«C’est du Volkswagen, mais en moins cher»: c’est souvent en ces termes simplistes que l’on parle de Škoda, et pas seulement entre initiés. En effet, plus personne n’ignore que la marque tchèque, propriété du groupe allemand depuis 26 ans, offre les mêmes plateformes, moteurs et composants que Volkswagen, mais en échange de moins d’argent. Ce qui a fini par cannibaliser, comme cela était prévisible, une partie de la croissance et de la rentabilité de Volkswagen. Désormais, les ventes en explosion de Škoda – +44% en 10 ans – agaceraient et causeraient des inquiétudes du côté de Wolfsburg. D’après Reuters, qui cite des sources internes à Volkswagen, on reproche à la firme de Mladá Boleslav de bénéficier d’avantages de façon injuste, créant une sorte de concurrence déloyale interne. Škoda, qui peut en outre compter sur un coût de main-d’œuvre moindre, est en mesure de proposer un meilleur rapport prix-prestation que VW. La rentabilité qui en résulte est spectaculaire: elle est 3 ou 4 fois plus élevée que celle de Volkswagen et n’est devancée que par Porsche et Audi dans le groupe VW! La faible rentabilité de VW (comme marque) fait même dire à un professeur de l’université de Duisbourg, Ferdinand Dudenhöffer, que «le problème des coûts chez VW est plus grave que le scandale lié aux diesels».
Škoda jalousé
En contraste, le succès de Škoda fait grincer des dents à l’intérieur du groupe, comme nous l’a confirmé une cadre de la firme tchèque rencontrée lors d’une présentation, bien avant l’article de Reuters. «Oui, ils nous jalousent, nous avait-elle lâché, car ils ne sont pas en mesure de reproduire nos résultats. Ils nous prennent sans arrêt nos meilleurs managers ou tentent de le faire.»
A l’échelle suisse, la situation est similaire. L’Octavia a même détrôné la Golf de la première place des ventes sur la quasi-intégralité de l’année passée. Il aura fallu une quantité massive d’immatriculations journalières de Golf, fin 2016, pour que la compacte de Wolfsburg termine l’année in extremis devant l’Octavia. En 2017 en revanche, la tchèque caracole solidement en tête des ventes. Reste à savoir ce que fera l’importateur à la fin de l’année…
Production déplacée en Allemagne?
Selon l’article de Reuters, les puissants syndicats de l’industrie automobile allemande ont décidé, eux, de ne pas rester les bras croisés. Ils réclameraient le déplacement de la production de certains modèles Škoda en Allemagne, afin de saturer les installations indigènes et compenser le ralentissement de la Passat. Le but est clairement de protéger les emplois allemands, même si cela doit se faire au détriment des postes de travail tchèques: d’après un syndicat du pays, un éventuel transfert de la production pourrait affecter 2000 emplois.
Tarifs plus élevés pour Škoda
Les revendications ne s’arrêtent pas là. Des voix anonymes, citées par Reuters, s’élèvent pour réclamer des barrières tarifaires plus élevées pour Škoda, lorsqu’elle se sert de la technologie Volkswagen. Ce serait là une façon de rééquilibrer les comptes en faisant participer davantage Škoda aux coûts de développement induits par ces composants (plateforme, moteurs).
Interrogé sur cette compétition interne, un porte-parole du groupe s’est contenté de nous affirmer, laconiquement, que «le positionnement clair des marques est l’un des éléments de notre stratégie à l’horizon 2025. Une synchronisation logique des éléments individuels entre eux est toujours nécessaire dans un groupe multi-marques.» Un repositionnement et une plus grande différenciation entre VW et Škoda pourraient bien être à l’étude, notamment avec l’avènement des voitures électriques. L’effort gigantesque requis par l’électrification de la gamme dans le but de «battre Tesla» risque néanmoins d’être ralenti par «ces luttes internes futiles», regrette un manager interrogé par Reuters. Oui, futiles, car il est bon de rappeler qu’il est nettement préférable que l’argent tombe dans les poches du groupe plutôt que dans celles d’un – vrai – concurrent.