Nos premières reconnaissances effectuées en avril nous avaient déjà prouvé que la région située entre Sienne et Florence a été bénie des dieux en terme de plaisir au volant: les terrains sont vallonnés à souhait et les routes tout simplement exceptionnelles. Des chemins sinueux mènent des vallées aux douces collines du Chianti, tandis que des routes de campagne relient les villages perchés, tout en offrant un splendide panorama. Les routes ne sont que le maillage, dont les interstices sont remplis de ce qui fait la renommée et la convoitise de la région: la culture, les délices culinaires et, bien sûr, le vin. Un endroit de rêve? Oui, car aujourd’hui, ce sont les petits domaines viticoles et leurs quantités limitées de vins haut de gamme qui rendent un voyage dans la région si intéressant.
Autrefois, le Chianti souffrait de la querelle entre Sienne et Florence. On trouve encore aujourd’hui des traces de cette concurrence constante, non seulement dans l’art de la guerre, mais aussi dans les arts plastiques ou l’art culinaire. La force d’innovation est palpable, la mise en valeur touristique se veut moderne, proche de la nature, sans constructions d’infrastructures imposantes et ne laisse pas la région se noyer dans le tourisme de masse. L’Italie en crise? Ici, c’est le pays de la culture et du plaisir, de l’amour et des cœurs ouverts aux belles choses de la vie qui s’épanouit.
Bonne gestion du temps
Le voyage a débuté le matin du vendredi 9 juin. Peu après neuf heures, les deux mécaniciens d’Emil Frey Classics, Andrea Trigili et Guido Steigmeier, ont inspecté les éventuels défauts des voitures participantes lors d’un premier contrôle afin que tout le monde puisse se rendre sans dommage sur les sites viticoles et culturels sélectionnés. Ils ont contrôlé également les différentes voitures de location choisies pour ce voyage. Le propriétaire de la Revue Automobile, Engelbert Spörri, qui voyageait avec le directeur Théo Uhlir, a été particulièrement malchanceux. Sa Porsche a été stoppée à la jonction de l’autoroute A1 près de Luterbach (SO). Un camion turc a pincé brutalement les fesses de la voiture, si bien que la Porsche a dû rester en Suisse, la tôle ayant été déformée. L’équipage est arrivé à Borgo Scopeto, notre base d’accueil pendant le Ride & Wine Classics, le jeudi soir dans un van Mercedes.
Le couple Martinet de Lausanne était arrivé un peu plus tôt à destination. Mais avant, nous avions reçu un appel nous informant que leur Alpine A310 était garée sur un rond-point à Sienne et que les pompiers étaient sur place. Monsieur Martinet avait réussi à maîtriser l’incendie, initié par un câble ayant pris feu peu de temps auparavant. Nous leur avons envoyé la navette de l’hôtel et étions heureux de retrouver le couple sain et sauf, et dans un état d’esprit étonnamment bon. Charles Martinet avait emporté deux extincteurs, dont un à portée de main derrière le siège du conducteur. Il a ainsi pu ouvrir le capot de la voiture à moteur arrière et étouffer en quelques secondes les flammes qui s’élevaient. Malheureusement, les dégâts rendaient la poursuite du voyage impossible, et le projet de remorquer la voiture et de la laisser à l’hôtel pour qu’elle soit récupérée en Suisse a également échoué.
Une plaque en carton
Charles Martinet a donc fabriqué une plaque d’immatriculation en carton, car il voulait emporter la plaque interchangeable pendant que son Alpine attendait la dépanneuse sur un parking de Sienne. Les malchanceux n’ont pas eu à attendre longtemps pour obtenir une voiture de remplacement; une Coccinelle VW décapotable louée était prête peu après l’arrivée du couple.
Lors de la préparation de ce Ride & Wine, il était clair que les étapes menant aux différentes caves seraient courtes et décontractées. Le terme de «promenade automobile» a été délibérément choisi, mais des trajets de 40 à 60 kilomètres promettaient des déplacements chaleureux. La première sortie a débuté le vendredi vers midi. Ceux qui souhaitaient naviguer eux-mêmes pouvaient télécharger les itinéraires sur «The Drivers App», mais les participants ont préféré rouler en colonne de Borgo Scopeto à Castellina. Là, nous avons fait un tour d’honneur devant le coq noir, l’emblème de la région, avant de revenir un peu sur nos pas pour visiter une cave particulière à Fonterutoli.
Un domaine remarquable
Le domaine viticole de la famille Mazzei, établie à Fonterutoli depuis 1435, a été conçu de manière à ce que les raisins récoltés ou leur jus passent des vignes à la bouteille sans grand effort mécanique. Les producteurs utilisent simplement la gravité terrestre. Il n’y a pas non plus de pressoirs, les raisins éclatent d’eux-mêmes en heurtant les cuves de fermentation. Le moût, les pépins et les pellicules de raisin, emportent la chaleur résultant du processus de fermentation vers le haut, où elle peut être récupérée. Dans la cave, un étage plus bas, le Chianti est finalement stocké dans des fûts en chêne. On y entend un clapotis d’eau constant. Et pour cause, l’une des parois de la pièce est directement adossée à une source. Le lieu, qui s’appelle Fonterutoli, apporte l’humidité nécessaire à la cave. Après une dégustation de vin, un somptueux repas de midi attendait les participants au restaurant de la famille Mazzei, en haut du village.
Le retour s’est fait sans problème pour tous les participants. Guidée par une Fiat 500 conduite énergétiquement, la colonne a avancé rapidement vers sa nouvelle destination.
Visite chez le fondateur du Chianti
Bettino Ricasoli (1809-1880) est considéré comme le fondateur du Chianti. Le chef de l’illustre famille, dont les racines se trouvent au Castello di Brolio à Gaiole, a été deux fois Premier ministre sous le roi Vittorio Emanuele II, en Italie. Outre la politique, les Ricasoli s’intéressaient également aux bons vins. Le Chianti classico, composé à 80% de sangiovese et à 20% maximum de canaiolo et/ou de colorino, reposerait selon la légende sur leur formule.
Les Ricasoli sont considérés comme la plus ancienne famille au monde à se consacrer sans interruption à la viticulture, la première mention de leurs activités remonte à 1141. Lors d’un tour dans le Chianti, il est donc indispensable de s’arrêter à Brolio. La visite guidée, qui ne parcourt pas plus de trois pièces d’un château qui en dénombre plus de 140, a semblé superficielle au premier abord, mais la visite de l’armurerie, du petit musée avec la chambre du roi – qui n’y a jamais passé une seule nuit – et de la grande salle des fêtes s’est révélée passionnante, puisque ponctuée de nombreuses anecdotes.
Un coup de foudre
Brolio est également le point de départ de l’Eroica, une course cycliste à l’ancienne qui emprunte principalement les traditionnelles Strade bianche, les routes de terre toscanes. Cette manifestation traditionnelle, qui compte aujourd’hui plus de 20 000 participants, a été créée pour sauver les routes de terre du goudronnage à outrance.
Lorsque l’on ressent dans le vin la passion avec laquelle il a été vinifié, c’est magique. Si le viticulteur ou le propriétaire s’est fixé pour objectif de produire l’un des meilleurs vins du Chianti, le résultat doit être totalement bluffant. Le domaine viticole Gagliole de Thomas et Monika Bär se trouve un peu à l’écart de Panzano in Chianti. Ils se sont rencontrés en 1990 dans le Chianti et ont commencé à cultiver de la vigne en 1993. En 1994, ils ont donné les premières bouteilles à leurs amis et connaissances. Aujourd’hui, Gagliole produit environ 70 000 bouteilles par an.
Une route sinueuse part du Castello di Brolio pour arriver chez eux. Bien évidemment, nous voulions connaître la fascination de ce couple suisse pour le vin, qui vit en Toscane la moitié de l’année. En 2019, le domaine viticole Gagliole a été entièrement rénové pour répondre aux besoins d’une exploitation de taille moyenne. Devenu ultramoderne, ce domaine montre comment la précision suisse et la passion italienne se combinent à la perfection. En compagnie des propriétaires, notre groupe a pu non seulement déguster les meilleurs crus de la maison, mais aussi les savourer longuement, accompagnés d’un excellent repas. La visite de Gagliole s’est avérée être un moment-clé qui a stimulé les sens à profusion.
Après le trajet en deux groupes distincts pour les conducteurs sportifs et les conducteurs classiques, un repas grandiose et une vue magnifique sur la terrasse devant les nouvelles caves, les odeurs du jardin entourant les bâtiments ont fait le reste. Si le nez est capable de retenir les souvenirs les plus forts, c’est certainement le cas du dernier domaine viticole visité dans le cadre de ce Ride & Wine Classics.
Moments culturels
Malgré des températures agréables, le dernier trajet de retour vers Borgo Scopeto s’est fait sous quelques gouttes de pluie, ce qui a valu aux cabriolets d’être brièvement recapotés. Grâce à un timing bien dosé, chaque équipage était libre de choisir la vitesse qui lui convenait le mieux. Après un départ un peu mouvementé le jeudi, toutes les voitures avaient survécu sans dommage aux excursions jusqu’au samedi soir; seule la VW Coccinelle décapotable a joué un tour à Charles Martinet lorsque le siège s’est soudainement rabattu vers l’arrière, mais le conducteur chevronné a réussi à se maintenir sans peine dans la bonne position, en dépit d’une visibilité modifiée.
La lecture par Philipp Gut de son livre sur l’un des procureurs en chef du procès de Nuremberg et grand combattant pour la justice après la Seconde Guerre mondiale, Ben Ferencz, décédé ce printemps à l’âge de 103 ans, a apporté une touche plus sérieuse à la soirée de clôture de ce Ride & Wine Classics. Nous ne nous étendrons pas sur l’abondance des mets et des vins proposés lors de cette soirée. Que dire de plus, sinon que c’était une nouvelle fois un vrai bonheur! Les deux jours passés en Toscane ont été magnifiques. Les participants ont terminé le voyage dans la bonne humeur, les plus intrépides ont profité de la nuit jusqu’à tard. Le dimanche était consacré au retour à la maison, à la réalité pour ainsi dire. C’est donc avec beaucoup de gratitude et de joie que l’équipe de la Revue Automobile a pris congé de ses invités.