En 2023, le Championnat du Monde de Formule E négociera un nouveau tournant de son histoire puisque la neuvième saison de la discipline, lancée en 2014, sera marquée par l’introduction des monoplaces de troisième génération, aussi appelées les «Gen3». En quoi ces voitures sont-elles différentes de leurs prédécesseures? C’est avec cette question en tête que la Revue Automobile est partie interroger les principaux acteurs du secteur.
«Priorité est désormais donnée à l’allègement du véhicule ainsi qu’à son efficience», explique Martin Füchtner, directeur technique de l’écurie Porsche en Formule E. Pour parvenir à ces deux objectifs, les constructeurs ont allégé la batterie, tout en augmentant la puissance du freinage régénératif». A tel point que les nouvelles monoplaces sont capables de se passer de disques et d’étriers de frein arrière! En effet, la machine électrique arrière est capable de récupérer 350 kW d’énergie électrique lorsqu’elle fonctionne en mode génératrice. Les nouvelles monoplaces étant des 4×4, elles disposent d’une seconde machine électrique sur leur essieu avant, ce qui permet non seulement d’excellentes accélérations mais aussi un meilleur freinage régénératif; en l’occurrence, la machine avant est capable de récupérer 250 kW d’énergie lorsqu’elle fonctionne en mode génératrice. Au total, la monoplace peut récupérer une puissance cumulée de 600 kW. «Sur les Gen2, seuls 25% de l’énergie utilisée en course pouvait être récupérée lors des phases de décélération. Sur la Gen3, cette valeur passe à plus de 40%», s’enthousiasme Füchtner. Évidemment, ce freinage régénératif est doublé d’un système conventionnel, composé de deux disques et de deux étriers. Cette puissance importante permet aux ingénieurs de diminuer la quantité de kWh embarqués par la batterie. Profitant d’une capacité de 52 kWh auparavant, les accus sont aujourd’hui limités à 38,5 kWh. En conséquence, la masse diminue d’une centaine de kilos!
Interaction et accidents
L’interaction entre les machines électriques avant et arrière est très complexe. Par conséquent, sa mise au point nécessite un haut niveau de qualification: «La décélération exige une coordination parfaite entres les différents systèmes de freinage des deux essieux que sont les deux générateurs et les étriers avant», développe Markus Michelberger, ingénieur chez Abt Sportsline. L’écurie allemande de Kempten est de retour en Formule E, non plus pour le compte d’Audi mais bien en tant que partenaire du constructeur indien Mahindra.
Cette complexité technique a provoqué de nombreuses frustrations lors des divers essais de pré-saison réalisés par les constructeurs. Plusieurs écuries, dont Mahindra (avec Oliver Rowland) et Jaguar (avec Sam Bird), ont connu différents déboires ces derniers mois, heureusement sans gravité. Markus Michelberger nous explique ce qui s’est passé: «Etant donné que les nouvelles monoplaces utilisent principalement leurs machines électriques pour freiner, leurs deux freins à disque avant sont relativement sous-dimensionnés. Malheureusement, cela peut engendrer de gros problèmes lorsque le freinage électrique n’est pas aussi puissant que prévu».
On imagine aisément la complexité de développement d’un «ABS» électrique. A noter que ce sont les écuries qui sont reponsables des mécanismes de sécurité appropriés et non le constructeur de châssis en tant que tel.
Des problèmes d’accus sur la liste
Aux problèmes de freinage rencontrés par les monoplaces se sont ajoutés ceux des recharges de batterie. Le «système de stockage d’énergie rechargeable» (RESS) de la nouvelle batterie développée par Williams Advanced Engineering est tombé en rade à plusieurs reprises. La cause en serait les nombreuses secousses subies par la batterie sur la piste. Bien sûr, cette situation a eu de regrettables conséquences sur la production des accus; les séances d’essais des constructeurs ont passablement été grevées par ces problèmes.
Si Williams semble aujourd’hui avoir résolu tous les problèmes rencontrés par ses batteries, il n’en reste pas moins que l’entreprise doit désormais toutes les reconstruire. Ce qui n’est pas évident eu égard du laps de temps restant jusqu’au coup d’envoi du championnat (14 janvier au Mexique). A cela s’ajoute la problématique du dispositif de recharge, dénommé Boost Charger: «Le Boost Charger est à quelques exceptions près une copie conforme de la batterie du véhicule. Cela signifie qu’elle contient les mêmes cellules», poursuit Markus Michelberger, ingénieur chez Abt. A l’heure actuelle, la priorité est donnée aux batteries des monoplaces. La technologie de recharge rapide ne devrait donc pas être disponible avant la deuxième moitié de la saison.
Hormis ce report, la technologie s’annonce pour le moins prometteuse: «Nous avons pu tester la recharge rapide à plusieurs reprises et nous avons été agréablement surpris par la rapidité avec laquelle nous avons réussi à synchroniser les logiciels du fabricant de batteries et ceux des Boost Chargers», explique Füchtner. Ainsi, l’utilisation pendant 30 secondes de ce fameux Boost Charger aurait fonctionné sans problème chez Porsche. Ce qui est plutôt impressionnant lorsque l’on sait qu’il est capable de recharger à une puissance de 600 kW.
Un pneu unique
Une autre nouveauté que devront maîtriser les différents acteurs du paddock concerne les pneumatiques. Après avoir collaboré durant huit ans avec le manufacturier français Michelin, la Formule E signe avec le sud-coréen Hankook. Celui-ci a été chargé de développer un pneu toutes saisons qui soit avant tout durable. La Formule E continue donc de bouder les pneus slicks, capables de vitesses élevées dans les virages. Dans le paddock, de nombreux pilotes se sont plaints de cette nouvelle monte pneumatique, la décrivant comme plus dure et donc moins accrocheuse: «Nous profitons de 100 kW de puissance supplémentaire. C’est bien mais il nous faut aussi la transmettre à la piste, aussi bien à l’accélération qu’au freinage d’ailleurs», fait remarquer Markus Michelberger. Autrement dit, il ne sert à rien d’augmenter la puissance si la motricité ne suit pas.
Le problème serait tel que certaines écuries souhaiteraient utiliser un pneu plus tendre pour les séances de qualification, où de meilleures performances sont requises. C’est d’autant plus crucial que «par rapport au Michelin, il est plus difficile de faire monter le pneu en température», explique l’ingénieur de Abt Sportsline. La FIA aurait fait tester un pneu alternatif au Hankook, avant de se raviser et de finalement opter pour le sud-coréen.
Aérodynamique peu influente
Tous les châssis de Formule E sont identiques, indépendamment de l’écurie qui les utilise. Et pour cause, ils sont le fruit de l’entreprise française Spark Racing Technology. Dès lors que tout le monde est logé à la même enseigne, l’aérodynamisme de la monoplace n’a que très peu d’intérêt. C’est d’autant plus vrai que le développement de déflecteurs d’air en soufflerie coûte beaucoup d’argent et que l’appui nuit à l’efficacité de la voiture et à l’usure des pneus. «La forme de la monoplace s’explique en grande partie par une volonté de faire une monoplace design. Il n’y a pas de réels bonds en avant en matière d’aérodynamisme», explique Markus Michelberger. Bien au contraire, les possibilités de réglage seraient plus réduites qu’auparavant. «Nous ne pouvons par exemple plus du tout régler les déflecteurs d’air à l’avant; tout est fixe», poursuit l’ingénieur d’Abt. Certes, la forme de base du véhicule a changé, surtout la partie avant (en raison de l’intégration de la chaîne cinématique et des roues indépendantes). Voilà qui modifie l’écoulement de l’air autour du véhicule, la résistance à l’air ainsi que l’appui. Porsche ne s’attend néanmoins pas à «des effets significatifs sur la performance».
Voitures de tourisme concernées
D’autres facteurs devraient en revanche contribuer à améliorer les chronos: «Grâce à un poids réduit de près de 6 % et à une puissance accrue de 100 kW, la Gen3 profite d’un meilleur rapport poids/performance. Aussi, l’accélération et la vitesse maximale augmenteront en conséquence. En ce qui concerne les pilotes, ils doivent apprendre à gérer le surplus de puissance et la diminution du nombre d’aides à la conduite. En outre, dans les parcours urbains serrés, les dimensions réduites de la voiture les aideront à se faufiler. Nous devrions donc assister à des courses passionnantes», prédit Füchtner.
Même si, au cours des derniers mois, le développement des Gen3 ne s’est pas déroulé comme prévu et que peu de constructeurs sse disent satisfaits des pièces communes, c’est une voiture de course électrique inédite qui sera au départ de l’E-Prix de Mexico. La Gen3 est «la voiture de course électrique la plus rapide, la plus légère et la plus efficace jamais construite», assure le responsable technique de Porsche.
Quant à l’idée qu’une telle technologie puisse un jour arriver dans une voiture de tourisme, c’est désormais une certitude. En voilà une bonne nouvelle!