Le covoiturage face aux impasses

La Confédération veut encourager le covoiturage, jusqu’ici peu adopté par la population, avec une nouvelle signalisation sur les voies de circulation. Plus facile à dire qu’à faire.

Un nouveau panneau routier, à lui tout seul, va-t-il réussir à faire décoller le covoiturage, toujours très peu utilisé? La signalisation choisi pour cette pratique porte le chiffre 5.43, et selon la décision du Conseil fédéral prise récemment, il pourra être utilisé sur le réseau routier suisse dès le premier janvier 2023. La signalisation montre une voiture avec un chiffre indiquant le nombre minimum de personnes à bord pour pouvoir emprunter cette voie. Les services de voirie peuvent compléter la signalisation existante avec ce panneau ou l’inscrire sur l’asphalte à l’aide d’un pochoir. 

Résultat: les automobilistes qui font du covoiturage pourraient, à l’instar des vélos qui le font déjà, utiliser les voies de bus. Cette décision est la bienvenue pour au moins deux raisons: elle autorise quelque chose au lieu de l’interdire, sans oublier qu’elle encourage une meilleure utilisation de l’espace routier et de l’énergie.  En utilisant son véhicule uniquement pour se rendre au travail, seul dans l’habitacle, un automobiliste met en mouvement 1,5 à 2,5 t de matériel pour se déplacer. Selon la Confédération, l’occupation moyenne par véhicule est de 1,1 personne dans le trafic pendulaire. Le covoiturage permettrai dès lors de mieux utiliser la «capacité interne de la voiture», explique Thomas Rohrbach, porte-parole de l’Office fédéral des routes (Ofrou), pour décrire l’idée derrière la nouvelle signalisation. «En encourageant le covoiturage, le Conseil fédéral veut aussi réduire la pollution et la congestion du trafic», écrit l’Ofrou. 

Ces mesures d’encouragement ne vont certes pas tout révolutionner d’un seul coup, il s’agit surtout de faire des petits pas dans une nouvelle direction pour, au final, changer les comportements. Un nouveau symbole sur le sol est un outil supplémentaire à disposition des autorités dans l’objectif de fluidifier le trafic.

Pas de voies de réserve

Le problème, c’est qu’il est compliqué d’ajouter de nouvelles voies de circulation et qu’il va falloir se débrouiller avec ce qui existe. «Nous n’avons pas de voies de réserve», constate Thomas Rohrbach, de l’Ofrou. En effet, il est nettement plus facile d’introduire cette mesure lorsque, comme aux États-Unis, on roule sur six, voire huit voies dans une direction. Au total, 17 États américains disposent de voies de covoiturage (officiellement «High-Occupancy Vehicle Lanes», HOV), parfois depuis des décennies. Autre désavantage: les villes suisses manquent d’espace. En effet, la condition de base pour une voie séparée est la présence d’au moins deux voies de circulation dans une direction, ce qui est rare dans nos villes, à l’exception des routes comprenant des voies de bus. 

Les autorités des villes et les exploitants de transports publics ne sont pas enthouasiastes à l’idées des voitures puissent emprunter les voies de bus, alors que les taxis et les vélos y sont autorisés. La Ville de Berne nous a répondu «qu’avec l’ouverture de ces voies de circulation, les transports publics seraient entravés». A ce jour, Baden est la seule ville suisse à avoir ouvert ses voies de bus aux motos – ce qui s’explique peut-être par le fait que l’ancien maire de la ville était un importateur de motos lui-même. Bien avant l’arrivée du panneau 5.43, Bâle a étudié la possibilité d’introduire des voies réservées au covoiturage. Conclusion? Le Conseil d’Etat relève que «les analyses effectuées ont montré que les voies de covoiturage ne sont pas appropriées sur le réseau routier urbain. Le gain de temps de trajet possible est trop faible, les effets négatifs sur le reste du trafic trop importants». La plupart des tronçons de rue qui semblaient convenir présentaient trop de bifurcations. Il ne restait que deux tronçons en zone urbaine sur lesquels les  «covoitureurs» auraient pu économiser au maximum cinq minutes de trajet. Et ce, au détriment des autres automobilistes et, en partie, des transports publics. Lorenzo Bonati, porte-parole des transports de la Ville, ajoute d’autres obstacles sur la route du covoiturage; après tout, Berne se bat déjà pour éjecter les voitures hors du territoire urbain: «Selon la nouvelle ordonnance, les voitures familiales appartiendraient également à la catégorie du covoiturage. L’utilisation de véhicules motorisés par les familles serait de facto encouragée. Tout cela va à l’encontre de l’objectif général de réduction de la congestion du trafic et de la pollution». Zurich et Lucerne rangent la question du covoiturage parmi les dossiers non urgents. «Nous n’avons aucun projet à ce sujet», nous répond-on à Lucerne. Zurich lâche un vague «il se peut toutefois que nous installions la nouvelle signalisation à des endroits bien spécifiques». 

Eviter un nouvel enfer urbain

Reste à savoir comment ce panneau encourageant le covoiturage sera utilisé. A la base, il est conçu comme un complément aux signaux «interdiction générale de circuler dans les deux sens», «interdiction aux véhicules à moteur» et «voie réservée aux bus» et il est complété par le mot «excepté». 

Autrement dit, la marge d’interprétation est grande: que penserait-on de «l’interdiction de circuler aux véhicules à moteur» combinée au signal «sauf covoiturage» pour certaines zones des centres-villes? Voilà qui risque bien de créer de la confusion dans le trafic; la pratique est de toute façon promise à des difficultés dans les villes dirigéees par le camp rose-vert. L’Ofrou ne veut pas faire d’hypothèses sur ce point et nous renvoie au cadre juridique: «Ces signalisations sont des dispositions locales de circulation au sens de l’article 3, alinéa 4 de la LCR. En tant que telles, elles doivent être d’intérêt public et ne doivent pas être disproportionnées. A cet égard, les autorités compétentes doivent peser les différents intérêts entrant en ligne de compte». L’ordonnance sur la signalisation routière permet d’ailleurs d’utiliser le panneau «covoiturage» également pour les places de stationnement. A première vue, il s’agit d’une solution raffinée pour encourager le covoiturage sans dépendre uniquement de la largeur des routes. Notez que les voitures cherchant à entrer dans un parking «covoiturage» devront avoir le bon nombre d’occupants à l’entrée uniquement; à la sortie, cela n’aurait pas d’importance, précise l’Office fédéral des routes. La question du contrôle lors de l’entrée dans la zone de parking reste ouverte, car à moins d’un flagrant délit, les contrevenants vont être très difficiles à identifier.

Partager la voiture, pas si facile

Dans un reportage de la télévision suisse alémanique sur la promotion du covoiturage, la psychologue Dorothea Schaffner a tempéré les espoirs de changements quant à nos habitudes de déplacement. S’appuyant sur ses recherches, la professeure de psychologie économique à la Haute école de psychologie appliquée, a constaté que l’argument principal de ceux qui utilisent une forme de covoiturage est le souci de l’environnement. 

En revanche, les avantages pratiques et financiers du partage de voiture en Suisse n’ont que peu d’effet. Les transports publics sont trop bien développés et les Suisses trop riches pour cela, a-t-elle constaté. Si les avantages d’exploiter au mieux les places assises d’une voiture sont évidents, on comprend aussi que le covoiturage va à l’encontre du principal point fort de l’auto, à savoir de bénéficier d’un espace privé. Le Conseil d’Etat bâlois l’écrit dans son rapport:  si le covoiturage a si peu de succès, c’est parce qu’il y a encore de nombreuses «résistances» sur divers points, comme la peur d’avoir des personnes que l’on ne connaît pas dans la voiture, de devoir faire des détours et d’attendre trop longtemps avant de se mettre en route. De plus, le début et la fin des horaires de travail ne peuvent pas être choisis librement par beaucoup.

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