GT, pour «Gran Turismo», ou peut-être «Grand Tourer»? Peu importe, puisque ces deux lettres incarnent véritablement l’autonomie automobile et, dans une certaine mesure, l’esprit d’aventure. On pourrait éventuellement comparer cela aux SUV modernes qui, avec leurs protections de bas de caisse et leurs passages de roue en plastique brut, permettent de s’aventurer dans la plupart des semi-carrossables.
Les premières GT ont vu le jour en Europe après la Seconde Guerre mondiale. Elles sont donc des rejetons relativement récents dans l’histoire de l’automobile. La Cisitalia 202 GT, dont la carrosserie fut réalisée par Pininfarina en 1946, fait figure de pionnière en la matière. Cette voiture relativement petite est d’ailleurs exposée au MoMA (Museum of Modern Art) de New York. Avant la guerre, le terme n’apparaît pas dans le contexte automobile. Toutefois, dès le début de l’époque baroque, l’expression «Grand Tour» décrivait déjà un voyage en Italie, consacré principalement à l’étude de l’architecture et de la culture antique. Le terme a été utilisé pour la première fois par un prêtre catholique, Richard Lassels, dans un guide publié à Londres en 1670, «The Voyage of Italy».
Une grande routière est une voiture qui, grâce à son confort, son style, son luxe et un châssis adapté, peut transporter ses passagers sur de longues distances et sur une grande variété de routes. Dans ce contexte, la conduite en soi doit être au centre des préoccupations. Les Britanniques avaient d’ailleurs ajouté le terme de «Continental Touring» au «Grand Touring», faisant référence au sentiment de liberté et à la possibilité d’avancer rapidement et sans souci sur les routes larges et rectilignes de la France, qui n’étaient alors guère comparables aux petites routes étroites et sinueuses du Royaume-Uni. Pour beaucoup de Britanniques, «The Continent» était donc une destination magique.
Continental GT
Il n’est donc pas surprenant que la première Bentley développée sur le continent ait été baptisée «Continental», suivi du suffixe GT. L’histoire est connue: en 1998, Volkswagen reprenait les droits de la marque Bentley et l’ensemble des valeurs de Rolls-Royce Motor Cars, y compris la collection et les archives. Le design du radiateur ainsi que le «Spirit of Ecstasy» appartenaient désormais au groupe allemand, mais pas les droits sur le nom Rolls-Royce. La holding avait alors l’intention de céder «Rolls-Royce plc» (moteurs d’avion et de bateau) à BMW. Volkswagen possédait donc une usine et une marque profitant d’une grande histoire (Bentley). Malheureusement, de manière générale, la marque Bentley était beaucoup moins connue que Rolls-Royce. Mais comme VW possédait le fameux design du radiateur ainsi que la célèbre silhouette (soit les principaux signes distinctifs de Rolls), Wolfsburg avait tout pouvoir pour gérer au mieux la renaissance de Bentley. De plus, BMW était de son côté contrainte de continuer à fournir à Bentley le 12-cylindres de la Rolls-Royce Silver Seraph et le 8-cylindres de la Bentley Arnage, qui avaient déjà été développés avant le rachat par VW. Fin 2002 apparaît sur le marché une nouvelle Rolls-Royce Phantom, construite dans la récente usine de Goodwood (GB). Parallèlement, Volkswagen développait de son côté un nouveau coupé GT, basé entièrement sur des composants appartenant au groupe.
Techniquement aidée par la Phaeton
C’est la controversée VW Phaeton qui a fourni la plateforme et le moteur de la nouvelle Bentley. La base du vaisseau amiral de VW, construit dans la «Gläserne Manufaktur» (usine de verre) allemande de Dresde, offrait tous les ingrédients nécessaires: un puissant moteur W12, une transmission intégrale et une suspension pneumatique. À cela s’ajoutait la structure de la carrosserie de la grande VW, produite selon les standards les plus élevés en matière de construction automobile. En 1998, année de reprise par VW, l’usine de Crewe (GB) n’avait produit que 414 Bentley sur une plateforme dont les origines remontaient à la Rolls-Royce Silver Shadow ou à la Bentley T1 de 1965.
Les coupés Bentley de l’époque, la Continental R et la T, plus sportive et plus courte, le cabriolet Azure et la Continental SC Sedanca, construite en très petit nombre, affichaient des prix dépassant le demi-million de francs à ce moment-là. Mais en octobre 2002, au Mondial de Paris, Bentley dévoile sur son stand un concept proche de la production. L’auto va rapidement enthousiasmer. Et pour cause, la Continental GT sera une grande routière proposée à un prix considéré «outrageusement» bas, moins de la moitié de celui des Bentley deux portes précédentes. Et pourtant, la voiture affiche de meilleures performances et une technologie nettement plus avancée. Au moment de la première mondiale du véhicule, au Salon de l’automobile de Genève, début mars 2003, Bentley va d’ailleurs y prendre le nombre fabuleux de 3200 commandes, bien que personne n’ait eu l’occasion d’essayer la voiture. Préalablement transformée pour produire des quantités beaucoup plus importantes, l’usine de Crewe ne produisit que 107 Continental GT la première année de production. En revanche, l’année suivante, les records explosaient: pas moins de 6896 voitures étaient assemblées. C’est bien plus qu’au cours des dix années précédentes réunies! Dans un article paru le 17 juillet 2003, la Revue Automobile parlait à juste titre de «Son altesse Bentley».
Grâce à la Continental GT, Bentley a considérablement rajeuni sa clientèle. En 2005, dans la foulée du succès de la «Conti», elle présente une berline assemblée sur le même châssis, la Flying Spur. Celle-ci ne sera pas assemblée en Angleterre mais bien en Allemagne, dans l’usine de la Phaeton, à Dresde. La «Conti» a été suivie en 2006 par la version cabriolet GTC. A l’instar de nombreux véhicules iconiques allemands, la GTC profitait d’une capote développée par Karmann à Osnabrück (D), dans un style classique en toile. A l’époque, la quatre-places de 560 ch faisait partie des voitures ouvertes les plus rapides du monde. La Continental GT et la GTC ont permis de réaliser de bonnes ventes sur des marchés relativement nouveaux, notamment en Asie. Avec des variantes plus puissantes et la possibilité de personnalisation par Mulliner, Bentley a porté le thème de la GT à la perfection. En 2007, la Continental Speed a poussé sa puissance à 610 ch. Et elle allait jusqu’à développer 710 ch dans son ultime évolution, désignée Super Sports.
La deuxième génération de Continental GT a été lancée en 2017. Plus allongée et beaucoup plus élégante que la première Continental, toujours un peu grassouillette (bien que, de l’avis de nombreux spécialistes, son design se soit bonifié avec les années), la Continental GT est toujours la Bentley la plus vendue, malgré le lancement en 2016 du SUV Bentayga. Ce dernier la suit désormais de près. Depuis 2012, le coupé et le cabriolet sont également disponibles avec un moteur V8. Celui-ci a d’ailleurs pris le dessus sur le W12 de six litres, qui sera d’ailleurs mis à la retraite l’année prochaine. Bien qu’il soit plus petit, ce bloc portera cependant encore un certain temps l’étendard GT de la Continental, en offrant plaisir de conduire et libre choix de l’itinéraire. Bref, du voyage automobile considéré comme idéal, sans temps de chargement, ni crainte de l’autonomie.
La classe est éternelle
En 1952, la R-Type Continental était la voiture la plus chère en Suisse (plus de 80 000 francs). Et c’était sans doute à juste titre.
Au moment où la porte s’entre-ouvre, le temps s’arrête. Ici, à l’intérieur de la R-Type Continental carrossée par H. J. Mulliner, tout est différent. Des fauteuils en cuir accueillent les passagers, récompense appréciée pour avoir relevé le défi que représente l’accès à bord, avec le levier de vitesses situé à droite, dans la découpe de la porte. Celui-ci commande une boîte à quatre rapports, qui transmet la puissance du moteur IOE (Inlet over Exhaust, soit soupapes en vis-à-vis) de 4,5-litres à l’essieu arrière à suspension à lames. Le groupe doit fournir environ 150 ch, ce qui semble peu aujourd’hui, mais ce qui était une performance respectable dans cette Grande-Bretagne d’alors, avec son essence rationnée à faible indice d’octane.
La première vitesse est vite trouvée, l’embrayage s’engage très doucement, la voiture se met en mouvement sans changer de tonalité. Ce qui frappe dans la JAS 949, une voiture issue de la collection de l’usine Bentley, c’est le sentiment d’immédiateté. Si la quatre-places fut l’une des voitures les plus rapides du monde à l’époque, avec une vitesse d’un peu plus de 190 km/h (à peine plus lente que la Jaguar XK 120, environ quatre fois moins chère), elle est aujourd’hui encore bien posée sur la route. Rien ne flotte, rien ne tremble. Et les quatre freins à tambour font leur travail en toute fiabilité. La précision mécanique de la boîte est un plaisir particulier; rien à voir avec la fameuse boîte Moss de Jaguar, de la même époque. La R-Type Continental est une voiture construite pour tous ceux qui, après la Seconde Guerre mondiale, avaient la possibilité financière de s’offrir cet énorme plaisir.
Les mêmes gènes
La première mondiale de la Continental GT de la nouvelle ère a été célébrée à Genève, une bonne raison de nous pencher sur la représentante actuelle – en version fermée et ouverte – et une occasion idéale de réfléchir à la culture de la conduite automobile. Une GT n’est en effet pas une voiture de sport; il ne s’agit pas, ici, d’aller chercher la vitessse à tout prix ou la ligne idéale parfaite. L’essentiel, c’est d’assurer un voyage agréable, la sensation d’avancer avec le moins d’efforts physiques possible; on veut aussi avoir l’air en forme en sortant de la voiture! La Bentley Continental GT (tout comme la GTC) incarne ces aspects dans une large mesure. Ses réserves de puissance sont disponibles à tout moment, mais son caractère serein permet aussi de rouler un moment derrière un tracteur qui influence un peu la moyenne horaire sur une route de campagne sinueuse. Pas besoin de le dépasser comme un hooligan! Le véhicule glisse, l’occasion viendra un peu plus tard, avec style et vigueur.
On peut se demander soudainement si l’on n’est pas tombé dans une certaine décadence. Nous ne le pensons pas. Cette façon de conduire est au contraire très consciente. Certes, la Continental GT peut aussi avaler des kilomètres, beaucoup même, mais elle démontre également qu’il vaut vraiment la peine d’apprécier le voyage, de se laisser émouvoir par les impressions et d’assumer ce que l’on aime vraiment faire: se déplacer dans une vraie voiture.