Virginale

Les premières œuvres sont souvent les plus désirables, si l’on croit les collectionneurs. C’est en tout cas vrai pour la Type E.

Un anniversaire en solitaire. La Jaguar Type E soufflait sur ses 60 bougies en 2021, mais les convives sont restés à la maison en raison de la pandémie. Heureusement, maintenant que les nuages sombres se dissipent, on peut de nouveau se poser les questions qui comptent vraiment, comme: la Jaguar Type E était-elle vraiment une bonne voiture, à sortie, au printemps 1961? Pour le savoir, nous nous sommes mis au volant de l’un des premiers exemplaires de l’iconique sportive britannique.

Inattendu

Cet essai routier est en réalité le fruit du hasard, il trouve son origine dans la panne d’une autre Jaguar, la XJ12 de votre serviteur. Nous nous sommes en effet rendus à un dîner du Jaguar Drivers’ Club Switzerland à bord de notre limousine, qui a refusé de démarrer, à la fin de la soirée. Il était alors minuit et de demi et la dépanneuse semblait le seul moyen de rentrer à la maison. La délivrance viendra de Maja Husistein, dont nous avions déjà présenté la magnifique XJ-S châssis n°9: «Prenez donc la Type E!», nous lance-t-elle. Elle et son mari, deux mordus du félin, venaient en effet de s’offrir un exemplaire du célèbre coupé; ils en avaient pris possession une semaine auparavant. Comme à son habitude, le couple a privilégié l’un des premiers exemplaires produits. Cette Jaguar, livrée le 14 novembre 1961 à Emil Frey Zurich (à la Badenerstrasse), est frappée du numéro de châssis 885101. On pourrait croire qu’il s’agit du centième exemplaire du coupé à être sorti des lignes de montage, la série ayant débuté avec le matricule 885001. Toutefois, chez Jaguar, on ne fait rien comme les autres. La marque séparait les numéros de châssis des modèles à conduite à gauche de ceux avec le volant à droite; les Spider (marqués du sigle OTS, pour «Open Two Seater») et les coupés (ou FHC, pour «Fixed Head Coupé») étaient aussi comptabilisés séparément. Et pour compliquer le tout, la marque sise à Browns Lane (Coventry) ne produisait pas les châssis en suivant l’ordre des numéros. Toutefois, celui qui figure sur la carrosserie – 1119, qui signifie la 119e produite – nous indique la place de la Type E dans l’histoire de la production. 

Le projet d’origine

Se mettre au volant de l’un des tout premiers exemplaires d’une telle icône suscite l’excitation, surtout lorsque, comme sur «notre» auto, tous les composants sont originaux. L’accès à bord refroidit quelque peu, car il faut de véritables qualités de contorsionniste pour se glisser à bord; un volant amovible serait nécessaire, pour réussir à passer les jambes sous la fine couronne en bois. La meilleure technique consiste à entrer dans l’habitacle avec la jambe droite fléchie, s’abaisser pratiquement au niveau du sol et glisser le genou sous le cerceau. Une fois que l’on a enfin réussi à s’asseoir, on se retrouve avec le volant positionné très bas, entre les genoux. En contraste avec la grande jante de bois que l’on a en main, les pédales paraissent bien petites, trop petites même. Les conducteurs aux grands «panards» auront intérêt à chausser des chaussures de course, voire être à pieds nus. 

Le moment est venu d’animer l’anglaise. La procédure commence par une rotation du bouton d’allumage, suivi d’une pression sur le bouton de démarrage. Le moteur XK, qui a débuté sa carrière en 1948, paraît toujours à la hauteur de la tâche sur la Type E, 13 ans plus tard. Pas bougon pour un sou, le propulseur britannique sort de son sommeil en un quart de tour, avec tout juste une «pointe» de starter; il est nettement moins capricieux que certains moteurs du sud de l’Europe. Pas de méprise, toutefois: le six-cylindres paraît moderne, avec son double arbre à cames en tête, mais il reste un moteur anglais à course longue, qui aime s’échauffer lentement. Laissons-nous donc aller à une balade détendue avec l’anglaise, qui sait très bien déambuler à faible régime, le 3,8-litres faisant preuve d’une souplesse remarquable dès le bas du compte-tours. La boîte de vitesses se prête bien aussi à la détente, ne demandant que peu d’effort pour être actionnée; elle ne mérite d’ailleurs pas sa réputation de boîte délicate. L’anglaise peut ainsi évoluer vite, sans épuiser son vilebrequin, mais la merveilleuse bande-son à haut régime encouragera plutôt à descendre un rapport… 

Smooth Operator

De façon étonnante, quand on pense à une voiture de sport anglaise, on pense souvent à une auto avec une suspension un peu sèche, divers bruits inconnus et une planche de bord en bois. Ceux qui attendent de retrouver cette image risquent fort d’être déçus avec la Type E. Sa suspension n’est pas dure comme la pierre, et aucun bruit parasite n’est à déceler; il faut préciser que cet exemplaire, fabriqué à la main, a été restauré une fois. La voiture se montre très agréable à des vitesses modérées, mais a la réputation d’être piégeuse à haute vitesse. Nous n’avons pas tenté le diable, nous sommes sur route ouverte; nous aurons probablement l’occasion de bousculer une Type E sur circuit prochainement, mais pour l’heure, restons sages. 

La Type E mérite-t-elle l’appellation de voiture sportive? Pour une voiture qui a inauguré l’âge d’or de l’automobile, avec une présentation en grande pompe à Genève, en mars 1961, la Jag’ offrait bien assez de performances. Même s’il y a des doutes sur les 269 chevaux promis par la fiche technique, ce coupé laissait derrière lui la plupart des voitures en circulation à l’époque. 

Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Une compacte sportive, comme la Honda Civic Type R, dépasse largement les 300 chevaux et enrhume l’anglaise à tous égards. La Type E reprend en revanche l’avantage sur le poids, la Jaguar pesant autant qu’une citadine actuelle. Et le poids, peu importe l’âge, la technologie ou la sophistication du châssis, est toujours un ennemi. Cet avantage en termes de dynamisme s’étend jusqu’au système de freinage, à disque sur les quatre roues. Un raffinement qui donnait à la Type E, à son époque, un atout sur nombre de ses rivales. Quand on sait que des pilotes du calibre de Stirling Moss, qui épaulaient le pilote d’essai Norman Dewis, mettaient au point les Jaguar, on comprend mieux pourquoi la marque faisait figure de précurseur, notamment en matière de freinage.  

Le plaisir des yeux 

Malheureusement, la destinée de la Jaguar Type E n’est pas une courbe ascendante d’améliorations. Certes, des évolutions positives apparaîtront dans les premières années, à l’image du moteur qui passe à 4,2 litres en 1964, tandis que la boîte Moss a été remplacée par une transmission «made by Jaguar». Toutefois, les choses se gâtent dès 1966, avec l’apparition de la controversée 2+2 à toit bombé ou en 1968, avec la série 2. Cette seconde génération faisait de larges concessions pour le marché américain, avec des phares avant perdant leur carénage vitré et de gros feux arrière disgracieux; elle perdait aussi quelques chevaux. En 1971, le V12 fera son apparition, tandis que les designers redessinaient quelques détails, détériorant la pureté des traits originels. Les premiers modèles de Type E restent ceux qui possèdent le plus de charme, un effet qui perdure encore 60 ans après leur sortie.

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