Le parrain
Le patron, le «Parrain» plutôt, ce n’est plus lui. Depuis l’arrivée des nouveaux propriétaires du système F1, les Américains de Liberty Media, il était clair qu’une page de l’histoire de la F1 allait se tourner. Ouvertement, rien ne transparaissait, mais les discussions de coulisses, dans les paddocks soudainement plus enfiévrés que d’habitude, depuis l’été dernier, ne laissaient guère planer le doute: une ère se terminait, celle de la gestion d’un seul homme, dictateur éclairé et tout-puissant, au profit d’une entité de businessmen aux méthodes plus modernes, c’est-à-dire plus «démocratiques». Un terme qui, à lui seul, donne des boutons à Bernie.
De belles promesses
Seront-elles meilleures, ces méthodes? Après tout, les nouveaux patrons sont aussi là pour faire de l’argent, même s’ils affichent vouloir le faire différemment, en exploitant des domaines jusque-là négligés. Avec quels résultats? Seul l’avenir le dira, mais – pour l’instant – on a surtout entendu beaucoup de belles promesses.
Une opportunité attendue
Dans ce contexte, la mise à l’écart de Bernie Ecclestone aura donc été la première décision effective des nouveaux maîtres du monde F1. Dans un premier temps, Bernie devait rester aux commandes, bien que sous la houlette de Liberty Media, pour trois ans, histoire d’assurer une transition «en douceur» à la tête d’un empire aux ramifications beaucoup plus complexes que les plus fantaisistes des observateurs puissent jamais imaginer. Mais, quelque part, la marche d’approche des gens de Liberty Media, menée par Chase Carey, leur avait aussi permis de réaliser à quel point une majorité d’acteurs, dans le paddock, attendaient la première opportunité de tourner la page d’une gestion qui leur avait certes permis d’engranger des millions au cours des années, mais qui semblait engagée désormais dans une impasse.
Le placard ou la boîte…
Trahi par les siens, ceux-là mêmes qui étaient devenus riches grâce à lui, Bernie n’avait guère de porte de sortie. Tout comme, pour tourner cette page, Liberty Media n’avait d’autre marge de manœuvre que de rompre avec un passé devenu trop lourd, et en décalage avec leur vision d’avenir. Donc, exit Bernie, à l’américaine, sans demi-mesure ni élégance. Le titre de «Chairman Emeritus» – président d’honneur, en quelque sorte – est un placard à peine doré, duquel il pourra donner son avis – précieux – sur les choix de ses successeurs, mais sans aucun pouvoir de décision. Reste à voir comment le vieux patron acceptera ce nouveau rôle. «Je ne partirai du paddock que les pieds devant, dans une boîte», avait-il dit un jour à ceux qui – prenant leur courage à deux mains – avaient osé évoquer ouvertement sa succession, ou plutôt le manque de plan de succession.
40 ans de règne
Ceux qui le connaissent bien affirment que ce n’est pas tant l’argent en lui-même qui motive Bernie, mais bien la passion viscérale de négocier, de convaincre, d’arracher des «deals» a priori improbables, fidèle à ce sens inné du marchandage qui lui avait permis de décoller dans la vie – et dans la course automobile – en tant que vendeur de voitures d’occasion. L’argent, au bout du compte, ne serait pour Bernie que la matérialisation de ses victoires sur ses interlocuteurs. De fil en aiguille, au gré de ses puissantes intuitions, il a ainsi bâti un empire, et tous ses sujets – enfin, presque tous – en ont largement profité. Ce qui ne faisait qu’asseoir son pouvoir, qu’il avait d’ailleurs pris soin de verrouiller, avec une habileté parfois machiavélique. Indispensable et indéboulonnable, tel était le Bernie roi de la F1 tout au long d’un règne qui aura duré une quarantaine d’années.
Derrière le masque…
Mais limiter sa trajectoire à celle d’un homme d’affaires redoutable et redouté, avançant à coup de machette dans la jungle du sport moderne et des contrats richissimes ne rend pas entièrement justice à Bernie. Cette extrême froideur, souvent dérangeante, n’est aussi qu’une façade, incomprise, un masque dissimulant d’autres qualités, plus humaines, mais qu’il préfère garder pour lui.
Merci Bernie
Ceux qui ont eu affaire avec lui relèvent son extrême loyauté, le respect de la parole donnée. Son amour pour la course et ses acteurs – les pilotes en premier lieu, mais aussi quelques patrons d’écuries – est profond. Combien en a-t-il aidé, sans que cela se sache, parce qu’il n’est pas du genre à crier sur les toits ses bonnes actions? Beaucoup, aujourd’hui encore, peuvent lui tirer leur chapeau et lui dire merci. Ne serait-ce que pour avoir fait de la F1 ce qu’elle est devenue, l’un des plus grands phénomènes sportifs et économiques de l’histoire. Alors oui, merci Bernie.