1,4 litre à double carburateur Weber, qui développe une puissance alors impressionnante de 93 ch. En 1981, la Régie Nationale remet la compresse en présentant la Renault 5 Alpine Turbo, première petite voiture suralimentée. Ses 110 ch en font la réponse française à la VW Golf GTI. L’installation longitudinale du moteur devient ici un atout, puisque le turbocompresseur trouve toute la place nécessaire à côté du bloc. Pour des raisons de coûts, la pression de suralimentation reste modérée et il n’y a qu’un seul carburateur à l’admission.
La Renault 5 Turbo est d’un tout autre calibre. Deux fois plus chère que l’Alpine Turbo, elle n’est destinée qu’à une production limitée à 400 exemplaires, à des fins d’homologation pour le Groupe 4. Pour ce faire, les ingénieurs de Renault Sport imaginent, en fait, une toute nouvelle voiture, biplace avec moteur central longitudinal. Le 4-cylindres turbo de 1,4 litre ne crache pas moins de 160 ch et trouve place entre des ailes arrière amplement élargies. En 1981, une R5 Turbo remporte le Rallye de Monte-Carlo (Ragnotti/Andrié). Le modèle connaît un franc succès auprès des acheteurs privés, et le quota des débuts est vite dépassé. Plus de 4000 exemplaires seront finalement produits, en deux séries, jusqu’en 1986. La 5 Turbo est engagée dès lors dans d’autres disciplines, notamment dans le Groupe B. Cependant, il lui manque une transmission intégrale pour suivre la course à la puissance. La fin précipitée du Groupe B signe, de toute façon, la fin de carrière de la R5 la plus sauvage de l’histoire. A partir de 1985, une nouvelle Renault 5, baptisée Supercinq, remplace la première série. Le but était de faire face à l’énorme succès que rencontrait la nouvelle Peugeot 205, sortie en 1983. La vraie réponse de Renault au «sacré numéro» de Sochaux viendra plus tard avec la Clio, mais c’est une autre histoire.
Passé et avenir à Flins
La Renault 5 a été construite dans l’usine Renault de Flins, à environ une heure de route de Paris, le long de la Seine. Aujourd’hui y sont encore construites la Nissan Micra et la Renault Zoe, même si leur retraite est déjà programmée. Flins sera reconvertie en «re-factory», c’est-à-dire en usine de reconditionnement et de recyclage de voitures. Pour Renault, le site servira aussi à stocker une partie des 860 véhicules de son patrimoine. Parmi eux, les Renault 5, qui font actuellement l’objet d’une exposition temporaire, célébrant le demi-siècle d’existence du modèle. Comme Renault ne possède pas de musée, l’exposition est organisée à Flins. Le directeur marketing responsable de Renault Classic compte sur une petite troupe de seulement neuf collaborateurs, constamment en vadrouille de par le monde, pour présenter les véhicules de la collection. Au moment de notre visite, l’équipe Classic était occupée à la remise en état de la Renault 5 Maxi Turbo, qui revenait de la course Le Mans Classic et qui se trouvait une semaine avant au Festival of Speed de Goodwood. La voilà désormais toute propre! Espérons qu’un jour Renault ne se contente plus seulement de soigner son image, mais qu’il apporte ses conseils, son soutien et ses pièces aux collectionneurs et amateurs de la marque. Il ne faut pas oublier l’importance de ceux qui cultivent et transmettent leur passion en autodidactes.