Voilà 60 ans que la Ligue suisse contre le bruit se bat contre la pollution sonore, au nom de la qualité de vie de la population. L’association identifie trois sources de bruit majeures liées à la mobilité: la route, le rail et l’aviation. Toutefois, quand bien même des progrès sont réalisés en matière de protection contre le bruit, à coups de milliards de francs, l’accroissement du trafic réduit aussitôt ces efforts à néant. Le problème devient presque un jeu absurde du chat et de la souris.
En ce qui concerne la route, il existe bel et bien des valeurs limites à respecter et des procédures – comprendre, des contrôles – sont là pour faire respecter la loi. Mais cela n’empêche pas certains usagers d’exagérer avec les décibels, parfois sans le vouloir. Même avec une voiture parfaitement conforme, il est en effet toujours possible de produire des nuisances envers une population sensible au bruit.
Aujourd’hui, les contrôles techniques sont l’outil principal de la police suisse pour filtrer les véhicules trop bruyants: si une voiture ou un motocycle ne répond pas aux exigences homologatives, le propriétaire du véhicule est mis à l’amende et doit remettre son véhicule dans son état d’origine. Mais les forces de l’ordre procèdent aussi à des mesures de bruit «sur le terrain», par rapport à une valeur de référence. Toutefois, comme la valeur rendue n’entre pas dans les données d’homologation, elle ne sert que d’indice de présomption. Seul un contrôle ultérieur auprès du service des automobiles ou d’un centre de contrôle agréé permet d’établir si le véhicule suspect est effectivement trop bruyant. Dans la pratique, cette procédure s’avère complexe et elle ne considère en fin de compte que les aspects techniques, et certainement pas les incivilités des fous de l’accélérateur. Pourtant, la loi fédérale sur la circulation routière (art.42 LCR) se veut aussi stricte que limpide: il faut éviter dans la mesure du possible toute nuisance pour les usagers de la route et les riverains, qu’il s’agisse de bruit, de poussière, de fumée ou d’odeurs. L’ordonnance sur les règles de la circulation routière (art.33 OCR) dresse en outre une liste détaillée des infractions, comme le fait de laisser tourner le moteur à l’arrêt, d’accélérer très fort au démarrage, de faire crisser les pneus en virage ou d’évoluer à faible allure à un régime moteur trop élevé. Dans de tels cas, faute de preuve scientifique, le témoignage des policiers fait foi dans les procédures pénales – mais la verbalisation reste difficile à appliquer.
Les fervents partisans de la lutte contre le bruit routier placent leurs espoirs dans le progrès technique: des «radars acoustiques», plutôt simples à mettre en place, existent depuis quelques années. La Ligue contre le bruit a présenté l’un de ces appareils à un parterre de spécialistes suisses en novembre. Cette invention française baptisée Medusa – des entreprises et universités suisses procèdent à des recherches dans ce domaine – est le fruit de la plateforme de développement Bruitparif qui la teste avec succès depuis plusieurs années déjà.
Mesure difficile dans le trafic
Pour le directeur des ventes de Bruitparif, Raphaël Coulmann, le défi consiste à rendre le bruit compréhensible et visible. Mesurer correctement un véhicule en vase clos, pour l’homologation par exemple, implique déjà un énorme travail. Filtrer les bruits de la circulation représente donc une tâche encore plus ardue.
Le système Medusa réussit cette gageure en associant quatre microphones, espacés d’environ 20 cm les uns des autres. Le tout est connecté à une caméra «flash» qui sert à l’identification des immatriculations. Jusqu’à présent utilisés dans un but pédagogique, ces appareils permettent aux usagers de la route de voir leur niveau sonore traduit sur des panneaux lumineux. En France, Medusa n’est pas encore homologué à des fins judiciaires, mais cela devrait être le cas en 2023. Pour cela, deux des quatre microphones seront montés sur un candélabre, avec deux caméras (l’une photographiant les véhicules de l’avant, l’autre de l’arrière). L’origine du bruit est évaluée 25 fois par seconde afin de faire ressortir le véhicule le plus bruyant. Les enregistrements acoustiques et optiques sont en quelque sorte superposés lors du traitement des données.
En Suisse, il reste à déterminer si les usagers bruyants de la route peuvent être incriminés à l’aide de radars antibruit. Une motion de la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie du Conseil national (CEATE) demande plus de moyens pour les autorités d’exécution, notamment le recours à des radars acoustiques. Dans sa réponse, le Conseil fédéral n’aborde pas explicitement la question des radars, mais il garantit aux cantons un soutien financier: «Pour une augmentation quantitative des contrôles d’environ 50% (pour tous les cantons), il faut prévoir environ 1,5 million de francs». Surtout, le gouvernement propose divers tours de vis au niveau de la loi et de l’ordonnance. Par exemple, les systèmes d’échappement après-monte – destinés à faire plus de bruit – seront interdits à la vente, même si ces systèmes respectent les valeurs limites. Le vendeur ne pourra pas simplement rejeter la responsabilité sur la clientèle en indiquant «usage destiné uniquement au circuit»; le commerce de tels composants doit être explicitement sanctionné.
Le gouvernement veut également s’attaquer aux modes de conduite qui génèrent plus de bruit, sur pression d’un bouton: ceux-ci ne pourront plus être activés dans les agglomérations. Et ceux qui occasionneraient trop de bruit «gratuitement» doivent être sanctionnés par un retrait de permis, selon nos autorités. Toutefois, le Conseil fédéral aurait un peu d’indulgence pour les primo-délinquants, qui recevront d’abord un avertissement. Le permis sauterait pendant au moins un mois en cas de récidive dans les deux ans. Les récidivistes auraient d’ailleurs les autorités sur le dos, comme l’explique la réponse du Conseil fédéral: «Les véhicules sur lesquels des modifications illicites liées au bruit ont été constatées à plusieurs reprises par la police, en l’espace de deux ans, devront être contrôlés à cinq reprises».
Les efforts visant à réduire les émissions sonores indésirables sont motivés par les conséquences du bruit sur la santé. Selon certaines études, un doublement de l’exposition au bruit entraîne une augmentation de 3 à 10% du risque de dépression, voire de suicide.
Le comportement plus que les règles
Les efforts consentis en Suisse pour renforcer les contrôle et la répression visent le même objectif que les radars acoustiques français, les interdictions de circuler ciblées sur certains axes surchargés d’Allemagne ou encore le bannissement des motos émettant plus de 95dB(A) – à l’arrêt – sur certaines routes du Tyrol autrichien. Il s’agit en priorité d’éliminer les mauvais élèves, en tous genres. Car les sondages le prouvent: les nuisances extrêmes sporadiques ont bien plus d’impact sur la résilience nerveuse qu’un «bruit de fond» continu.
Une étude réalisée pour le compte de l’Office fédéral allemand de l’environnement a mis en lumière des valeurs aberrantes. Plusieurs véhicules ont été mesurés et évalués en situation réelle de circulation, non seulement en fonction de la pression acoustique, mais aussi d’autres paramètres utilisés en psychoacoustique: le volume, la rugosité et l’acuité. Les acousticiens ont calculé le niveau de gêne sur la base de ces éléments, et ils ont simulé le facteur humain en effectuant des mesures selon le pire des cas, à savoir le passage de véhicules à faible vitesse mais à pleine charge. Un cas certes exceptionnel dans la réalité, mais pas improbable. Sans être incontestables, les résultats méritent d’être pris en considération. Ainsi, une Harley-Davidson Softail Heritage Classic, moto confortable par définition, se transforme en véritable trouble-fête pour le voisinage. Après avoir retiré (illégalement) le «dB-killer» d’un pot d’échappement accessoire homologué, les testeurs ont enregistré, lors d’un passage «sportif» forcé, une augmentation globale de la gêne psychoacoustique d’un facteur 18,9 par rapport à la même mesure dans le scénario standardisé.
Les mesures effectuées avec des véhicules sportifs, cette fois sans modification technique illégale, ont mis en lumière une grande disparité des résultats selon la manière dont sont conduits ces engins. En mode Sport, l’Audi TT RS, comme la superbike Kawasaki 1000 cm3, dépasse le seuil des 100 dB(A) dans les fortes accélérations. En accélérant de manière nettement moins agressive, comme stipulé par la prescription ECE R51.03 avec une vitesse de passage d’exactement 50 km/h, l’Audi reste pourtant en dessous de la valeur limite de 75 dB(A). A condition toutefois de rouler en mode Confort, car la valeur explose à 97 dB en mode Sport, avec le clapet d’échappement ouvert. Dans le «scénario du pire», le niveau sonore est donc environ huit fois supérieur à la valeur d’homologation (+31 dB). Les auteurs de l’étude sont arrivés à la conclusion qu’il n’est pas possible, avec un test type, d’appréhender la gêne occasionnée par les véhicules sur les riverains. En revanche, une déduction s’impose, à savoir qu’une conduite intelligente apporterait sans doute plus d’effets bénéfiques que des prescriptions toujours plus strictes.